Pour le TAF, s’opposer aux talibans n’est pas une opinion politique : asile refusé
Parce qu’il refuse de commettre des violences pour le compte des talibans, «Qassim» est détenu et torturé. Il s’échappe et demande l’asile en Suisse. Son état de santé psychique atteste de son vécu traumatique mais le SEM rejette sa demande. Pour le TAF, le récit de « Qassim » est crédible et le risque de persécution est vraisemblable, mais ne constitue pas un motif d’asile. « Qassim » se voit donc refuser l’asile et obtient une admission provisoire.
Personne(s) concernée(s) : « Quassim », né en 1988
Statut : Demande d’asile rejetée -> admission provisoire
Résumé du cas
En Afghanistan, « Qassim » est envoyé de force dans un camp d’entrainement des talibans. Comme il refuse de participer à leurs actions violentes, il est torturé à plusieurs reprises. Il finit par s’enfuir de leur camp en détruisant une installation et, après un long périple, il arrive en Suisse où il demande l’asile. Il est suivi médicalement et son état de santé psychique est considérablement affecté par son vécu traumatique. Les médecins font état d’un risque de passage à l’acte suicidaire et attestent du danger que représenterait un éventuel renvoi dans son pays. Deux ans après son arrivée en Suisse, le SEM rend une décision négative sur sa demande d’asile. L’administration met en doute son récit et estime que « Qassim » aurait dû s’adresser aux autorités de son pays pour obtenir une protection. Par ailleurs, rien ne s’opposerait à son renvoi en Afghanistan où il pourrait obtenir les soins dont il a besoin. Cette décision est contestée devant le TAF. Pour le Tribunal, le récit de « Qassim » est vraisemblable. De plus, son état de santé doit être considéré comme un indice de sa crédibilité (ATAF 2015/11). Il est donc admis que « Qassim » risque des persécutions, mais le TAF estime que celles-ci ne correspondent pas à un motif d’asile (art. 3 LAsi) car elles ne sont pas liées à sa race, sa religion ou ses opinions politiques, mais à son refus de commettre des actes de violence. « Qassim » n’est donc pas reconnu comme réfugié. Le Tribunal admet toutefois qu’en cas de renvoi, il serait vraisemblablement persécuté par les taliban et pas protégé par les autorités afghanes. À la place de l’asile, « Qassim » obtient une admission provisoire (pour en savoir plus sur ce qu’implique ce statut, lire le rapport de l’ODAE romand Permis F : admission provisoire ou exclusion durable ?).
Questions soulevées
Le refus d’admettre que ce sont les opinions politiques de « Qassim » qui sont à l’origine des risques de persécutions qu’il encourt ne viole-t-il pas la Convention de Genève sur les réfugiés ?
S’opposer à un mouvement rebelle (exerçant un contrôle politique et sécuritaire prépondérant dans certaines régions d’Afghanistan et dont l’idéologie revendique l’usage de la violence), refuser de commettre des actes de violences et déserter en commettant des dommages matériels ne sont-ils pas des actes de nature éminemment politique ?
Chronologie
2013 : demande d’asile en Suisse
2014 : 1ère audition (oct.)
2015 : audition complémentaire (mai) ; décision du SEM (août) ; recours
2016 : préavis du SEM ; réplique
2018 : décision du TAF E-6093/2015 du 18 juillet 2018
Description du cas
Après une enfance marquée par les violences qui ravagent son pays et qui divisent sa famille, « Qassim » est envoyé par son père dans un camp d’entrainement des talibans. Il y est formé au maniement des explosifs et aux techniques d’’attentats et d’’enlèvements. Il est également forcé de participer à un trafic d’armes entre le Pakistan et l’Afghanistan. Refusant de prendre part à des actes violents, il est détenu à plusieurs reprises et torturé. Après deux ans, il parvient à s’échapper avec fracas, provoquant une explosion qui détruit l’endroit où il était retenu. Après un long périple, il parvient en Suisse où il dépose une demande d’asile en 2013. Lors de sa première audition, il évoque l’engagement de son père auprès des talibans, puis son enrôlement forcé et les représailles qu’il a subies lorsqu’il a refusé d’obéir à leurs ordres. Comme il peine à entrer dans les détails de son vécu, une deuxième audition s’avère nécessaire. Entre-temps, un rapport médical établit qu’il souffre d’un syndrome de stress post-traumatique en lien avec ce qu’il a subi dans son pays. La doctoresse qui suit « Qassim » à la Consultation pour les victimes de torture et de guerre à Genève explique qu’il est très difficile pour lui de parler en détails de son vécu. Il n’a pu se confier sur les exactions qu’il avait subies seulement après plusieurs mois de suivi médical. La doctoresse explique que le fait d’éviter certaines questions est un mécanisme psychologique fréquemment mis en place par les personnes souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique. Surtout, « Qassim » présente un risque de passage à l’acte suicidaire et nécessite un suivi médical soutenu.
