Une femme afghane seule avec 4 enfants
doit faire recours pour obtenir l’asile
« Nahid » et ses quatre enfants demandent l’asile en Suisse. Leur demande est rejetée par l’ODM, qui dans un premier temps suspend l’exécution du renvoi avant de juger que le retour à Kaboul est exigible. Sur recours, le TAF reconnaît pourtant la vraisemblance des motifs d’asile.
Personne(s) concernée(s) : « Nahid », née en 1971 et ses quatre enfants
Origine : Afghanistan
Statut : demande d’asile rejetée -> asile après recours
Résumé du cas
En 2009, « Nahid » et ses quatre enfants demandent l’asile en Suisse après avoir fui Kunduz, en Afghanistan. Persécutée pour son activité d’enseignante, « Nahid » a vu son mari être enlevé par les Talibans, qui ont également tué leur fille de 8 ans avant de chercher à enrôler l’aîné. Début 2010, l’ODM rejette leur demande d’asile, estimant que « Nahid » et ses enfants auraient pu se réfugier à Kaboul, mais leur octroie l’admission provisoire « au vu de [leur] situation familiale ». Recourant auprès du TAF, « Nahid » demande qu’on lui reconnaisse le statut de réfugiée. Invité par le TAF à se prononcer en septembre 2011 et janvier 2012, l’ODM maintient son opposition à octroyer l’asile et considère désormais que « Nahid » peut raisonnablement se rendre à Kaboul et y trouver un emploi, puisqu’elle bénéficiera du soutien de proches et de la protection des troupes. De son côté, la mandataire de « Nahid » insiste sur la péjoration sécuritaire du pays, la vulnérabilité des femmes et l’incapacité des autorités à protéger les civils. Elle souligne aussi qu’entre-temps les proches de « Nahid » ont quitté le pays. Début 2013, le TAF annule la décision de l’ODM, estimant que le récit de « Nahid » est « crédible, cohérent, et suffisamment détaillé » et qu’elle craint à juste titre d’être persécutée par les Talibans. En outre l’ODM, qui n’avait pas pris la peine de contester la vraisemblance des motifs d’asile par « économie de procédure », se fait rappeler à l’ordre par le TAF. Quant au renvoi à Kaboul, le Tribunal rappelle qu’il n’est exigible que pour les jeunes hommes en bonne santé bénéficiant d’un solide réseau social (ATAF 2011/7 du 16 juin 2011). Le TAF souligne encore l’incohérence de l’ODM, qui leur avait accordé une admission provisoire avant de considérer, suite au recours, que l’exécution du renvoi est exigible, sans pour autant lever cette autorisation. Les juges relèvent que « pareille incohérence ne peut qu’affaiblir encore l’argumentaire » de l’Office et l’invitent à octroyer l’asile à « Nahid » et à ses enfants.
Questions soulevées
Comment l’ODM peut-il considérer comme raisonnable un retour à Kaboul, alors que l’insécurité y est patente et que « Nahid » est une femme seule avec quatre enfants ? L’Office peut-il faire comme s’il ignorait la jurisprudence du TAF de juin 2011, selon laquelle le renvoi à Kaboul n’est exigible que pour les hommes jeunes et en bonne santé, ayant un solide réseau social ?
Peut-on admettre que l’ODM renonce à se prononcer sur la vraisemblance des motifs d’asile d’une femme afghane « par économie de procédure » ? Par de telles économies l’ODM ne met-il pas en danger l’essence même du droit d’asile ?
Chronologie
2009 : entrée en Suisse et dépôt d’une demande d’asile (août)
2010 : décision négative de l’ODM (mai) ; recours auprès du TAF (juin)
2011 et 2012 : prises de position successives de l’ODM et de la mandataire de « Nahid »
2013 : recours admis par le TAF (jan.) ; octroi de l’asile (fév.)
Description du cas
« Nahid », accompagnée de ses quatre enfants, quitte Kunduz (Afghanistan) en août 2009 et dépose une demande d’asile en Suisse. Auditionnée par l’ODM, elle raconte qu’« Ajmal », son mari, a été menacé à plusieurs reprises par des Talibans qui exigeaient de lui qu’il la force à cesser ses activités d’enseignante. Face au refus d’« Ajmal », trois Talibans se sont rendus au domicile du couple, ont tué leur fille de 8 ans et ont enlevé « Ajmal », avant de remettre une lettre à « Nahid » lui ordonnant de leur confier son fils aîné, afin d’en faire un martyr.
