Refus de permis pour le père de deux
enfants qui vivent en Suisse

En 1992, « Yunus », un turc qui vit en Suisse depuis 8 ans, se marie avec une suissesse avec laquelle il a une fille. Après un divorce en 1996, il repart en Turquie. En 2002, il revient illégalement et son fils de 5 ans, né d’un second mariage, le rejoint en 2003. En 2010, un permis humanitaire pour vivre avec ses deux enfants en Suisse lui est refusé.

Mise à jour

« Yunus » obtient finalement un permis !

Dans son arrêt du 27 avril 2011, le TF casse la décision du TAF et renvoie le cas à l’ODM pour qu’il délivre une autorisation de séjour à « Yunus ». Le TF considère qu’en l’occurrence l’art. 8 CEDH a été violé puisqu’il ne pourrait être exigé de la fille de « Yunus », suissesse, qu’elle quitte son pays pour pouvoir vivre avec son père, à cause de sa santé mentale. Bien que la fille de « Yunus » soit devenue majeure en cours de procédure, le droit au regroupement familial perdure au-delà de la majorité, puisqu’il existe une situation de dépendance entre la fille et le père, du fait de sa maladie.

Personne(s) concernée(s) : « Yunus », homme né en 1969

Statut : sans-papiers regroupement familial et permis B humanitaire refusés

Résumé du cas

« Yunus », originaire de Turquie, vit et travaille sans statut en Suisse depuis 1984. En 1992, il se marie avec une suissesse avec laquelle il a une fille, et obtient une autorisation de séjour. Après son divorce en 1996, la prolongation de cette autorisation est refusée par l’autorité cantonale. La même année, « Yunus » se remarie avec une compatriote turque auprès de laquelle il repart vivre en Turquie en 1997, et dont il divorce quelques années plus tard. En 2002, après le refus de deux requêtes de visa pour voir sa fille suissesse sur laquelle il ne peut exercer son droit de visite depuis la Turquie, « Yunus » revient vivre et travailler illégalement en Suisse. En 2003, son fils, âgé de 5 ans et né du second mariage, le rejoint en Suisse et entame sa scolarité. En 2004, « Yunus » dépose une demande d’autorisation de séjour aux fins de regroupement familial avec sa fille suissesse, alors âgée de 12 ans, qui est acceptée sur recours par le canton. Cependant, l’ODM, puis le TAF s’y opposent retenant, sous l’angle de l’art. 8 CEDH, que la relation de « Yunus » avec sa fille, qui souffre de problèmes psychologiques, n’est pas essentielle. Pourtant l’Office des mineurs considère que « le père est le seul élément stable de la famille». Selon le TAF, le soutien de « Yunus » à sa fille « pourrait être maintenu à distance, par le biais des moyens de communication moderne ». De plus, les autorités suisses ne considèrent pas comme irréprochable l’illégalité du séjour et du travail de « Yunus » pour laquelle il a été condamné pénalement en 2004. Enfin, même si son fils vit depuis 7 ans en Suisse au moment où le TAF statue, il « n’est pas encore entré dans la période critique de l’adolescence ». Fin 2010, un recours est déposé devant le TF, qui doit encore trancher.

Questions soulevées

L’illégalité du dernier séjour de « Yunus » doit-elle primer sur son intégration socio-économique de travailleur et sur le besoin de soutien paternel de sa fille suisse psychologiquement instable ?

N’est-il pas indécent de renvoyer un enfant de 12 ans et demi (le fils de « Yunus ») ayant fait toute sa scolarité en Suisse, dans un pays qui lui est devenu étranger ?

Chronologie

1984 : arrivée en Suisse

1992 : mariage avec une suissesse (7 février) ; naissance de leur fille (9 décembre)

1996 : divorce (20 mai) ; remariage avec une compatriote (12 juin) ; refus de prolonger son permis (4 nov.)

1997 : quitte la Suisse pour la Turquie (31 mai)

1998 : naissance de son fils (14 mars)

1999 – 2001: deux demandes de visa refusées par ODM

2002 : revient illégalement en Suisse

2004 : demande d’autorisation séjour adressée au canton (20 oct.)

