Violences conjugales et droit au regroupement familial niés: des procédures interminables

Janet* est arrivée en Suisse par regroupement familial. Contrainte de quitter le domicile conjugal en 2011 à cause des violences conjugales, elle n’obtient la prolongation de son titre de séjour que 4 ans plus tard. En 2017, elle dépose une demande de regroupement familial pour ses 3 enfants. La procédure s’éternise et, entre-temps, Janet* se marie à un Français, ce qui ouvre le droit au regroupement familial pour ses enfants sous l’angle de l’ALCP. Après plus de 4 ans de procédure, le SEM refuse le regroupement familial, estimant notamment qu’elle n’a pas entretenu de liens forts avec ses enfants.

Mise à jour

Le recours de Janet* a finalement été accepté par le Tribunal administratif fédéral, en date du 20 avril 2023.

Les trois enfants de Janet* sont donc aujourd’hui en possession d’un permis de séjour.

La famille a enfin pu se réunir en Suisse, après 6 ans d’attente.

Personne concernée (*Prénom fictif): Janet*, née en 1978

Origine: Ouganda

Statut: permis B par mariage, puis permis B de travail et enfin permis C

Résumé du cas

Janet*, ressortissante ougandaise, est arrivée en Suisse en avril 2010 par regroupement familial. Contrainte de quitter le domicile conjugal à cause des violences de son mari en 2011, elle n’obtient la prolongation de son titre de séjour que 4 ans plus tard, après un recours au TAF car le SEM nie l’intensité et la récurrence des violences subies.

Début 2017, Janet* dépose une demande de regroupement familial différé pour ses 3 enfants. Après plus de 3 ans de procédures diverses, le SPOP demande à Janet* d’effectuer des tests ADN pour prouver la filiation maternelle. Une fois les résultats obtenus, en 2020, le SPOP transmet le dossier au SEM pour approbation. Entre-temps, Janet* s’est mariée avec Pierre*, un ressortissant français titulaire d’une autorisation d’établissement UE/AELE, ce qui a ouvert un droit au regroupement familial sous l’angle de l’ALCP pour ses enfants. Elle-même obtient à titre personnel un permis C en novembre 2020.

En août 2021, après quatre ans de procédure, le SEM rend une décision négative. L’autorité refuse de considérer le regroupement sous l’angle de l’ALCP, estimant que Janet* dispose d’une autorisation d’établissement propre et non d’un titre de séjour lié à son second mariage. Sous l’angle de la LEI, le SEM estime qu’aucune raison familiale majeure ne justifie le regroupement familial différé; et finalement que Janet* n’a pas entretenu de liens suffisamment forts avec ses enfants.

Par l’intermédiaire de son mandataire, Janet* fait recours au TAF, rappelant qu’en vertu de l’ALCP, Pierre* a le droit de faire venir les enfants de son épouse en Suisse, quelle que soit leur nationalité, puisque le couple dispose d’un logement approprié (art. 3 al. 2 let. a Annexe I ALCP). Le mandataire souligne aussi que la situation des enfants a changé. Ceux-ci ne peuvent plus rester avec leur grand-mère maternelle, unique solution de garde, et ont dû être placés en internat. Une des filles souffre par ailleurs de tuberculose. Aussi, Janet* affirme ne pas avoir pu faire la demande de regroupement familial plus tôt, au vu des violences subies et des traumatismes liés à celles-ci. Pour le mandataire, ces éléments constituent des raisons familiales majeures justifiant le regroupement familial différé. Enfin, concernant les liens familiaux, Janet*a amené des preuves montrant qu’elle discute quotidiennement avec ses enfants, leur envoie de l’argent mensuellement et que la famille souhaite être réunie. Le recours au TAF est pendant.

Questions soulevées

  • Une durée de 4 ans pour une procédure de regroupement familial est-elle compatible avec la garantie de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 CDE) et avec le droit au respect de la vie familiale (art. 8 CEDH)?
  • En estimant que l’ALCP ne s’applique pas à la situation sa famille, le SEM ne viole-t-il pas le droit de Pierre* de faire venir en Suisse ses beaux-enfants dans le cadre du regroupement familial?
  • Après lui avoir nié le statut de victime de violences conjugales, le SEM nie les sentiments et le rôle de mère de Janet* dans la vie de ses enfants. Comment sentiriez-vous à sa place?