En mai 2010, l’ODM estime que « Nahid » et ses enfants auraient pu se rendre à Kaboul où vivent la mère et la sœur de celle-ci et où les autorités auraient pu les protéger. Considérant qu’il y avait dès lors une possibilité de fuite interne, l’ODM ajoute se dispenser d’examiner la vraisemblance des propos et leur octroie une admission provisoire compte tenu de la situation familiale. En juin 2010, la mandataire de « Nahid » fait recours auprès du TAF et demande que le statut de réfugiée soit reconnu à sa mandante. Ajoutant qu’il n’est pas certain que les proches de « Nahid » soient encore à Kaboul, la mandataire estime que cette région ne constitue pas une alternative de fuite interne raisonnablement exigible. Début 2011, elle transmet au TAF un document rédigé par des Talibans dans lequel ils indiquent détenir « Ajmal » en otage. Elle joint également un certificat médical établissant que « Nahid » souffre du syndrome de stress post-traumatique.
En septembre 2011, l’ODM, invité par le TAF à se prononcer sur la capacité des autorités afghanes à protéger les citoyens de Kaboul contre les Talibans, propose de rejeter le recours. Affirmant que les troupes présentes ont beaucoup apporté à la stabilité du pays, l’ODM confirme que les citoyens de cette ville reçoivent protection de la part des forces de l’ordre. En octobre, la mandataire, qui se réfère à un rapport de l’OSAR d’août 2011, insiste sur la péjoration sécuritaire en Afghanistan, notamment sur l’augmentation du nombre d’attaques, exécutions et enlèvements. Ce rapport précise que les autorités ne sont actuellement pas en mesure de garantir la sécurité et que la situation des femmes, surtout celles qui s’impliquent dans la vie publique, est particulièrement précaire. À la suite de cela, l’ODM, à nouveau invité par le TAF à se prononcer sur un éventuel renvoi à Kaboul, confirme, début 2012, qu’il est exigible pour « Nahid » et ses enfants de s’y installer. Affirmant qu’elle pourra être soutenue par ses proches, l’ODM ajoute qu’elle pourra user de sa formation et de son expérience d’enseignante pour y trouver un emploi. Considérant que « les déclarations des requérants présentent aussi de nombreuses invraisemblances », notamment que le fils aîné de « Nahid » a rendu des « réponses vagues » au sujet du décès de sa sœur, l’ODM précise que « la décision de rejet motivée sur la base de l’alternative de fuite interne a été prise par économie de procédure ». Invitée par le TAF à déposer ses observations, la mandataire répète qu’il n’est pas exigible de renvoyer « Nahid » et ses enfants à Kaboul, où leur sécurité ne pourra pas être assurée et où la discrimination que subissent les femmes empêchera sa mandante de trouver un emploi. La mandataire maintient également que, malgré les traumatismes subis, le fils aîné de « Nahid » a répondu du mieux qu’il pouvait lors de son audition en 2009, alors qu’il n’avait que 14 ans. En mars 2012, la mandataire informe le TAF que les proches de « Nahid » ne sont plus à Kaboul mais au Pakistan, où se trouve également « Ajmal ». Détenu par les Talibans, il a finalement été relâché, mais sa libération ayant été diffusée à la télévision, les forces afghanes lui ont elles-mêmes conseillé de fuir le pays.
Début 2013, le TAF annule la décision de l’ODM. Qualifiant le récit de « Nahid » de « crédible, cohérent, et suffisamment détaillé », les juges réfutent les éléments d’invraisemblance retenus par l’ODM. Lui rappelant par ailleurs qu’il a manqué de les signaler dans sa décision, le TAF n’admet pas l’explication de cette instance de s’être abstenue d’examiner la vraisemblance des motifs d’asile par « économie de procédure ». Par ailleurs, l’ODM, qui a d’abord octroyé une admission provisoire sans jamais la révoquer, a ensuite considéré le renvoi exigible, et, pour les juges du TAF, « pareille incohérence ne peut qu’affaiblir encore l’argumentaire développé par l’autorité intimée ». Reconnaissant la crainte de « Nahid » de subir des persécutions par les Talibans en cas de retour dans sa région, les juges ajoutent qu’un renvoi à Kaboul est exigible pour les hommes jeunes et en bonne santé qui bénéficient sur place d’un solide réseau social. Le TAF invite l’ODM à octroyer l’asile à « Nahid » ainsi qu’à ses enfants.
Signalé par : Centre Suisses-Immigrés (CSI) Valais, mars 2013
Sources : Décisions de l’ODM (25.05.10 et 1.02.13) ; Recours (23.06.10) ; Réponses et observations de l’ODM et de la mandataire demandées par le TAF ; Arrêt du TAF (E-4537/2010 du 8.01.13).