Après plus de trois ans de procédure et quatre décisions différentes, elle obtient l’asile
Ce n’est qu’après avoir rendu trois décisions différentes, dont une non-entrée en matière Dublin, que le SEM accorde l’asile à « Hiwet » et sa fille, trois ans après leur arrivée. Elles ont pourtant toujours invoqué les mêmes motifs d’asile.
Personne(s) concernée(s) : « Hiwet » et sa fille
Statut : qualité de réfugié selon l’art. 3 al. 1 et 2 LAsi
Résumé du cas
Suite à la demande d’asile d’« Hiwet » et de sa fille, le SEM rend dans un premier temps une décision de renvoi Dublin vers l’Italie, sur laquelle il revient après une demande de reconsidération fondée sur l’état de santé de l’enfant.
Un an plus tard, le SEM refuse l’asile, mais octroie une admission provisoire sans qualité de réfugiée, retenant la situation personnelle de la mère et les besoins particuliers de l’enfant. Un recours est alors déposé au TAF expliquant qu’en tant que femme d’un déserteur et vu les perquisitions menées à son domicile par des soldats érythréens, « Hiwet » a une crainte fondée d’être arrêtée et détenue. Au regard des conditions de détention inhumaines prévalant en Érythrée, elle doit donc obtenir l’asile.
Un an plus tard, le SEM revoit sa décision : il reconnaît la qualité de réfugiée à « Hiwet », mais ne lui accorde pas l’asile, estimant que ses motifs sont survenus après sa fuite, selon l’art. 54 LAsi. À la suite de cette décision, la mandataire décide de maintenir son recours. Elle rappelle que les faits invoqués (disparition du mari, perquisitions par les soldats) qui fondent sa crainte d’être persécutée sont survenus bien avant sa fuite.
Finalement, le SEM accepte d’octroyer l’asile à la mère et à la fille. Ce n’est que trois ans après son arrivée, et alors qu’elle a toujours invoqué les mêmes motifs, qu’elle obtient un permis B. Ce statut lui permet enfin d’envisager le regroupement familial de ses trois enfants âgés de 13, 10 et 8 ans qu’elle avait dû laisser avec ses beaux-parents âgés.
Questions soulevées
La tendance illustrée par le cas d’« Hiwet » de prononcer des admissions provisoires en lieu et place de l’asile ne constitue-t-elle pas un manquement au respect de la Convention relative au statut de réfugié et ne remet-elle pas en cause le fondement même du droit d’asile ?
L’admission provisoire est un statut qui restreint de nombreux droits et possibilités. Est-ce acceptable que certaines personnes, qui auraient pourtant droit au statut de réfugié∙e, doivent se contenter de ce statut précaire, que ce soit par manque d’informations ou parce qu’elles ne souhaitent ou ne peuvent pas s’embarquer dans une procédure de recours longue et à l’issue incertaine ?
Chronologie
2014 : Arrivée en Suisse avec sa fille et dépôt d’une demande d’asile (juil.) ; décision du SEM de NEM Dublin et renvoi vers l’Italie (oct.) ; demande de reconsidération d’« Hiwet » (déc.)
2015 : Décision du SEM de fin de la procédure Dublin et entrée en matière sur la demande d’asile (fév.)
2016 : Décision du SEM de rejet de la demande d’asile et d’octroi de l’admission provisoire (août) ; recours de l’intéressée au TAF (sept.)
2017 : 1er arrêt du TAF invitant le SEM à se positionner sur la sortie illégale d’« Hiwet » (août) ; reconsidération partielle du SEM reconnaissant le statut de réfugiées des recourantes (permis F réfugié) (sept.) ; maintien du recours auprès du TAF (sept.) ; 2e arrêt du TAF invitant le SEM à modifier sa position (oct.) ; 2e reconsidération du SEM accordant l’asile à « Hiwet » et sa fille (oct.)
Description du cas
Après la disparition de son mari et deux violentes visites de l’armée à son domicile, « Hiwet » prend la décision de quitter son village en Érythrée. La peur d’être emprisonnée la pousse à laisser trois de ses enfants chez ses beaux-parents et partir avec sa cadette vers la capitale, Asmara. Là-bas, sa fille présente de graves problèmes de santé et subit une lourde opération du crâne. Grâce à l’aide de son frère, « Hiwet » fuit son pays avec sa fille en 2014.
Arrivée en Suisse, elle dépose une demande d’asile la même année. Le SEM refuse d’entrer en matière sur sa demande et rend une décision de renvoi vers l’Italie (NEM Dublin). Deux mois plus tard, « Hiwet » et sa mandataire déposent une demande de reconsidération soulignant notamment les problèmes de santé de sa fille. Elles demandent que soit appliquée la clause de souveraineté et invoquent « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Les besoins médicaux de la fille d’« Hiwet » demandent un suivi complexe et régulier et les déplacements sont totalement contre-indiqués selon le corps médical. En février 2015, le SEM met fin à la procédure Dublin et décide d’entrer en matière sur la demande d’asile.
En août 2016, le SEM accorde à « Hiwet » et à sa fille une admission provisoire (permis F) au vu de la situation personnelle de la mère et de l’état de santé de l’enfant. Pourtant, il refuse de lui accorder l’asile et soutient que l’interrogation et la perquisition de son domicile par des militaires ne constituent pas des faits d’une intensité suffisante à rendre la vie intolérable dans son pays.
Dans un recours déposé au TAF, « Hiwet » et sa mandataire contestent cette dernière décision. Selon elles, « Hiwet » remplit la qualité de réfugiée : ses craintes d’être exposée à de sérieux préjudices au sens de l’art. 3 LAsi sont objectivement fondées. Étant donné les soupçons de complicité qui pesaient sur elle suite à la désertion de son mari et vu les perquisitions menées à son domicile, elle risquait d’être arrêtée à tout moment et de subir des conditions de détention indignes, courantes en Érythrée. « Hiwet » ajoute que ces craintes sont renforcées par les nombreuses arrestations dont sont victimes les épouses de déserteurs. Enfin, elle souligne que sa sortie illégale du pays l’exposerait également à de sérieux préjudices au sens de l’art. 3 LAsi en cas de retour en Érythrée.
Une année plus tard, le TAF accepte les arguments avancés dans le recours et invite le SEM à se prononcer sur la sortie illégale d’« Hiwet ». Celui-ci reconsidère la demande et reconnaît à « Hiwet » la qualité de réfugiée, au vu de la désertion de son mari, des visites de l’armée à son domicile et de sa sortie illégale. Mais le SEM refuse de lui accorder l’asile arguant que les éléments pertinents en matière d’asile ne sont survenus qu’en raison de son départ illégal d’Érythrée, constituant ainsi des motifs subjectifs survenus après la fuite (art. 54 LAsi).
« Hiwet » maintient son recours auprès du TAF. Elle rappelle que les faits invoqués (disparition du mari, perquisitions par les soldats) qui fondent sa crainte d’être persécutée sont survenus bien avant son départ du pays. Finalement, après avoir été invité une nouvelle fois à se prononcer, le SEM reconsidère sa décision et accorde l’asile à « Hiwet » et à sa fille, plus de trois ans après leur arrivée et après l’avoir refusé par trois fois.
Signalé par : Elisa-Asile Genève
Sources : procès-verbal des 1re et 2e auditions, demande de reconsidération au SEM, décision de fin de la procédure Dublin, décisions d’asile du SEM, recours au TAF et complément au recours, arrêts du TAF E-5733/2016 du 30.08.2017 et du 03.10.2017, décision de reconsidération partielle du SEM et reconsidération de décision du SEM