« Si j’avais pu, je serais peut-être partie et j’aurais fait ma vie de mon côté. »
Gina* arrive en Suisse en 2008 et reçoit un permis de séjour par regroupement familial avec son compagnon, Pedro*. Elle dépend alors entièrement du statut de ce dernier. Lorsque Pedro* rencontre des problèmes de santé qui l’empêchent de travailler, les autorités informent le couple de leur intention de ne pas renouveler leur permis. Pedro* a pourtant travaillé durant plus de quinze ans sur les chantiers en Suisse.
Mots-clés: ALCP, conditions de vie, âge et migration, droit de demeurer, santé, AI, précarité, permis L
Personne(s) concernée(s) (*prénom fictif): Gina*, née en 1953 ; Pedro*, né en 1962
Origine: Portugal
Statut: Permis L, puis permis B
Chronologie:
2002: Installation définitive de Pedro* en Suisse ; 1er permis L.
2008: Arrivée de Gina* par regroupement familial (permis L)
2016: Problèmes de santé et incapacité de travail de Pedro* à 100% (mai)
2018: Préavis négatif du SPOP pour le renouvellement des permis L de Pedro* et Gina* (juillet)
2019: Décision de rente AI à 57% pour Pedro* (janvier) ; Intention du SPOP de refuser le renouvellement de leurs permis et de prononcer leur renvoi de Suisse (mai)
2020: Préavis positif du SPOP pour l’octroi d’un permis B (jan.) ; Préavis négatif du SEM (juin) ; Permis de séjour B octroyé.
Questions soulevées:
- Pourquoi les préavis négatifs ou les refus de renouvellement des permis de séjour ne sont-ils pas mieux étudiés avant d’être rendus afin de respecter les droits des personnes concernées ?
- L’utilisation par les autorités d’immigration d’un jargon que même les professionnel·les du domaine social peinent à comprendre ne revient-il pas à créer une barrière d’accès aux prestations sociales alors même que les concerné·es y auraient droit ?
- Les protections du droit de séjour lors d’une séparation du couple sont-elles suffisantes, lorsque le droit de séjour de l’un∙e des conjoints dépend de l’autre conjoint ?
Description du cas:
Pedro* travaille en Suisse tant qu’ouvrier dans la construction, sporadiquement depuis 1994 et de manière continue depuis 2002. Il a toujours obtenu des CDD d’une durée de dix mois, renouvelés quatorze ans durant par le même employeur, entrecoupés de périodes de chômage durant les deux mois d’hiver lorsque les chantiers sont à l’arrêt. Il obtenait alors chaque année un permis L. Gina*, son épouse est venue le rejoindre en 2008. Elle reçoit un permis de séjour de courte durée L par regroupement familial. Elle dépend alors entièrement du statut de son mari.
En 2016, Pedro* se retrouve subitement en arrêt de travail du fait d’une douleur au genou. Au vu de ses problèmes de santé multiples, une demande AI est déposée. Celle-ci lui est octroyée à un taux d’incapacité de 57%.
En 2018, les autorités cantonales informent le couple de leur intention de ne pas renouveler leur permis. Elles arguent que Pedro* ne remplit pas la qualité de travailleur du fait de ses CDD de moins d’une année et ne peut par conséquent pas bénéficier d’un « droit de demeurer ». Autre fait reproché, les rentes AVS de Gina* et AI de Pedro* ne sont pas suffisantes à couvrir leurs besoins vitaux et le couple a bénéficié de manière transitoire de l’aide sociale.
Les autorités fédérales reprochent également à Pedro* de ne pas travailler ni être inscrit au chômage pour le taux de 43% que sa rente AI ne couvre pas. En réalité, comme il n’est pas jugé apte au placement par le chômage ni l’aide sociale, ces offices refusent de lui octroyer des mesures de réinsertion ou de formation. Ils estiment que sa réinsertion sur le marché de l’emploi est « difficile voire impossible » compte tenu de son âge, de son manque de qualifications et de son état de santé.
Cette situation d’insécurité quant à leur statut a fortement impacté la santé mentale de Gina* : « Pour moi, c’était dur psychologiquement parce que je voyais le temps passer… et rien venir. On s’accrochait à certaines lois, que moi je ne connaissais pas. Je ne suis pas venue en Suisse pour vivre de l’aide sociale. Je n’aime pas ça, mais je ne m’attendais pas à ce que mon mari tombe malade, je pensais qu’il allait travailler jusqu’à la retraite. Mais la vie ça ne se passe pas comme on imagine. C’était fatiguant psychiquement, parce que j’avais peur d’être expulsée. »
Finalement, après deux ans de bataille juridique, les autorités cantonales reconnaissent que Pedro* possédait bien la qualité de travailleur au moment de son accident. Gina* et Pedro* obtiennent alors le renouvellement de leurs autorisations de séjour et des permis B leurs sont octroyés. Cependant, le statut de Gina* continue de dépendre de celui de son mari. « Le fait que mon permis en Suisse soit lié au statut de mon mari a été un problème pour moi, parce que je dépendais de lui. À l’époque, je travaillais en tant que femme de ménage mais je n’ai jamais trouvé un patron qui accepte de me déclarer. Le temps a passé et, comme je n’ai jamais été déclarée, je n’ai jamais cotisé. Cela ne m’a pas aidé pour me libérer. Si j’avais pu, je serais peut-être partie et j’aurais fait ma vie de mon côté. ». Une possibilité que Gina* continue d’envisager. « Il me menace souvent de me mettre à la porte. Même s’il ne peut pas car on est marié∙es, je voudrais mettre mon nom sur le bail et lui dire qu’en Suisse on protège les femmes aussi. J’ai 70 ans et je suis à la retraite. Peut-être que j’aurai les prestations complémentaires si je divorce. »
Signalé par: La Fraternité, CSP Vaud
Sources: Entretien avec Gina*, courriers du SPOP, du SEM et de la Fraternité du CSP