Chronologie

2010: arrivée de Janet* en Suisse pour vivre auprès de son époux de nationalité suisse;

2011: séparation du couple suite à des violences conjugales ; décision du SEM qui refuse de prolonger le permis de séjour de Janet*; recours au TAF;

2015: arrêt positif du TAF et octroi à Janet* d’un permis de séjour (oct.);

2017: demande d’un regroupement familial différé en faveur de ses 3 enfants (févr.);

2020: Mariage de Janet* et Pierre* (juin); demande du SPOP d’effectuer des tests ADN pour prouver la filiation maternelle (sept.); autorisation d’établissement pour Janet* (nov.);

2021: préavis favorable du SPOP pour le regroupement familial au sens de l’ALCP (févr.); décision négative du SEM (août); recours au TAF (sept. ; pendant).

Description du cas

Janet* est arrivée en Suisse en avril 2010 par regroupement familial, projetant de faire venir auprès d’elle ses trois enfants, âgés de 9, 7 et 4 ans. Contrainte de quitter le domicile conjugal à cause des violences de son mari, elle n’obtient la prolongation de son titre de séjour sur la base de l’art. 50 LEI que quatre ans plus tard, lorsque le TAF retoque le SEM qui ne reconnaissait pas les violences subies.

Début 2017, alors que Janet* se remet des traumatismes vécus et retrouve du travail, elle entreprend des démarches en vue du regroupement familial de ses 3 enfants (art. 44 et 47 al. 4 LEI). Après trois ans de procédure et de nombreux échanges avec les représentations consulaires des pays où vivent ses enfants, puis avec le SPOP, ce dernier demande à Janet* d’effectuer des tests ADN pour prouver la filiation maternelle. Entre-temps, Janet* se marie avec Pierre*, un ressortissant français titulaire d’une autorisation d’établissement UE/AELE, ce qui ouvre un droit au regroupement familial sous l’angle de l’ALCP pour ses enfants. Une fois les résultats des tests ADN obtenus et suite au mariage de Janet*, le SPOP, en application de l’ALCP, se déclare favorable et transmet le dossier au SEM pour approbation, en février 2021.

En juillet 2021, Janet* n’a pas reçu de réponse de la part du SEM. Vu l’urgence de la situation et les répercussions psychologiques négatives de l’attente pour toute la famille, le représentant de Janet* demande au SEM de traiter la requête au plus vite, menaçant de saisir la Cour compétente pour déni de justice.

Au mois d’août 2021, après quatre ans de procédure et un préavis positif du SPOP, Janet* reçoit une décision négative du SEM, qui rejette la demande de regroupement familial tant sous l’angle de la LEI que de l’ALCP. L’autorité estime en effet que Janet* dispose d’une autorisation d’établissement propre et non d’un titre de séjour lié à son second mariage et qu’en conséquence, le regroupement doit être traité selon la LEI. Sous cet angle, selon l’art. 47 al. 4 LEI, lorsque le délai de 5 ans – ou d’un an pour les enfants de plus de 12 ans – est dépassé, un regroupement familial différé est autorisé pour des raisons familiales majeures. Or le SEM ne reconnaît aucune des raisons majeures exposées par Janet*, et affirme que «le but du regroupement familial dans le cas présent n’est pas de recréer une vie familiale, mais de permettre aux requérants de bénéficier de conditions de vie plus favorables». Le SEM argue notamment que «par son départ, elle a délibérément choisi de vivre éloignée de ses enfants» et que «l’intensité des liens évoqués entre les requérants et leur mère n’a pas été démontrée à réelle satisfaction».

