Persécuté pour des motifs politiques, les autorités suisses estiment pourtant le renvoi possible

Seymur* vient d’Azerbaïdjan, où il connait des persécutions liées à ses opinions politiques. Il demande l’asile en Suisse, qui refuse et ordonne le renvoi, malgré les intimidations que sa famille subit toujours.

Personne·s concernée·s (*Prénoms fictifs): Seymur*

Origine: Azerbaïdjan

Statut: débouté de l’asile

Résumé

Seymur*, né en 1985, est originaire de Baku en Azerbaïdjan. Il commence en 2010 à tenir un blog où il dénonce des agissements de responsables politiques. En 2011, il est agressé par plusieurs inconnus. Il se rend auprès de la police, qui n’enregistre pas la plainte. Son oncle est impliqué dans les milieux criminels et Seymur* estime que c’est cela explique qui le refus de la police. Une nouvelle agression a lieu deux mois plus tard. Seymur* s’enfuit et cesse ses activités de bloggeur.

En juillet 2011, Seymur*, qui craint pour sa vie, s’exile en Ukraine. Il réside illégalement dans ce pays jusqu’au début du conflit avec la Russie, en 2022. Entre 2016 et 2021, Seymur* était rentré, trois fois en Azerbaïdjan, pour une durée de quelques mois à chaque fois, à l’occasion de son mariage puis de son divorce, pour s’occuper de son père malade, puis suite au décès de ce dernier. A cette période, certaines personnalités politiques étaient décédées, d’autres faisaient l’objet de poursuites pénales, ce qui rendait le pays plus sûr aux yeux de Seymur*.

En mars 2022, Seymur* arrive en Suisse et dépose une demande d’asile. En septembre, il fournit un rapport médical détaillé au SEM soulignant de nombreux problèmes de santé. Néanmoins, le SEM rend une décision négative à sa demande d’asile en novembre. L’autorité conclut à une absence de crainte fondée de persécution et refuse la qualité de réfugié à Seymur* (art. 3 LAsi) . Il détermine que les problèmes de santé de ce dernier ne sont pas une entrave à un retour dans son pays, et prononce une décision de renvoi.

Aidé par une mandataire, Seymur* fait recours auprès du TAF. Il invoque un risque de persécution en cas de retour, attesté par la perquisition du téléphone de sa mère (toujours en Azerbaïdjan) et son interrogatoire par la police pour savoir où est son fils, en novembre 2022. Il rappelle qu’ayant subi des traumatismes physiques et psychologiques depuis l’enfance dans son pays, il n’a jamais reçu les soins adéquats et ne les recevrait donc pas non plus s’il devait y retourner. Ayant été absent plus de dix ans, il n’a plus de réseau sur place. En mai 2023, le TAF rend son verdict (arrêt E-5088/2022). Estimant qu’il n’y a pas lieu d’admettre la vraisemblance (art. 7 LAsi) et la pertinence des faits allégués, il rejette celui-ci. Un mois plus tard, Seymur* est hospitalisé plusieurs jours suite à une tentative de suicide. Fin août, la mandataire de Seymur* transmet ces documents médicaux à l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) du canton, soulignant sa vulnérabilité. Seymur* suit un traitement médicamenteux régulier. A l’automne 2023, l’ex-femme et le fils de Seymur* quittent l’Azerbaïdjan en raison de menaces. Depuis l’été 2023, Seymur* est débouté de l’asile et doit régulièrement se rendre à l’OCPM pour recevoir un tampon pour toucher l’aide d’urgence.

Questions soulevées

  • Alors que des preuves que les proches de Seymur*en Azerbaïdjan subissent des pressions pour informer de sa situation sont fournies, comment les autorités suisses peuvent-elles estimer qu’il n’y a pas de mise en danger en cas de renvoi? Le rapport mondial 2022 de Human Rights Watch confirmant qu’en Azerbaïdjan les persécutions des opposants politiques par le gouvernement azéri continuent, cet élément ne devrait-il pas davantage être pris en compte?
  • L’état de santé, notamment psychologique, de Seymur* n’est pas considéré suffisamment grave par le SEM et le TAF pour constituer un motif de non renvoi. Pourtant, le TAF souligne une dégradation possible, également en Suisse, sans toutefois reconnaître que Seymur* n’a jamais reçu de soins adéquats en Azerbaïdjan. Comment le TAF et le SEM pensent-ils que Seymur* peut se remettre de ses traumatismes, tout en étant renvoyé dans le pays où il en a subi toute sa vie?

Chronologie

2022: demande d’asile (mars), refus par le SEM (nov.), recours au TAF (déc.)

2023: rejet du recours du TAF (mai)

Description du cas

Seymur*, né en 1985, est originaire de Baku en Azerbaïdjan et subit la guerre du Karabakh durant sa jeunesse, ce qui l’affecte psychologiquement. Ayant suivi des cours d’informatique après une formation de cuisinier, il commence en 2010 à tenir un blog où il dénonce des agissements de responsables politiques. En 2011, il est agressé par plusieurs inconnus, au point de perdre connaissance. Il se rend auprès de la police qui n’enregistre pas la plainte. Son oncle est impliqué dans les milieux criminels et Seymur* estime que cela explique le refus de la police. L’oncle informe Seymur* que ses articles dérangent et lui propose une protection, qu’il refuse. Une nouvelle agression a lieu deux mois plus tard, avec menace à l’arme blanche. Seymur* réussit à s’enfuir et cesse alors ses activités de bloggeur.

