En incapacité de travail et sans aucune assistance, il se retrouve dans le dénuement complet

Suite à un accident et à plusieurs problèmes de santé, Joaquim* se retrouve, à 64 ans, en incapacité de travail totale. Alors qu’il remplit toutes les conditions pour bénéficier d’une rente-pont, il ne parvient pas à en faire la demande, les démarches étant trop complexes. Sans aucune assistance professionnelle, Joaquim* se retrouve livré à lui-même et survit uniquement grâce au soutien de ses connaissances.

Mots-clés: Conditions de vie, aide sociale, ALCP

Personne concernée (*prénom fictif): Joaquim*

Origine: Portugal

Statut: NEM Permis B (travail)

Chronologie

2017 : Arrivée en Suisse. Octroi du permis L.

2018 : Octroi d’un permis B.

2019 : Arrêt de travail en raison d’un accident.

2022 : Incapacité de travail complète, fin des indemnités chômage (avril) ; octroi du revenu d’insertion (novembre) 2023 : Demande de renouvellement du permis B (janvier) – toujours en attente ; octroi de la rente-pont (mai)

Description du cas

« J’étais perdu dans le système, et je n’ai reçu aucune aide pour m’y retrouver. Quand je n’avais plus de quoi manger, ce sont mes amis qui me donnaient de l’argent. C’était très difficile. »

Joaquim* a un parcours de travail polyvalent et typique de la mobilité voulue au sein de l’Union européenne : après quelques années d’emploi en tant que boulanger au Portugal, il est engagé comme plafonnier en Allemagne. À la fermeture de l’entreprise, 5 ans plus tard, il retourne au Portugal où il travaille 9 mois comme charpentier. Il retrouve peu de temps après un emploi en Allemagne en tant que manœuvre de chantier, qu’il garde durant 16 ans. Il fait ensuite d’autres expériences professionnelles, notamment en Corse et en France.

Joaquim* s’installe finalement en Suisse en 2017, pour y travailler comme maçon, afin de soutenir financièrement sa famille au Portugal. Il est alors âgé de 57 ans. Il reçoit d’abord un permis L valable une année, puis un permis B. 

En 2019, il se casse le pouce. Il doit être opéré à deux reprises et se trouve donc en arrêt de travail. En raison de son contrat de travail « atypique » (sans revenu minimal ou taux d’emploi assuré), il ne bénéficie de l’assurance perte de gain (APG) que durant quelques mois. Il perçoit ensuite les indemnités de l’assurance chômage.

Mais d’autres problèmes de santé viennent s’ajouter. Joaquim* souffre notamment de thromboses et d’œdèmes, pour lesquels il devra être opéré 6 fois. Il raconte avoir, aujourd’hui, 180 agrafes dans les jambes. En 2022, à cause de ses problèmes de santé, il perd toute capacité de travail. Par conséquent, il perd également son droit aux indemnités chômage puisqu’il est devenu inapte au placement.

Joaquim* demeure sans aucune aide financière. Il se rend dans un office de sa commune en charge des assurances sociales pour demander de l’aide. Mais, alors qu’il remplit toutes les conditions pour percevoir une rente-pont, aucune demande n’est déposée en sa faveur. Un mois plus tard, il se rend auprès d’un office d’aide sociale. Un dossier est alors ouvert pour une demande d’aide sociale mais les démarches sont trop complexes, uniquement en français, et nécessitent une importante quantité de documents. Sans soutien professionnel pour mener ces démarches, Joaquim* abandonne.

Au total, durant près de six mois, il survit en demandant à des connaissances de lui prêter de l’argent pour subvenir à ses besoins vitaux. Le propriétaire du logement qu’il loue accepte de retarder le paiement du loyer, faute de quoi Joaquim* se serait retrouvé à la rue. Il explique que cette période a été extrêmement difficile pour lui et l’a plongé dans une dépression. Il raconte avoir envisagé de mourir, mais avoir tenu bon grâce à sa femme et ses enfants à qui il téléphonait tous les jours.

Finalement, une infirmière à domicile alertée par la situation de complet dénuement dans laquelle se trouve Joaquim* contacte une assistante sociale d’un autre service. Celle-ci reprend l’intégralité du dossier de Joaquim*. En novembre 2022, elle dépose en urgence une demande de revenu d’insertion puis également la rente-pont à laquelle Joaquim* avait droit depuis le début. Joaquim* accède également aux Cartons du Cœur (une association de distribution de produits alimentaires gratuits pour quelques repas par semaine). Finalement, la rente-pont lui est accordée en mai 2023.

Joaquim* explique qu’il était perdu dans le système. Durant plus de six mois, il n’a bénéficié d’aucun accompagnement pour s’y retrouver et s’en est sorti uniquement grâce à son réseau informel. Aujourd’hui, il est placé sous curatelle, sa situation financière et administrative est suivie par une professionnelle.

Actuellement, Joaquim* attend le renouvellement de son permis B, échu en janvier 2023. Puisqu’aucune demande de rente invalidité (AI) n’avait été déposée en son nom, et au vu de son bref passage par le revenu d’insertion, Joaquim* craint que les autorités ne renouvellent pas son permis. L’application restrictive de l’ALCP pratiquée par les autorités ne permet pas de lui donner des garanties rassurantes pour le maintien de son statut de séjour et une décision d’expulsion du territoire suisse est probable. Joaquim* se trouve face à l’incertitude de l’avenir.

Questions soulevées

  • Comment se fait-il qu’une personne qui perd son droit de chômage en raison de l’impossibilité de son placement pour raisons de santé, ne reçoive aucun accompagnement pour prévoir la suite ?
  • Pourquoi, lorsqu’une personne se retrouve en incapacité de travail complète pour des problèmes de santé, une demande de rente invalidité n’est-elle pas automatiquement déposée ? 
  • Comment se fait-il que les personnes qui travaillent en Suisse puis se retrouvent gravement atteintes dans leur santé n’aient pas de garantie du maintien de leur statut de séjour ?

Signalé par : EPER Vaud – octobre 2023

Sources : Entretien avec Joaquim* et avec l’EPER Vaud

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