Elle quitte l’Italie à 2 ans. Aujourd’hui retraitée, elle risque le renvoi

Francesca, 64 ans, risque un renvoi vers l’Italie qu’elle a quitté à l’âge de 2 ans. Elle aurait dû obtenir un permis B lorsqu’elle travaillait mais celui-ci ne lui a pas été accordé. A sa retraite, le SEM nie son droit de demeurer en Suisse, pourtant prévu par l’ALCP. Parallèlement, une longue procédure doit être menée pour obtenir les prestations financières auxquelles elle a droit.

Mise à jour

Dans son arrêt du 15 novembre 2018 (F-7827/2016), le TAF a admis le recours de Francesca. Pour les juges, celle-ci a effectivement conservé sa qualité de travailleur jusqu’à ce qu’elle obtienne une retraite anticipée. Elle pouvait donc se prévaloir du droit de demeurer en Suisse.

Personne(s) concernée(s) : Francesca, née en 1955

Statut : Demande d’autorisation de séjour >  en attente

Résumé du cas

Francesca a deux ans lorsqu’elle rejoint en Suisse ses parents, travailleurs italiens. Elle réside dans le canton de Vaud, au bénéfice d’un permis C jusqu’à ses 35 ans. Elle quitte alors le pays pour étudier en Angleterre et perd son permis C. En 2001, elle revient pour s’occuper de sa mère et sa sœur gravement malades. Pendant plusieurs années, elle vit de petits boulots et sur ses économies, sans s’inscrire au contrôle de l’habitant. De 2009 à 2013, elle occupe plusieurs emplois à durée déterminée, bénéficiant d’autorisations de courte durée (L) renouvelables. Engagée pendant deux ans à l’Université de Lausanne, elle aurait dû obtenir un permis B valable cinq ans qui ne lui est pas délivré. Elle se retrouve au chômage en 2013, continue de chercher un emploi et participe à des mesures de réinsertion sous le contrôle de l’Office régional de placement, mais sans succès. À 63 ans, sa demande de retraite anticipée est acceptée. Un permis B est alors demandé par sa mandataire, sur la base du droit de demeurer qui permet à un ressortissant européen de rester en Suisse à la retraite s’il y a vécu durant les trois dernières années et travaillé durant les douze derniers mois. C’est le cas de Francesca car, selon la jurisprudence de la CJUE et du TF, les périodes de chômage involontaire sont assimilables à un emploi. Le canton approuve la demande, mais le SEM la rejette. En plus d’être confrontée au stress de devoir peut-être quitter la Suisse, Francesca se voit refuser l’octroi de prestations complémentaires (PC) et d’aide sociale, parce qu’elle ne peut pas présenter de permis valable. Des décisions contestées par sa mandataire qui finit par obtenir gain de cause au Tribunal cantonal. En effet, selon la jurisprudence du TF les ressortissants européens ont droit à ces prestations s’ils résident en Suisse et perçoivent une rente AVS. Mais Francesca est angoissée à l’idée de devoir quitter la Suisse où a toutes ses attaches, à tel point que cela se répercute sur sa santé, comme l’atteste son médecin. Le recours contre le refus du SEM de lui octroyer un permis de séjour a obtenu l’effet suspensif au TAF, qui ne s’est pas encore prononcé.

Questions soulevées

 

Le séjour de Francesca ne devait pas être considéré comme illégal vu les années de travail en Suisse et le fait qu’une procédure concernant son droit de demeurer était en cours. Sa mandataire était prête à porter l’affaire devant le Tribunal cantonal, mais qu’en est-il pour ceux et celles qui ne sont pas défendus de la sorte ?

Quel est le sens du droit de demeurer prévu par l’ALCP, si les personnes qui perdent leur emploi peu avant l’âge de la retraite ne peuvent s’en prévaloir ?

Francesca a passé la grande majorité de sa vie en Suisse, elle y a travaillé et y a toutes ses attaches, inexistantes en Italie. Peut-on raisonnablement la renvoyer dans ce pays qu’elle a quitté à 2 ans ?

Chronologie

1957-1990 : séjour en Suisse, obtention d’un permis C
2001 : retour en Suisse après une dizaine d’année en Angleterre
2009-2013 : plusieurs emplois à durée déterminée, obtention d’un permis L renouvelé successivement
2013-2015 : emploi temporaire subventionné dans le cadre du chômage (nov. 2013-mai 2014), fin des indemnités chômage (oct. 2015)
2016 : demande de permis B sur la base du droit de demeurer (fév.) ; octroi rente AVS anticipée (mars) ; décision positive du SPOP pour un permis de séjour (août) ; refus d’octroi de PC (oct.) et recours au TC (nov.) ; refus du SEM (nov.) et recours au TAF (déc.)
2017 : décision du TAF d’accorder l’effet suspensif (mars) ; refus d’octroi de l’aide sociale et recours au TC (mai) ; arrêt du TC sur l’aide sociale (juin) ; arrêt du TC sur les prestations complémentaires (sept.)

