Après plus de trois ans de procédure, elle peut enfin rejoindre sa mère en Suisse

Alors que l’autorité cantonale avait donné un préavis positif à Hannah*, le SEM refuse le regroupement familial différé de sa fille Joceline*, parce qu’il considère qu’aucune raison familiale majeure ne s’impose. Il faudra près de 4 ans et un recours auprès du TAF, pour que Joceline*, qui vit au Cameroun sans père et avec sa grand-mère très malade, puisse rejoindre sa mère en Suisse.

Personne·s concernée·s (prénom∙s fictif∙s) : Hannah*, née en 1984 et sa fille Joceline*, née en 2002

Origine : Cameroun

Statut : visa obtenu en vue du regroupement familial

Résumé du cas

Hannah*, ressortissante camerounaise née en 1984, a obtenu un permis de séjour pour cas de rigueur en raison de son état de santé en janvier 2015. Après une année et quelques jours, une requête de visa de long séjour pour le regroupement familial de sa fille Joceline* est enregistrée auprès de l’ambassade de Suisse à Yaoundé. Joceline y vit avec sa grand-mère, dont l’état de santé se dégrade. En février 2017, malgré le dépassement du délai d’un an autorisé pour ce type de demande et après plusieurs échanges de courriers, le SPOP accepte d’octroyer une autorisation d’entrée à Joceline, sur la base de l’art. 47 al. 4 LEtr (aujourd’hui LEI) qui autorise un regroupement familial différé pour des « raisons familiales majeures ». Le dossier est transmis au SEM pour approbation. Celui-ci la refuse en juin 2017, arguant que la demande a été déposée tardivement, et qu’aucune raison familiale majeure ne peut justifier l’admission de la demande. De plus le SEM juge que les conditions ne sont pas remplies pour le regroupement familial, Hannah ne disposant pas d’un logement approprié, au sens de l’art. 44 al.1 let. B LEtr.

En juillet de la même année, avec l’aide de sa mandataire, Hannah dépose un recours auprès du TAF. Selon la mandataire, il y a lieu d’admettre que la demande était déposée dans le délai à respecter : l’ambassade a effectivement refusé d’enregistrer la demande le jour de Noël 2015, quelques jours avant l’expiration du délai d’une année. Et pour elle, même si la demande devait être considérée comme tardive,  la décision du SEM constitue une violation du droit à la vie familiale, protégée par l’art. 8 CEDH, et de l’art. 3 al.1 CDE qui protège l’intérêt supérieur de l’enfant. Toutes les conditions sont remplies pour admettre les raisons familiales majeures (art. 44 al. 4 LEtr ; art. 73 al. 3 et art. 75 OASA) et accepter la demande. La mandataire précise que l’état de santé de la grand-mère de Joceline s’est tellement dégradé qu’elle n’est plus en mesure de s’occuper de sa petite-fille. Enfin, elle souligne qu’Hannah a les ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de sa fille.

Par son arrêt rendu le 18 décembre 2019, le TAF annule la décision du SEM et accorde une autorisation de séjour à Joceline pour regroupement familial. Il refuse de considérer que la demande a été déposée dans le délai d’un an, mais accepte l’existence des raisons familiales majeures. Il reconnait que l’intérêt de la fille passe par sa venue en Suisse où elle vivra une situation plus favorable à son développement personnel, parce qu’elle pourra compter sur le soutien de sa mère. Concernant la question du logement, il considère qu’on ne peut exiger d’Hannah qu’elle déménage tant que sa demande de regroupement familial est incertaine.

Questions soulevées

D’après la loi (art. 47 al. 4 LEtr) le regroupement familial différé est possible lorsque des raisons familiales majeures l’imposent. Le SEM n’aurait-il pas pu considérer, comme le TAF l’a fait, que lorsqu’un enfant n’a plus qu’un seul de ses parents, son intérêt est de vivre avec celui-ci ?

Alors que toutes les conditions semblaient remplies pour admettre des raisons familiales majeures, le regroupement familial aura duré plus de 4 ans. L’allongement excessif de la procédure par les différentes autorités ne constitue-t-il pas un manquement au respect du droit à la vie familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant ?

Chronologie

2015 : Obtention d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur par Hannah (janvier)

2016 : Enregistrement d’une demande de visa de long séjour en vue de regroupement familial pour Joceline à l’Ambassade de Suisse à Yaoundé (janvier)

2017 : Décision favorable du SPOP (février) ; refus de l’approbation du SEM (juin) ; recours devant le TAF (juillet)

2019 : Décision du TAF annulant la décision du SEM (décembre)

