Plus de 6 ans d’attente avant que le TAF statue sur son cas

Suite à sa demande d’asile, « Tadele » reçoit une décision de NEM en 2002 et voit sa demande de réexamen rejetée en 2005. Il recourt auprès du TAF qui mettra plus de quatre ans à réclamer un complément d’instruction et près de deux ans à statuer sur la licéité du renvoi en Ethiopie.

Mise à jour

Pour connaître la situation de « Tadele » aujourd’hui, voir l’article du Journal SOS Asile Vaud, Bulletin n°108, 3ème trimestre 2013, pages 4 à 6

Personne(s) concernée(s) : « Tadele », né en 1977

Statut : demande d’asile -> rejet

Résumé du cas

En 2002, « Tadele », athlète et policier éthiopien, arrive en Suisse avec une représentation de son pays pour participer à diverses compétitions. Parvenant à échapper à la surveillance des accompagnateurs de la délégation mais craignant d’être retrouvé, « Tadele » dépose une demande d’asile sous un faux nom. Recevant une décision de NEM et de renvoi pour avoir trompé les autorités sur son identité (art. 32 al. 2 let. b LAsi), il introduit un recours auprès du TAF. Celui-ci sera déclaré irrecevable, car « Tadele » ne peut payer l’avance de frais exigée. En 2004, il introduit une demande de réexamen. Lors de l’audition, il indique avoir été contraint de rejoindre les services de la police éthiopienne pour espionner et dénoncer des membres de son ethnie. Menacé, il a été témoin d’arrestations arbitraires et de séances de torture. L’ODM rejette sa demande en janvier 2005. « Tadele » recourt contre la décision de l’Office et le TAF annule – en septembre 2009 – la décision de renvoi, considérant que l’ODM n’a pas suffisamment examiné la question d’une éventuelle violation de l’art. 3 CEDH en cas de retour en Ethiopie. Le Tribunal, qui à ce stade a mis près de 5 ans à statuer, ordonne à l’Office de combler les lacunes de son instruction quant à la licéité du renvoi (art. 83 al. 3 LEtr). En mai 2010, l’ODM rend une seconde décision de renvoi contre laquelle « Tadele » fait recours. S’appuyant sur plusieurs rapports, sa mandataire met en avant le caractère partial du système judiciaire éthiopien et le comportement arbitraire des milices policières. Soulignant les discriminations que subit le groupe ethnique auquel appartient « Tadele », elle estime que l’abandon de son poste au sein de la police et sa demande d’asile feront de lui un déserteur aux yeux des autorités éthiopiennes. En 2012, le TAF rejette le recours, considérant que le renvoi est licite au vu de la prescription de dix ans qui existe en droit éthiopien contre toute action pénale pour désertion. Du jour au lendemain, « Tadele » se retrouve à l’aide d’urgence et doit quitter son logement après avoir vécu dix ans en Suisse. En tout, il aura attendu que le TAF statue sur son cas pendant plus de six ans.

Questions soulevées

Au vu des failles du système judiciaire éthiopien et des persécutions commises envers les opposants politiques, comment le TAF peut-il admettre la licéité du renvoi en se basant notamment sur l’existence, en droit éthiopien, d’une prescription contre toute action pénale pour désertion ?

Au vu du nombre d’années écoulées avant que le TAF statue, comment explique-t-on que les autorités cherchent toujours à raccourcir les délais de recours pour accélérer les procédures d’asile ? Les retards dans le traitement des dossiers par les autorités ne devraient-ils pas également être mis en cause ?

Chronologie

2002 : demande d’asile et NEM de l’ODR (mai) ; recours devant la CRA (juin) ; décision d’irrecevabilité (juil.)

2004 : demande de réexamen (sept.) ; audition fédérale (déc.) ;

2005 : rejet de l’ODM (janv.) ; recours devant le TAF (fév.) ;

2009 : annulation de la décision de renvoi et renvoi de la cause à l’ODM pour nouvelle décision (sept.) ;

2010 : nouveau rejet de l’ODM (mai) ; recours devant le TAF (juin) ;

2012 : recours rejeté par le TAF (mai).