En juillet 2011, Seymur*, qui craint pour sa vie, s’exile en Ukraine. Il réside illégalement dans ce pays jusqu’au début du conflit avec la Russie, en 2022. Entre 2016 et 2021, Seymur* était rentré trois fois en Azerbaïdjan, pour une durée de un à quelques mois, à l’occasion de son mariage puis de son divorce, pour s’occuper de son père malade puis suite au décès de ce dernier à cause d’une négligence médicale. Il s’agit d’une période où certaines personnalités politiques étaient décédées et d’autres faisaient l’objet de poursuites pénales, ce qui rendait le pays plus sûr aux yeux de Seymur*.

En mars 2022, Seymur* arrive en Suisse et dépose une demande d’asile. En septembre 2022, il fournit un rapport médical détaillé au SEM soulignant de nombreux symptômes : migraines, dorsalgie, troubles du sommeil, problèmes ophtalmiques et psychologiques. Néanmoins, le SEM rend une décision négative à sa demande d’asile en novembre 2022, au motif que les persécutions vécues par Seymur* sont le fait de tiers et qu’il pourrait recevoir protection de la part de l’Etat azéri. Il est reproché à Seymur* de ne pas apporter de preuve concernant le refus par la police azéri d’enregistrer sa plainte en 2011, ni d’avoir tenté de faire valoir ses droits auprès d’une instance supérieure. Le SEM souligne également que Seymur* n’est pas retourné voir la police après la seconde agression. L’autorité estime encore que Seymur* pourrait trouver refuge ailleurs dans le pays, car la persécution vécue est régionale. Enfin, le SEM évalue que les faits se sont déroulés il y a plus de 10 ans et que le blog de Seymur* est arrêté depuis autant de temps, ce qui lève le risque de représailles. Preuve en est que le requérant a pu retourner trois fois en Azerbaïdjan. Le SEM conclut à une absence de crainte fondée de persécution et refuse la qualité de réfugié à Seymur*. Il détermine que les problèmes de santé de ce dernier ne sont pas une entrave à un retour dans son pays, et prononce une décision de renvoi.

Aidé par une organisation, Seymur* fait recours auprès du TAF en décembre 2022. Il invoque un risque de persécution en cas de retour, attesté par la perquisition du téléphone de sa mère (toujours en Azerbaïdjan) et son interrogatoire par la police pour savoir où est son fils, en novembre 2022. Dans son rapport mondial 2022 sur l’Azerbaïdjan, Human Rights Watch confirme les persécutions des opposants politiques par le gouvernement azéri. Ainsi, pour la mandataire, l’exécution du renvoi n’est pas non plus raisonnablement exigible (art. 83 al. 4 LEI), la vie et l’intégrité de Seymur* étant en danger en cas de renvoi (art. 3 CEDH). Enfin, la mandataire rappelle qu’ayant subi des traumatismes physiques et psychologiques depuis l’enfance dans son pays, il n’a jamais reçu les soins adéquats et ne les recevrait donc pas non plus s’il devait y retourner. Ayant été absent plus de dix ans, il n’aurait pas de réseau propre à le soutenir sur place.

En mai 2023, le TAF rend son verdict (arrêt E-5088/2022). Aux motifs que les allégations de persécutions de Seymur* seraient vagues et pas suffisamment fondées, le TAF estime qu’il n’y a pas lieu d’admettre la vraisemblance (art. 7 LAsi), ni la pertinence (art. 3 LAsi) de la demande d’asile. Le TAF ajoute que l’exécution du renvoi est raisonnablement exigible (art. 83 al. 3 et al. 4 LEI), estimant que les problèmes de santé de Seymur* ne sont pas graves au point de mettre sa vie en danger et qu’il pourrait également connaître une dégradation en Suisse. En juin 2023, Seymur* est hospitalisé plusieurs jours suite à une tentative de mettre fin à ses jours. Des rapports médicaux attestent que certains éléments du trouble de stress post-traumatique de Seymur* se seraient renforcés. Fin août 2023, la mandataire de Seymur* transmet ces documents médicaux à l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) du canton, soulignant sa vulnérabilité. De la dysphorie, des affects congruents, des troubles du sommeil, de l’anhédonie, de l’aboulie et des idées suicidaires sont diagnostiqués. Seymur* suit un traitement médicamenteux régulier. La mandataire signale à l’OCPM que ce diagnostic rend ce dernier inapte au voyage, et demande de renoncer à l’exécution de son renvoi. A l’automne 2023, l’ex-femme et le fils de Seymur* quittent l’Azerbaïdjan en raison de menaces. Depuis l’été 2023, Seymur* est débouté de l’asile et doit régulièrement se rendre à l’OCPM pour recevoir un tampon pour toucher l’aide d’urgence. En automne 2023, son dossier a été transmis à OSEARA, entreprise controversée ayant reçu le mandat d’évaluer la situation médicale des personnes et déclarer leur aptitude ou non au renvoi.

Signalé par: Formulaire de contact de l’ODAE romand

Sources: Décision du SEM de novembre 2022 ; décision du TAF E-5088/2022

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