Séparation d’une famille: les autorités suisses octroient un permis B aux enfants mais renvoient les parents

Isak*, Katrina*, et leurs trois enfants, une famille rrom fuyant des persécutions en Serbie, arrivent en Suisse en novembre 2011 pour y demander l’asile. Les enfants ont alors respectivement 13 (Lorena*), 11 (Sonja*) et 7 ans (Danilo*). En juin 2012, le SEM (alors ODM) rejette leur demande d’asile et ordonne leur renvoi. Cinq ans plus tard, en novembre 2017, le SEM approuve la régularisation du séjour des deux sœurs ainées, dont une est encore mineure. En février 2018, l’autorité confirme le renvoi des parents et du frère cadet. Ce dernier sera finalement régularisé à son tour en 2022, à sa majorité. En 2023, la troisième demande de régularisation des parents, déposée notamment sur la base de l’unité familiale (les trois enfants possédant des permis B), est classée sans suite.

Personne concernée (*Prénom fictif): Isak*, Katrina*, Lorena*, Sonja* et Danilo*

Origine: Serbie

Statut: aucun (parents) ; permis B (enfants)

Chronologie 

2011 : demande d’asile (nov.)

2012 : décision négative de l’ODM (juin), recours (juil.), arrêt négatif du TAF (sept.)

2017 : demande d’autorisations de séjour (mai) ; approbation par le canton et transmission au SEM (sept.), décision positive du SEM pour Lorena* et Sonja* (nov.)

2018 : décision négative du SEM pour Danilo* et ses parents (fév.), recours au TAF (mars)

2019 : arrêt négatif du TAF (fév.) ; demande de réexamen (mai) ; décision négative du SEM (sept.)

2022 : demande de réexamen et décision négative du SEM (février) ; demande d’autorisation de séjour pour formation professionnelle en faveur de Danilo* et cas de rigueur pour les parents (juin). Préavis positif du canton pour Danilo* seulement et transmission de la demande au SEM (déc.).

2023 : Octroi d’une autorisation de séjour pour Danilo* (juin) ; demande de réexamen pour Isak* et Katrina*, classement sans suite par le SEM (déc.)

Questions soulevées

  • Comment est-ce possible de prononcer le renvoi des parents alors que deux de leurs enfants – dont une fille encore mineure – ont été régularisées ? Quel intérêt public majeur peut justifier la séparation d’une famille ?
  • Comment est-ce que le canton peut tolérer que des enfants vivent à l’aide d’urgence durant plus de cinq ans, alors que les conditions de vie sous un tel statut impactent fortement leur santé psychique, leur vie sociale et leur parcours scolaire ?
  • Reprocher à une personne d’avoir un jour eu une condamnation pour séjour illégal et en faire un motif de refus de régularisation du séjour ne revient-il pas à vider de leur sens les dispositions légales qui prévoient justement des possibilités de régularisation pour les personnes déboutées ou sans-papier ?
  • De la même manière, comment peut-on reprocher à une personne interdite de travailler de ne pas avoir eu « une carrière professionnelle fulgurante » ? Cela ne revient-il pas, in fine, à condamner les personnes sans statut de séjour à ne jamais pouvoir être régularisées ?

Description du cas

Isak*, Katrina* et leurs trois enfants fuient la Serbie où iels subissent des persécutions en raison de leur appartenance à la minorité rrom. La famille arrive en Suisse en novembre 2011 et y dépose une demande d’asile. Les enfants ont alors respectivement 13 (Lorena*), 11 (Sonja*) et 7 ans (Danilo*). En juin 2012, l’ODM (anciennement le SEM) rejette leur demande et ordonne leur renvoi de Suisse. Avec l’aide d’une mandataire juridique, la famille interjette un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF), mais celui-ci est rejeté en septembre 2012. La famille est alors bloquée à l’aide d’urgence, dans une très grande précarité, sans droit de travailler.

En mai 2017, la famille dépose une demande de régulation sous l’angle de l’art.14 al.2 LAsi. Le canton y répond favorablement et transmet leur requête au SEM pour approbation, sous deux angles: pour les sœurs aînées, alors âgées respectivement de 19 et 17 ans, qui ont toutes deux réussi à décrocher des places d’apprentissage, le canton se déclare favorable à une régularisation pour leur permettre de poursuivre leur formation professionnelle (art.30a OASA). Pour les parents et le fils cadet, le canton propose au SEM une dérogation aux conditions d’admission pour cas de rigueur (l’art.14 al.2 LAsi).