Description du cas

En janvier 2016, une requête de visa de long séjour pour le regroupement familial en faveur de Joceline, ressortissante camerounaise née en 2002, est déposée auprès de l’Ambassade de Suisse à Yaoundé. N’ayant aucun contact avec son père, Joceline souhaite rejoindre sa mère Hannah en Suisse. Hannah est arrivée en 2005, suite à de fausses promesses d’emploi, et a vécu sans autorisation de séjour jusqu’en janvier 2015. C’est après une très longue procédure de régularisation et un recours au TAF qu’Hannah a pu bénéficier d’un cas de rigueur en raison de son état de santé. Sa régularisation lui ouvre donc une possibilité de regroupement familial qu’elle fait valoir immédiatement, par l’intermédiaire de son frère au Cameroun. Avant d’accepter le dossier, l’Ambassade suisse demande cependant une décision judiciaire attestant qu’Hannah a l’autorité parentale et que le père de Joceline a disparu. Il faudra près d’une année pour réunir les documents nécessaires et l’acceptation du dossier n’aura lieu que fin janvier 2016, l’ambassade ayant entretemps refusé l’enregistrement de la requête le jour de Noël 2015, quelques jours avant l’expiration du délai d’un an autorisé pour les demandes de regroupements familiaux. En effet, selon l’art. 47 al. 1 LEtr, les demandes pour les enfants de plus de 12 ans doivent être déposées dans un délai de 12 mois en comptant de l’obtention d’un permis de séjour ou de l’établissement du lien familial.

En février 2017, malgré le dépassement du délai de quelques jours, le SPOP donne un préavis positif pour l’autorisation d’entrée de Joceline, sur la base de l’art. 47 al. 4 LEtr qui autorise un regroupement familial différé pour des « raisons familiales majeures ». Plus d’une année et plusieurs échanges de courriers visant la récolte d’informations relatives aux relations entre Hannah et Joceline, ainsi qu’à l’entourage familial de cette dernière au Cameroun, auront été nécessaires pour le préavis positif du SPOP. Le dossier est ensuite transmis au SEM pour approbation. Celui-ci la refuse en juin 2017, jugeant que la demande a été déposée tardivement, et qu’aucune raison familiale majeure ne peut justifier son admission. Le SEM considère qu’il est dans l’intérêt supérieur de Joceline de rester au Cameroun, pays où elle a passé son enfance et adolescence et où sa personnalité a été ainsi forgée par son environnement social et culturel. De plus, le SEM argue que les conditions pour le regroupement familial ne sont pas remplies, Hannah ne disposant pas d’un logement approprié, au sens de l’art. 44 al.1 let. B LEtr.

En juillet, avec l’aide d’une mandataire, Hannah dépose un recours au TAF. La mandataire revient sur les différents obstacles qu’ont connus Hannah et Joceline pour déposer leur demande. Elle demande d’admettre que celle-ci a été déposée dans les délais. Surtout, la mandataire, considère que le refus du SEM constitue une violation du droit à la vie familiale, protégée par l’art. 8 CEDH, et de l’art. 3 al.1 CDE qui protège l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle montre que toutes les conditions sont remplies pour admettre les raisons familiales majeures (art. 44 al. 4 LEtr ; art. 73 al. 3 et art. 75 OASA). Joceline a en effet perdu son grand-père en décembre 2014 et l’état de santé de sa grand-mère, âgée de 70 ans, s’est tellement dégradé qu’elle n’est plus en mesure de s’occuper de sa petite-fille. Aucun autre membre de sa famille ne pouvant s’occuper de Joceline au Cameroun, la mandataire conclut que seul le regroupement familial peut servir « l’intérêt supérieur » de Joceline. Enfin, la mandataire précise également qu’Hannah a les ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de sa fille avec laquelle elle a toujours maintenu contact. Quant à la question du logement approprié, elle souligne qu’Hannah s’est inscrite dans une coopérative de logement et que plusieurs appartements de 3 pièces lui ont été refusés, justement parce que sa fille n’était pas encore arrivée.

Dans son arrêt rendu le 18 décembre 2019 (F-3816/2017), le TAF annule la décision du SEM et accorde une autorisation de séjour à Joceline. Il refuse de considérer que la demande a été déposée dans le délai d’un an, mais accepte l’existence des raisons familiales majeures. Il reconnait que, malgré une séparation de 14 ans, l’intérêt de la fille passe par sa venue en Suisse où elle vivra une situation plus favorable à son développement personnel, parce qu’elle pourra compter sur le soutien de sa mère. Le TAF rappelle : « il ne faut pas perdre de vue que le père de la recourante ne s’est jamais occupé d’elle. Aussi, lorsqu’un enfant n’a, dans les faits, plus qu’un seul de ses parents, on ne pourra en règle générale pas admettre que son intérêt est de vivre séparé de ce parent ». Concernant la question du logement approprié, il constate que Joceline a entrepris des démarches pour obtenir un appartement plus grand et souligne qu’« on ne peut exiger d’elle qu’elle déménage dans un appartement plus grand tant que l’issue de sa demande de regroupement familial demeure incertaine ».

 

Signalé par : La Fraternité – CSP Vaud

Sources : Préavis positif du SPOP, décision du SEM, recours au TAF, arrêt du TAF F-3816/2017 du 18.12.2019.

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