Par le biais de son représentant, Janet* recourt contre cette décision au TAF. Le mandataire rappelle que Pierre*, titulaire d’une autorisation d’établissement UE/AELE, dispose d’un droit propre au regroupement familial en faveur des enfants de son épouse, quelle que soit leur nationalité, à condition de disposer d’un logement approprié (art. 3 al. 2 let. a Annexe I ALCP), ce qui est le cas. Si le dossier doit être examiné sous l’angle de la LEI, le mandataire souligne que c’est en raison des violences conjugales subies lors de son premier mariage que Janet* n’a pas pu déposer de demande dans les délais légaux. Pendant 4 années après sa séparation, elle ne pouvait pas non plus demander le regroupement puisque le SEM refusait à tort de prolonger son permis de séjour. Ce n’est qu’au moment de la décision du TAF en 2015 qu’elle a récupéré un permis de séjour, alors que le délai de demande de regroupement était déjà dépassé. Le mandataire explique également que la situation des enfants a changé, ceux-ci ne pouvant plus rester avec leur grand-mère maternelle, unique solution de garde, et ayant dû être ainsi placés en internat. Une des filles de Janet souffre par ailleurs de tuberculose. Tous ces éléments constituent des «raisons familiales majeures». Enfin, concernant les liens familiaux, Janet* a amené des preuves qu’elle discutait quotidiennement avec ses enfants, leur envoyait de l’argent mensuellement et que la famille souhaitait être réunie. Le recours au TAF est pendant.

Signalé par: La Fraternité – CSP Vaud, septembre 2021

Sources: échanges avec le mandataire; décision du SEM d’août 2021; recours au TAF.

Cas relatifs

Cas individuel — 10/04/2025

Des violences conjugales reconnues par un Centre LAVI sont jugées trop peu intenses par les tribunaux

Eja*, originaire d’Afrique de l’est, rencontre Reto*, ressortissant suisse, en 2019. Leur mariage est célébré en avril 2021 et Eja* reçoit une autorisation de séjour. L’année qui suit est marquée par des disputes et des violences au sein du couple, et une première séparation de courte durée. En février 2023, Eja* consulte le Centre LAVI du canton, qui la reconnait victime d’infraction. En juillet, Eja* dépose une plainte pénale contre son époux pour harcèlement moral, rabaissements et injures, discrimination raciale et contraintes. En novembre 2023, Eja* dépose une deuxième plainte. Son médecin confirme des symptômes de stress émotionnel élevé. En février 2024, le SPoMi révoque l’autorisation de séjour d’Eja* et prononce son renvoi de Suisse, au motif que la durée effective de la communauté conjugale n’a pas dépassé trois ans. En août 2024, le Tribunal cantonal rejette le recours déposé par Eja*, au motif que l’intensité des violences psychologiques n’atteint pas le seuil exigé par la jurisprudence. Le Tribunal conclut à l’absence de raison personnelle majeure permettant de justifier le maintien de l’autorisation de séjour d’Eja*. Le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 14 novembre 2024, confirme la décision du SPoMi et rejette le recours d’Eja*.
Cas individuel — 08/01/2014

Une Française ne peut pas faire venir son fils auprès d’elle

«Tidiane », d’origine sénégalaise, se voit refuser le regroupement familial avec sa mère « Nathalie », ressortissante française. Selon le SPOP, la demande répond à des motivations économiques et constituerait un abus de droit, « Tidiane » approchant la majorité. « Nathalie » revendique son droit, au titre de l’ALCP, à le faire venir sans autre condition qu’un logement convenable jusqu’à ce qu’il ait 21 ans.
Cas individuel — 03/01/2013

L'ODM nie la jurisprudence fédérale et renvoie un enfant ressortissant européen

Mariée à un ressortissant français depuis 2005, « Ivana » s’installe en Suisse et y occupe divers emplois. Après le prononcé de son divorce et malgré son indépendance financière, elle se voit refuser le regroupement familial qui découle du droit de séjour de son fils, ressortissant communautaire. Dans son argumentaire, l’ODM nie l’évolution de la jurisprudence du TF.
Cas individuel — 29/07/2010

Plus d'un an et demi pour obtenir son droit au regroupement familial

« João », brésilien, veut rejoindre sa mère qui vit en Suisse avec sa conjointe espagnole. Selon l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), il a droit au regroupement familial. Pourtant, les autorités vont mettre plus d’un an et demi à lui délivrer un permis.