En novembre 2017, le SEM rend une décision positive à l’octroi d’autorisations de séjour en faveur des deux sœurs aînées, Lorena* et Sonja*. Le même jour, mais dans un courrier séparé, il annonce toutefois envisager de refuser la demande de cas de rigueur en ce qui concerne Danilo* et ses parents. Bénéficiant d’un droit d’être entendu, Isak* et Katrina* font alors valoir leur droit à l’unité familiale, puisque leurs filles ont pu être régularisées, notamment au regard de l’art. 8 CEDH. Il et elle soulignent également le besoin de leurs filles de leur soutien financier durant la formation, ainsi que leurs attaches personnelles en Suisse après les nombreuses années passées dans le pays.

En février 2018, le SEM confirme cependant sa décision de refus. L’autorité considère que leur situation n’est pas constitutive d’un cas individuel d’extrême gravité. Elle souligne notamment qu’Isak* et Katrina* n’ont jamais été financièrement indépendant·es, qu’iels n’ont « pas connu une importante ascension professionnelle » ni développé des pratiques ou qualifications qu’iels ne pourraient pas mettre en pratique dans leur pays d’origine. Le SEM relève en outre qu’Isak* a fait l’objet de deux condamnations (la première pour une infraction d’importance mineure, la seconde pour séjour illégal). Concernant la séparation de la famille, le SEM estime que les deux filles aînées, qui ont achevé avec succès leur scolarisation « peuvent aujourd’hui envisager leur avenir de manière autonome ». Danilo*, alors âgé de 13 ans, est considéré comme toujours intimement lié à la situation de ses parents, de sorte qu’ « un renvoi des intéressés en Serbie ne devrait pas les confronter à des obstacles insupportables ».

Danilo*, Katrina* et Isak* déposent un recours auprès du TAF. En février 2019, celui-ci est rejeté. Le TAF confirme l’appréciation du SEM dans son ensemble. Concernant la séparation de la famille, il ajoute qu’une exception au principe de l’unité de la famille peut être faite dans le cas d’espèce puisque la fille aînée est majeure et que la seconde n’est pas loin de la majorité. Concernant la protection de la vie familiale (art. 8 CEDH), le TAF souligne en outre que les parents n’auraient pas démontré un quelconque lien de dépendance avec leurs deux filles.

En mai 2019, Isak*, Katrina* et Danilo* demandent au SEM le réexamen de la décision de renvoi rendue à leur encontre en 2012. Le SEM rejette cette nouvelle demande en septembre 2019. En février 2022, la famille demande à nouveau au SEM le réexamen de leur situation, mais leur requête est rejetée en l’espace d’une semaine.

En juin 2022, Danilo* trouve à son tour une place d’apprentissage. Avec l’aide d’un juriste, il dépose une nouvelle demande d’autorisation de séjour pour lui et pour ses parents, sur la base de l’art. 30a OASA qui vise à permettre la réalisation d’une formation professionnelle initiale. En décembre 2022, le canton informe accepter la demande pour Danilo*, qui est entre-temps devenu majeur, mais pas pour ses parents. Le SEM approuve la délivrance d’un permis B en faveur de Danilo* en juin 2023.

En décembre 2023, lsak* et Katrina* déposent une troisième demande de reconsidération de la décision de leur renvoi. Leur mandataire juridique invoque le fait que le couple réside désormais en Suisse depuis plus de 12 ans et que leurs trois enfants sont titulaires de permis B. Elle souligne l’intégration sociale de la famille, l’état de santé psychique très fragile de Katrina*, ainsi que l’absence de tout réseau de soutien en Serbie qui fait que, en cas de retour, le couple aurait de grandes difficultés se réintégrer. Mais la demande est classée sans suite par le SEM après 4 jours, au motif qu’elle ne contiendrait aucun nouvel élément justifiant un réexamen.

Signalé par: SAJE Vaud

Sources: Demandes de régularisation et de reconsidération, Décisions de l’office cantonal de la population et du SEM, arrêts du TAF et témoignage de la famille.

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