Description du cas

« Tadele », athlète et policier éthiopien, arrive en Suisse en 2002 dans le but de prendre part à plusieurs courses de fond. Accompagné d’une délégation de son pays, il se soustrait à la vigilance des accompagnateurs et dépose une demande d’asile sous un faux nom, de peur d’être retrouvé. Recevant une décision de NEM et de renvoi pour avoir trompé les autorités sur son identité (art. 32 al. 2 let. b LAsi), « Tadele » introduit un recours qui sera déclaré irrecevable, faute du paiement de l’avance de frais de procédure qui lui est demandé (art. 63 al. 4 PA).

En septembre 2004, « Tadele » introduit une demande de reconsidération auprès de l’ODR. Lors de son audition (art. 29 LAsi), il indique avoir été contraint de rejoindre les services de police éthiopienne afin d’espionner et de dénoncer les membres de son ethnie. Menacé de subir le sort des opposants au gouvernement s’il ne collaborait pas, « Tadele » a été témoin d’arrestations arbitraires et de séances de torture. L’ODR rejette tout de même sa demande en janvier 2005. « Tadele » fait alors recours auprès du TAF, qui relève « une constatation inexacte des faits pertinents » et annule, en septembre 2009, la décision de renvoi. Le TAF rejette toutefois le recours sur la question de la reconnaissance de la qualité de réfugié, mais souligne que l’autorité de première instance n’a pas examiné de manière suffisante la question d’une éventuelle violation de l’art. 3 CEDH en cas de retour au pays d’origine, et en particulier le risque pour « Tadele » d’être « arrêté à son arrivée en Ethiopie, emprisonné et condamné à une peine disproportionnée ou exposé à des mauvais traitements ». Le TAF, qui aura mis près de 5 ans à statuer, enjoint alors à l’ODM de combler les lacunes de son instruction concernant la licéité du renvoi (art. 83 al. 3 LEtr) et de rendre une nouvelle décision, une fois l’instruction complémentaire effectuée.

Après avoir entrepris des recherches auprès de la représentation diplomatique suisse d’Addis-Abeba, l’ODM rend, au mois de mai 2010, une seconde décision de renvoi contre laquelle « Tadele » fait à nouveau recours. En s’appuyant sur des rapports d’Amnesty International, de l’OSAR et du Département d’État des États-Unis, la mandataire de « Tadele » met en avant le caractère partial du système judiciaire éthiopien et le comportement arbitraire des milices policières qui n’hésitent pas à persécuter, à torturer et à emprisonner sans jugement préalable ceux qui sont supposément en opposition avec le gouvernement. Soulignant les discriminations que subit le groupe ethnique auquel appartient « Tadele » et la notoriété que celui-ci a acquise dans les médias de par ses exploits sportifs, sa mandataire estime que le fait d’avoir déposé une demande d’asile en Suisse et quitté son poste au sein de la police sans autorisation sera considéré par les autorités éthiopiennes comme un acte de rébellion punissable.

Au mois de mai 2012, et malgré la situation qui prévaut en Ethiopie, le TAF rejette le recours, considérant que le renvoi de « Tadele » est licite, puisqu’au moment de quitter son pays d’origine, « l’intéressé n’était pas soupçonné d’être un opposant politique ». De plus, quand bien même une procédure pénale pour désertion aurait été ouverte entre-temps à son encontre, celle-ci n’aurait, selon les juges, aucune incidence, puisque le code pénal éthiopien dispose d’une période de prescription de dix ans contre toute action pénale engagée pour désertion.

Le Tribunal ayant mis plus de 6 ans à statuer sur sa demande de réexamen, c’est après une décennie passée en Suisse que « Tadele » se retrouve du jour au lendemain à l’aide d’urgence, doit quitter son logement et préparer un retour en Ethiopie.