L’audition complémentaire a lieu en mai 2015. Durant un long entretien, « Qassim » raconte à nouveau son vécu et les raisons qui l’ont poussé à quitter son pays. L’auditrice pose de nombreuses questions sur sa participation aux activités des talibans. Elle explique que s’il a participé à des activités criminelles, cela constitue un motif d’exclusion de l’asile (art. 53 LAsi). Selon le représentant d’œuvre d’entraide présent, l’auditrice « a énormément insisté sur les motifs d’exclusion, à un point que cela a perturbé le requérant ». La formulation des questions montre la suspicion de l’auditrice : « Cela m’étonne que vous ayez jeté les armes à chaque fois », « J’ai peine à croire que vous n’ayez pas joué un rôle », « Pourquoi n’avez-vous pas essayé de quitter les taliban ? ». « Qassim » y répond en détaillant les punitions qu’il a endurées pour avoir désobéi, non sans faire preuve d’un certain agacement : « vous me posez toujours la même question comme si vous vouliez que j’avoue quelque chose que je n’ai pas fait », lâche-t-il.
En août 2015, la décision négative du SEM tombe. Pour le SEM, « Qassim » aurait dû chercher la protection des autorités afghanes. Par ailleurs, son récit souffrirait de quelques contradictions. Enfin, il est jeune, il a une expérience professionnelle et de la famille en Afghanistan et son état de santé n’est pas grave au point de compromettre sa réintégration. Son renvoi est donc possible et licite selon le SEM. Un recours est déposé au TAF pour contester cette décision. « Qassim » évoque notamment l’absence d’état de droit et l’incapacité des autorités afghanes à le protéger. Par ailleurs, il rappelle la jurisprudence du TAF (ATAF 2011/38) selon laquelle des facteurs particulièrement favorables sont nécessaires pour envisager un renvoi dans sa région, notamment un solide réseau social et un bon état de santé, ce qui n’est pas son cas. Quant à son état de santé, le SEM retient une amélioration alors que les certificats médicaux ne font état que d’une évolution « très lentement favorable ». De nouveaux certificats médicaux transmis au TAF attestent qu’un renvoi serait dangereux pour la santé de « Qassim ».
Le TAF se prononce en juillet 2018. Il souligne la vraisemblance du récit qu’il qualifie de détaillé, consistant et cohérent. L’état de santé de « Qassim » atteste de la crédibilité de ses propos. Mais les persécutions alléguées, bien que vraisemblables, ne sont pas considérées comme pertinentes pour l’octroi de l’asile. Selon l’art. 3 LAsi, sont des motifs d’asile les persécutions liées à la race, à la religion, à la nationalité, aux opinions politiques ou à l’appartenance à un groupe social déterminé. Refuser de commettre des actes de violences pour le compte des talibans n’entre pas dans ces catégories selon le TAF. L’asile est donc refusé. En revanche, le TAF admet que « Qassim » sera vraisemblablement repéré par les taliban et torturé à son retour, sans que les autorités n’aient la capacité de le protéger. Son renvoi est donc considéré comme illicite et une admission provisoire lui est octroyée.
Signalé par : Personne concernée
Sources : PV des auditions au SEM, décision du SEM, recours au TAF, préavis du SEM, réplique et arrêt du TAF E-6093/2015 du 18 juillet 2018.