2008 : acceptation de la demande par le canton après recours (23 mai)

2010 : refus ODM (18 février) ; recours devant le TAF (26 mars) ; refus du TAF (4 novembre)

N.B : recours pendant devant le TF.

Description du cas

En 1984, « Yunus », originaire de Turquie, arrive et travaille illégalement en Suisse. En 1992, il épouse une suissesse avec laquelle il a une fille. Suite au mariage, il obtient une autorisation de séjour. En 1996, suite à son divorce, l’autorité cantonale refuse de la lui renouveler. La même année, « Yunus » se remarie avec une compatriote turque. L’année suivante, il repart vivre en Turquie. En 1999, puis en 2001, deux demandes de visa pour rendre visite à sa fille suissesse, avec laquelle il a des contacts téléphoniques, sont refusées par l’ODM. En 2002, après son second divorce, « Yunus » revient travailler en Suisse sans autorisation de séjour. Depuis lors, il contribue régulièrement à l’entretien de sa fille en versant 500 frs par mois et la voit tous les week-ends. Il verse également 400 frs à son fils resté en Turquie qui, en 2003, alors âgé de 5 ans, le rejoint en Suisse et débute sa scolarité à l’école enfantine.

En 2004, « Yunus » est condamné à huit jours d’emprisonnement avec sursis et à 80 frs d’amende pour séjour illégal et travail sans autorisation. La même année, il demande une autorisation de séjour pour regroupement familial avec sa fille suissesse, alors âgée de 12 ans. En 2008, après recours devant le Département de l’économie publique, la demande est acceptée par le canton. Mais l’ODM, puis le TAF, s’y opposent en 2010.

Le TAF considère, sous l’angle de l’art. 8 CEDH, que les liens entre « Yunus » et sa fille ne sont pas « suffisamment forts dans les domaines affectif et économique », alors même que l’Office des mineurs et l’équipe éducative estiment à leur sujet que « le père est le seul élément stable de la famille (…) alors que la mère n’est malheureusement pas en mesure de jouer le rôle qui devrait être le sien ». Le TAF admet que le soutien de « Yunus » est bénéfique à sa fille malade psychologiquement, mais que cet appui « n’est pas ou plus fondamental à son équilibre » et qu’il « est quotidiennement dispensé par des professionnels ». Le Tribunal rappelle que sa fille est bientôt âgée de 18 ans et juge que «ses relations avec son père vont donc, par la force des choses, se distendre à l’avenir ». A fortiori, « le départ de Suisse [de « Yunus »] rendra l’exercice de son droit de visite plus difficile et onéreux » mais « ces difficultés s’estomperont une fois [sa fille] majeure et libre de voyager à sa guise ». Un recours devant le TF, actuellement pendant, souligne cependant l’incapacité de sa fille à « voyager à sa guise », puisque son âge mental est estimé à 5-6 ans par son curateur.

Par ailleurs, selon le TAF, l’intégration de « Yunus » ne revêt pas un « caractère exceptionnel », même s’il a vécu en tout près de 21 ans en Suisse. Le Tribunal accorde peu d’importance à son premier séjour de 13 ans, pourtant en partie légal, « dès lors qu’il a été suivi d’un retour en Turquie qui a causé une véritable rupture ». En outre, l’illégalité de son séjour et de son travail en Suisse, qui lui a valu une condamnation en 2004, fait que son comportement n’est pas « exempt de tout reproche ». Concernant la présence en Suisse de son fils, le TAF estime qu’ « elle est sans incidence sur l’appréciation du cas », car elle a seulement été révélée par « Yunus » au moment du recours. Même si le garçon est arrivé en Suisse à l’âge de 5 ans et en compte 12 et demi au moment du recours, il n’est « pas encore entré dans la période critique de l’adolescence ». Fin 2010, un recours devant le TF est déposé et rappelle, notamment, le droit de « Yunus » à ne pas être séparé de sa fille (selon l’art. 8 CEDH).

Signalé par : avocat du canton de Neuchâtel, novembre 2010.

Sources : recours TAF (26.03.10) ; arrêt TAF (C-1981/2010 du 4.11.10) ; recours TF (10.12.10).

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