Tout juste majeur, le SEM révoque son permis et ordonne son renvoi en Grèce

Dawood* dépose une demande d’asile en Suisse en novembre 2023, à l’âge de 17 ans. Le SEM reconnait sa vulnérabilité et lui octroie une admission provisoire. En février 2025, le SEM révoque son statut, au motif qu’il ne serait plus vulnérable puisqu’il est majeur. Dawood* recourt auprès du TAF, expliquant être très intégré à Genève, où il est notamment scolarisé, et qu’il risque, en cas de renvoi en Grèce, de se retrouver dans un état de dénuement complet sans aucune perspective. Dans sa réplique, le SEM maintient sa position, au motif que le principe de l’admission provisoire est de pouvoir être levée à tout moment. En octobre, le TAF rend finalement son arrêt, par lequel il confirme la levée du permis F de Dawood*.

Personne concernée (*Prénom fictif): Dawood*

Origine: Afghanistan

Statut: Débouté

Chronologie

2023 : obtention de l’asile en Grèce (jan.), arrivée en Suisse (nov.), admission provisoire (déc.)

2024 : majorité (mars) ; annonce d’intention de levée du permis F (août) 2025 : révocation du permis F (fév.), recours au TAF (mars)

Questions soulevées

  • Au vu des conditions délétères dans lesquelles vivent les personnes réfugiées en Grèce, largement documentées et dénoncées par les ONG, comment se fait-il que le SEM puisse considérer que le renvoi d’un jeune à peine majeur y soit licite et exigible? En outre, comment le SEM peut-il ne même pas questionner Dawood* sur les conditions dans lesquelles il a dû vivre en Grèce, avant de rendre sa décision de renvoi?
  • Comment se fait-il que le SEM puisse considérer que le renvoi d’un jeune en cours de formation, investi dans de nombreuses associations et club de sport, et ayant tissé de solides relations sociales relève de l’intérêt public?
  • Octroyer une admission provisoire pour la lever à peine un an après n’est-il pas contraire au principe de bonne foi, à la confiance que les administré·es devraient pouvoir placer en l’autorité?

Description du cas

Dawood* nait en Afghanistan en mars 2006. Il quitte son pays en 2022, peu après la prise de pouvoir des talibans. En janvier 2023, il obtient l’asile en Grèce. En novembre 2023, il arrive en Suisse à l’âge de 17 ans et y dépose une demande d’asile. En décembre de la même année, le SEM rend une décision de non-entrée en matière sur sa demande en raison de son statut de réfugié en Grèce. Cependant, compte-tenu de sa minorité et donc de sa vulnérabilité, il reconnait que son renvoi est inexigible et lui octroie une admission provisoire.

Devenu majeur, il reçoit en août 2024 un courrier du SEM annonçant l’intention de lever son permis F, décision confirmée en février 2025. Le SEM estime que les transferts vers la Grèce sont licites lorsque la personne y dispose d’un droit de séjour, car il est alors présumé qu’il n’existe pas de risque de détention ni de refoulement vers le pays d’origine. Le SEM considère en outre que, comme Dawood* vit en Suisse depuis à peine plus d’un an, qu’il ne travaille pas et n’y possède pas de famille, son retour en Grèce «ne parait pas d’emblée insurmontable».

En mars, Dawood* forme un recours contre cette décision. Aidé par une mandataire, il rappelle avoir reçu son admission provisoire à peine quatre mois avant sa majorité, et qu’il ne comprend par conséquent pas pourquoi le SEM n’a pas statué quatre mois plus tard au lieu de lui octroyer un permis puis de le révoquer

En outre, il relève l’incohérence du SEM, qui estime les conditions en Grèce indignes à 17 ans et 8 mois mais suffisantes pour mener une vie digne quatre mois plus tard, à la majorité. Il rappelle qu’en Suisse, les institutions d’accompagnement social distinguent la catégorie des 18-25 ans des adultes, car il est admis qu’à cet âge un accompagnement dans l’entrée dans l’âge adulte est nécessaire, en raison d’une autonomie encore toute relative.

Enfin, il reproche au SEM de ne jamais l’avoir questionné sur les raisons qui l’ont poussé à quitter la Grèce au bout de 13 mois. Il explique être arrivé dans ce pays à l’âge de 16 ans et avoir été forcé par les policiers à enregistrer ses empreintes alors même qu’il avait annoncé vouloir rejoindre son cousin majeur en Suisse, comme le prévoit l’art. 8 du règlement Dublin III lorsqu’il s’agit de mineur·es non accompagné·es. Placé une semaine en détention sans nourriture suffisante, puis 20 jours dans un camp avec des adultes, il décrit ces conditions comme les plus dures de son parcours. Même dans le camp pour mineur·es où il fut ensuite transféré, il est resté isolé, déscolarisé, mal nourri et n’a reçu de nouveaux habits qu’après six mois.

Atteint du Covid-19, il raconte avoir été très malade mais n’avoir jamais pu voir un médecin. Au contraire, il a été enfermé à clé durant deux semaines dans sa chambre, en quarantaine. Il garde un souvenir très douloureux de cet isolement total. En outre, blessé au pied et au poignet, il n’a jamais pu voir un médecin malgré ses demandes. Ce n’est qu’une fois à Genève qu’il a pu recevoir les soins nécessaires. Enfin, les personnes en charge de son encadrement en Grèce l’ont prévenu qu’une fois majeur, il devrait quitter le camp et ne recevrait plus aucune aide. Ainsi, en l’absence de toute perspective en Grèce, sans accès aux soins de base et face à la crainte de se retrouver à la rue, Dawood* a décidé de rejoindre son cousin en Suisse.

Il explique enfin que, contrairement à ce qu’affirme le SEM, il est très intégré à Genève, où il est scolarisé depuis février 2024. Il a réalisé de nombreux stages et travaille bénévolement comme moniteur pour une maison de quartier qui organise des activités pour les enfants ; il est membre d’un club de lutte qu’il fréquente quatre fois par semaine et participe régulièrement à des ateliers de théâtre. En somme, c’est désormais en Suisse qu’il possède ses repères et construit son avenir. Il conclut qu’un renvoi en Grèce serait donc un déracinement insupportable.

Dans sa réponse au recours datée de mai 2025, le SEM annonce maintenir sa position, rappelant simplement que le principe de l’admission provisoire est de pouvoir être levée à tout moment.

Le 13 octobre, le TAF rend son arrêt. Rappelant que la Grèce est considérée comme un Etat tiers sûr, il considère que la dégradation des conditions de vie matérielles et sociales auquel Dawood* serait exposé en Grèce n’est pas d’une gravité suffisante pour emporter violation de l’art 3 CEDH (interdiction de la torture, des peines et traitements inhumains). Il admet que, lorsque le motif d’illicéité ou d’exigibilité du renvoi n’est plus rempli, les autorités gardent tout de même un pouvoir d’appréciation leur permettant de maintenir l’admission provisoire. Pour cela, il y a lieu de procéder à une pesée des intérêts entre l’intérêt public à l’exécution du renvoi et l’intérêt privé de Dawood à rester en Suisse. En l’espèce, le TAF considère que Dawood ne démontrant pas une intégration professionnelle et économique, l’intérêt public au renvoi prime. Il confirme donc la levée de son permis F.

Signalé par: CSP Genève

Source: décision du SEM du 25 février 2025 ; recours du CSP ; répliques du SEM et du CSP ; arrêt TAF E-2058/2025 du 13 octobre 2025.

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