Pas de regroupement possible entre une mère et ses filles

"Acha", camerounaise et titulaire d’un permis C, vit légalement en Suisse depuis 1994. Elle ne parvient pas à obtenir une autorisation de séjour pour ses 3 filles mineures nées au Cameroun. Deux d’entre elles, adolescentes, sont pourtant auprès d’elle en Suisse depuis 2003.

Personne(s) concernée(s) : « Acha », née en 1968 ; ses filles nées en 1989, 1991, et 1994 (une 4ème fille, devenue adulte, est sortie de la procédure)

Statut : « Acha » : Permis C ; 3 filles mineures (2 en Suisse sans-papiers; une au Cameroun)

Résumé du cas

« Acha » quitte le Cameroun en 1994 pour se marier avec un ressortissant suisse. Elle laisse alors au pays ses 4 filles. Contrairement à ce qu’il lui avait dit, son mari s’oppose à leur venue et « Acha » ne peut entreprendre de demande de regroupement familial. Elle s’occupe à distance de ses filles. En 2001, après un remariage, elle essaie de faire venir ses filles, sans succès. En 2003, deux de ses filles la rejoignent illégalement. En 2004, une demande d’autorisation basée sur le droit au regroupement familial est refusée par l’OCP, puis par la commission cantonale de recours et par le TF. Selon les autorités, « Acha » aurait délibérément décidé de vivre loin de ses filles et n’entretiendrait pas de « lien prépondérant » avec elles. Pourtant les enfants n’ont jamais pu jouir d’un environnement familial stable au Cameroun et ne demandent qu’à vivre avec leur mère. La position des autorités implique que les deux filles vivant à Genève devront à nouveau être séparées de leur mère et retourner au Cameroun, alors qu’elles se sont intégrées à Genève depuis 4 ans. L’une d’elles souffre même d’un retard du développement qui justifie d’autant plus la présence affective de sa mère. L’arrêt du TF affirme cependant abruptement que les quatre ans de séjour en Suisse résultent d’un « fait accompli » qui « ne saurait être pris en considération ». Une requête a été déposée devant la CEDH à Strasbourg.

Questions soulevées

 « L’intérêt public » de ce pays à poursuivre une politique restrictive en matière d’immigration est-il à ce point supérieur qu’il faille priver une mère titulaire du permis C et ses filles mineures d’une vie de famille en Suisse?

 Avec la nouvelle LEtr, ne va-t-on pas vers une multiplication de ce type de situations étant donné qu’elle limitera le regroupement familial pour les enfants de plus de 12 ans et qu’elle exige que la demande de regroupement soit faite dans les 5 ans (art. 47 LEtr) ?

 L’illégalité du séjour depuis 2003 de deux des filles qui ont rejoint leur mère permet-il vraiment au TF de nier la moindre importance à leur vécu pendant 4 ans, et à qualifier de ténu leur lien avec leur mère ?

Chronologie

1994: arrivée en suisse puis mariage avec un ressortissant suisse

2000 : juillet : divorce d’ « Acha » qui reste titulaire du permis C obtenu en 1999

2001 : août : mariage avec un ressortissant nigérien

2002 : février : refus de l’office fédéral à une demande de visa touristique pour deux des filles

2003 : juin : arrivée illégale de deux des quatre filles

2004 : 8 mars : demande de permis de séjour pour les deux filles présentes en Suisse et pour celles restées au Cameroun. L’aînée, mariée par la suite, sort de la procédure.

2005 : 22 avril :rejet de la demande par l’OCP

2007 : 7 février : après l’échec d’un recours cantonal, rejet par le TF d’un recours formé en avril 2006

2007 : 3 août : requête déposée devant la CEDH à Strasbourg (en suspens)

Description du cas

En 1994, « Acha », quitte le Cameroun en y laissant ses 4 filles et vient dans notre pays où elle épouse un ressortissant suisse. D’accord de faire venir les enfants au moment où « Acha » a pris sa décision, son époux se rétracte et s’oppose à une demande de regroupement familial. La mère d' »Acha », à laquelle elle avait confié ses enfants, meurt accidentellement un an après son départ. « Acha » fait tout son possible pour s’occuper à distance de ses enfants qui n’ont pas de père. Elle organise leurs placements successifs, elle subvient à leurs besoins en envoyant régulièrement de l’argent et leur rend visite chaque année. Après son divorce et son remariage, en 2001, avec un homme cette fois favorable à la venue des enfants, « Acha » entreprend les démarches pour faire venir ses filles. Après avoir vu une demande de visa être refusée par l’OFE, « Acha », mal conseillée, donne toutes ses économies à des passeurs pour faire venir ses filles illégalement. Alors qu’elle avait payé pour ses 4 filles, seulement deux d’entre elles parviendront à la rejoindre en 2003. L’année suivante, « Acha » dépose une demande d’autorisation de séjour pour ses filles, au nom du regroupement familial.

L’OCP refuse, argumentant qu' »Acha » n’a pas maintenu de « lien prépondérant » avec ses filles depuis son installation en Suisse et que les attaches familiales et culturelles des enfants se trouvent au Cameroun. Après l’échec d’un premier recours au niveau cantonal, le TF confirme cette argumentation. En fait, les autorités considèrent qu' »Acha » a délibérément choisi de vivre séparée de ses enfants pendant de nombreuses années, alors qu’elle a toujours eu l’intention de les faire venir en Suisse dès que possible. Aussi, les autorités nient l’existence d’un lien prépondérant avec la mère comme si les enfants avaient une relation plus forte avec un autre adulte au Cameroun, où les filles ont vivoté séparément en déménageant fréquemment tantôt chez un oncle, tantôt chez une cousine, sans jamais connaître la stabilité d’un environnement familial.

Aujourd’hui, « Acha » et son mari vivent dans un grand appartement et disposent de revenus suffisants pour mener une vie familiale. Les deux filles déjà présentes ont vécu 4 années d’adolescence à Genève où elles sont bien intégrées. L’une d’entre elles, souffrant d’un retard de développement, progresse rapidement « grâce à la présence patiente et affectueuse de sa mère », comme en atteste un rapport médical du SMP. Tandis que l’une des deux filles restées au pays a fondé sa propre famille, l’autre, âgée de 15 ans, souffre terriblement de vivre loin de ses sœurs, se sent victime de discrimination et vit dans un internat, dans des conditions déplorables. Les décisions prises par les autorités suisses impliquent que les deux filles déjà à Genève devront être renvoyées et que la fille encore au Cameroun ne pourra pas rejoindre sa mère. Toutes seront séparées de leur mère, alors que la Convention des Droits de l’Enfant demande de privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant, dans un esprit positif et avec humanité (art. 3 CDE; 10 CDE). Leur dernière chance repose sur une requête qui a été déposée dans ce sens devant la CEDH à Strasbourg, en invoquant l’article 8 CEDH qui assure le respect du droit à la vie familiale.

Signalé par : Centre social protestant (Genève), le 22 juin 2007.

Sources : Requête déposée devant la CEDH (3.8.2007), arrêt du TF (7.2.2007), recours devant le TF (7.4.2006) et autres pièces antérieures du dossier.

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