Refus de regroupement familial pour le fils de 16 ans d’une Suissesse au motif que la demande a été déposée hors délai
Anis* vit en Tunisie. Il a 10 ans lorsque sa mère part s’installer en Suisse par regroupement familial auprès de son nouveau mari. Il est alors confié à la garde de sa grand-mère. Celle-ci décède 2 ans plus tard, et Anis* finit par être recueilli, temporairement, par une de ses tantes. Lorsque sa mère obtient la nationalité suisse, en 2022, elle dépose une demande de regroupement familial pour faire venir son fils auprès d’elle. Mais la requête est rejetée car hors délai. Le Tribunal cantonal puis le Tribunal fédéral rejettent tous deux les recours déposés par Anis* et sa mère, estimant qu’il n’existe pas de raisons familiales majeures qui justifieraient un regroupement tardif.
Personnes concernées (*Prénoms fictifs): Radhia* et son fils Anis*
Origine: Tunisie
Statut: Suissesse ; aucun
Chronologie
2016 : arrivée en Suisse de Radhia*
2022 : naturalisation de Radhia* (mars), demande de regroupement familial pour Anis* (juin)
2023 : refus de la demande par le SPOP (mars), recours auprès du Tribunal cantonal (oct.)
2024 : rejet du recours (juil.), recours auprès du Tribunal fédéral (sept.)
2025 : rejet du recours (fév.)
Questions soulevées
- Lorsqu’une demande de regroupement familial est déposée hors du délai légal, les autorités ont la possibilité de l’accepter au nom de raisons familiales majeures. Pourquoi est-ce qu’elles ne font valoir cette possibilité que de façon aussi restreinte ? Comment se fait-il que les autorités nient l’existence de raisons familiales majeures à un enfant seul, non pris en charge par son deuxième parent et souffrant de troubles psychiques ?
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- La naturalisation d’une personne étrangère fait repartir un nouveau délai pour demander le regroupement familial, à la condition qu’il y ait eu, auparavant, une demande déposée dans le délai initial, même si les conditions pour qu’elle aboutisse n’étaient aucunement remplies. Pourquoi est-ce que les autorités n’en informent pas les personnes ?
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- Le fait que le Tribunal retienne comme argument le fait qu’Anis* est âgé de 19 ans au moment du rendu de son arrêt n’est-il pas arbitraire, puisque cela est dû uniquement à la durée de traitement de son dossier par les autorités ? N’est-il pas injuste de rejeter les conséquences de la durée de traitement du dossier par le tribunal sur les personnes concernées ?
Description du cas
Né en 2006, Anis* vit en Tunisie. À la suite du divorce de ses parents en 2009, il est confié à sa mère, Radhia*, qui se remarie quelques années plus tard avec un ressortissant suisse. En 2016, Radhia* arrive en Suisse et obtient une autorisation de séjour pour regroupement familial. Avant son départ, elle confie Anis* à sa propre mère. Le frère aîné de Anis*, lui, rejoint leur mère en Suisse quelques temps plus tard. En 2018, la grand-mère d’Anis* décède et ce dernier doit donc retourner vivre chez son père, qui se montre négligent et violent à son encontre. Anis* finit par aller vivre chez une de ses tantes maternelles.
En mars 2022, Radhia* obtient la nationalité suisse. En juin de la même année, Anis*, alors âgé de 16 ans, dépose une demande de visa pour regroupement familial auprès de l’ambassade suisse à Tunis pour rejoindre sa mère. En mars 2023, le Service cantonal de la population (SPOP), auquel sa demande a été transmise, la refuse. Anis* fait opposition à ce refus, mais le SPOP confirme sa décision en septembre. En octobre, Radhia*, en qualité de représentante légale de son fils, dépose un recours contre cette décision auprès du Tribunal cantonal, invoquant une violation de l’art. 8 CEDH. Celui-ci est rejeté par le Tribunal cantonal en juillet 2024. En septembre 2024, Anis*, appuyé par un mandataire, dépose alors un recours auprès du Tribunal fédéral (TF). Il reproche notamment aux autorités cantonales d’avoir estimé que sa mère pouvait lui apporter un soutien affectif et éducatif à distance (appels téléphoniques et visites). Il produit, à l’appui, un certificat de son psychologue qui souligne l’importance pour son équilibre psychique de pouvoir être auprès de sa mère.
En février 2025, le TF rappelle que le délai pour demander un regroupement familial pour un enfant âgé de plus de 12 ans est d’un an dès l’arrivée en Suisse du parent ou dès l’établissement du lien de filiation, ou à partir du jour ou l’enfant a eu 12 ans1. Le Tribunal précise que « lorsqu’un parent d’origine étrangère acquiert la nationalité suisse après son arrivée en Suisse, cette naturalisation peut également déclencher un nouveau délai pour demander le regroupement familial, mais uniquement si une première demande a été préalablement déposée dans les délais de l’art. 47 LEI ».
Or, la première demande de regroupement familial a été déposée en juin 2022, soit plus de 6 ans après l’arrivée de Radhia* en Suisse, alors qu’Anis* avait déjà 16 ans. Elle était donc tardive. Et comme aucune demande n’avait été préalablement déposée dans les délais prévus par la loi, la naturalisation suisse de Radhia* n’ouvre pas un nouveau délai.
Toutefois, lorsque la demande est déposée hors délais, comme c’est le cas pour Anis* et Radhia*, les autorités peuvent quand même autoriser le regroupement familial au motif de raisons familiales majeures (art. 47 al. 4 LEI). Mais dans le cas précis, le TF considère que comme Anis* est désormais âgé de 19 ans (au moment de l’arrêt du Tribunal), et qu’il a vécu déjà huit ans loin de sa mère, il n’y a pas de raisons familiales majeures justifiant ce regroupement familial. Bien qu’il reconnaisse la fragilité psychique d’Anis*, il estime qu’elle plaide pour un rejet de la demande car Anis* « se heurterait vraisemblablement à d’importantes difficultés d’intégration en Suisse ». Le TF rejette donc le recours.
Source: Tribunal fédéral 2C_454/2024 arrêt du 05.02.2025