Signalé par : Service d’Aide juridique aux Exilé-e-s (SAJE – Lausanne), octobre 2012.

Sources : décision d’irrecevabilité de la CRA (9.07.02), demande de reconsidération (21.09.04), décision négative de l’ODR (7.01.05), recours (7.02.05), arrêt du TAF (D-4167/2006 du 7 septembre 2009), décision de l’ODM (20.05.10), recours (24.06.2010), arrêt du TAF (D-4563/2010 du 16 mai 2012).

Cas relatifs

Cas individuel — 10/04/2025

Des violences conjugales reconnues par un Centre LAVI sont jugées trop peu intenses par les tribunaux

Eja*, originaire d’Afrique de l’est, rencontre Reto*, ressortissant suisse, en 2019. Leur mariage est célébré en avril 2021 et Eja* reçoit une autorisation de séjour. L’année qui suit est marquée par des disputes et des violences au sein du couple, et une première séparation de courte durée. En février 2023, Eja* consulte le Centre LAVI du canton, qui la reconnait victime d’infraction. En juillet, Eja* dépose une plainte pénale contre son époux pour harcèlement moral, rabaissements et injures, discrimination raciale et contraintes. En novembre 2023, Eja* dépose une deuxième plainte. Son médecin confirme des symptômes de stress émotionnel élevé. En février 2024, le SPoMi révoque l’autorisation de séjour d’Eja* et prononce son renvoi de Suisse, au motif que la durée effective de la communauté conjugale n’a pas dépassé trois ans. En août 2024, le Tribunal cantonal rejette le recours déposé par Eja*, au motif que l’intensité des violences psychologiques n’atteint pas le seuil exigé par la jurisprudence. Le Tribunal conclut à l’absence de raison personnelle majeure permettant de justifier le maintien de l’autorisation de séjour d’Eja*. Le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 14 novembre 2024, confirme la décision du SPoMi et rejette le recours d’Eja*.
Cas individuel — 09/09/2024

Le TAF suspens le renvoi d’un Palestinien vers le Liban en raison des coupes budgétaires infligées à l’UNRWA

Palestinien originaire du camp de réfugié·es de Rashidieh au Sud-Liban, Tareq* dépose un recours contre le rejet de sa demande d'asile, prononcé par le SEM en février 2024. Dans son arrêt du 16 mai 2024, le TAF reconnait que le SEM aurait du tenir compte de la récente détérioration de la situation au sud du pays depuis le 7 octobre 2023, ainsi que celle de la situation financière de l’UNRWA, affectée par de nombreuses coupures budgétaires. Le TAF admet partiellement le recours et renvoie l’affaire au SEM pour une nouvelle décision.
Cas individuel — 01/01/2024

Harcelée en Croatie, une famille est menacée d’y être renvoyée

En 2019, Romina* et Khaleel* quittent l’Afghanistan avec leur fille (Emna*), encore mineure et leurs trois fils majeurs. Ils demandent l’asile en Suisse en octobre 2020, après être passé∙es par la Croatie. La famille raconte avoir tenté de passer la frontière entre la Bosnie et la Croatie à plus de 15 reprises, avoir été arrêté∙es par les autorités croates puis maltraité·es, volé·es, déshabillé·es et frappé·es. En février 2020, le SEM rend une décision NEM Dublin. Le mandataire d’Ehsan* et Noura* dépose un recours au TAF contre la décision du SEM. En avril 2021, le SEM annule sa décision de NEM Dublin pour le second fils et sa famille, qui reçoivent une admission provisoire. En juillet 2021, le TAF prononce les arrêts qui rejettent respectivement les recours de Moussa*, de Ehsan* et Noura* et de Romina* et Khaleel*.
Cas individuel — 26/04/2023

La culture du soupçon de la Suisse épinglée par le CAT

Stephen* a fui le Zimbabwe suite à des persécutions liées à ses activités politiques. Le SEM et le TAF mettent en doute la véracité des preuves fournies. Un arrêt du CAT sanctionne la Suisse pour sa culture du soupçon.