Description du cas

Francesca, d’origine italienne, arrive en Suisse en 1957, à l’âge de 2 ans. Elle poursuit sa scolarité dans le canton de Vaud, obtient un CFC et, à 35 ans environ, part étudier et travailler en Angleterre. Elle revient régulièrement visiter sa famille et ses amis en Suisse, mais perd alors son permis C. En 2001, elle rentre pour s’occuper de sa mère et sa sœur gravement malades qui, à leur décès, sont enterrées en Suisse. Durant plusieurs années, elle ne travaille pas suffisamment pour obtenir un titre de séjour. Dès 2009, elle enchaîne plusieurs emplois à durée déterminée et obtient successivement des autorisations de courte durée. Elle travaille notamment deux ans à l’Université de Lausanne. Dès 2013, à 60 ans, elle se retrouve au chômage et bénéficie de mesures d’insertion de l’Office régional de placement (ORP). En 2016, elle obtient une rente AVS anticipée. Une demande de permis de séjour est alors déposée, fondée sur le droit de demeurer (art.4 annexe 1 ALCP) qui permet aux ressortissants de l’UE de maintenir un droit au séjour dès la retraite, pour autant qu’ils aient résidé en Suisse durant les trois dernières années et travaillé durant les douze derniers mois (point 10.3.2 des Directives OLCP).

Le SPOP accepte la demande et la soumet au SEM qui rend une décision négative. Il considère que Francesca ne remplit pas la condition des douze derniers mois de travail pour bénéficier du droit de demeurer et retient qu’elle n’a exercé que des emplois temporaires. La mandataire de Francesca fait recours au TAF, soulignant tout d’abord que celle-ci aurait dû avoir un permis B lorsqu’elle a travaillé deux ans à l’Université. Elle rappelle que Francesca a vécu grâce à ses revenus de 2009 à 2013 et que, selon les Directives OLCP, les périodes de chômage involontaire sont considérées comme des périodes d’activité. Selon la jurisprudence (arrêt du TF 2C_761/2015 et de la CJCE C-85/96), la qualité de travailleur perdure, si la personne participe à des mesures de réinsertion et recherche activement un emploi, ce qui est le cas de Francesca avant sa retraite. Par ailleurs, l’argument du SEM sur le caractère temporaire des emplois est infondé, puisqu’aucune base légale ne pose la condition d’un emploi durable pour la reconnaissance d’un droit de demeurer. Un droit de séjour pour situation d’extrême gravité (art. 20 OLCP et 31 OASA, en lien avec l’art. 8 CEDH) est également invoqué à titre subsidiaire. En effet, à part son séjour en Angleterre, Francesca a vécu et a été scolarisée en Suisse, où elle a également toutes ses attaches familiales et sociales. Une attestation médicale confirme qu’elle souffre d’une grande anxiété en lien avec l’incertitude pesant sur son avenir, qui affecte autant sa santé psychique que physique et qui l’oblige à prendre une médication. Suite au recours contenant de nombreux éléments de preuves (38 pièces), l’effet suspensif a été accordé.

Cette absence de titre de séjour valable et l’attente d’une décision placent Francesca dans une situation précaire. En effet, une demande de prestations complémentaire (PC) est déposée parallèlement à la demande de permis de séjour. Toute personne résidant en Suisse et percevant une rente AVS y a droit (art. 4 LPC). Pourtant, la demande est refusée par la Caisse cantonale vaudoise de compensation AVS, sous prétexte que le permis de Francesca n’est plus valable. Le fait que le recours ait obtenu l’effet suspensif, ce qui signifie qu’elle est autorisée à séjourner en Suisse en attente de la décision, n’y change rien pour la Caisse. En attente des PC, une demande d’aide sociale a été déposée, elle aussi refusée. La mandataire a déposé deux recours auprès des Cours compétentes au Tribunal cantonal. Elle a rappelé la légalité du séjour de Francesca et le principe d’égalité de traitement contenu dans l’ALCP, ainsi que dans la jurisprudence du TF (ATF 133 V 265). Après plusieurs échanges d’écritures, la Cour de droit administratif et public a admis le recours (arrêt du TC du 27 juin 2017), suivie par la Cour des assurances sociales pour les PC (PC 10/16 – 9/2017). À 64 ans, Francesca s’est donc vue privée pendant un an des prestations auxquelles elle avait droit, en plus d’être confrontée à l’incertitude sur son droit de rester en Suisse.

Signalé par : Centre social protestant Vaud

Sources : décision du SPOP et du SEM et recours au TAF ; recours auprès du Tribunal cantonal ; arrêt de la Cour de droit administratif et public sur le droit à l’aide sociale du 27.06.2017 (PS.2017.0043) ; arrêt de la Cour des assurances sociales sur le droit aux PC du 28.09.2017 (PC 10/16 – 9/2017).

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