Pas de permis pour une ado victime
d’abus sexuels dans son pays d’origine
À 8 ans, « Renata » rejoint sa mère en Suisse après avoir été victime de violences sexuelles dans son pays d’origine. Malgré un préavis favorable du canton, une bonne intégration et l’avis de spécialistes défavorables au renvoi, l’ODM refuse l’octroi d’un permis B humanitaire.
Mise à jour
Dans son arrêt du 19 août 2013, le TAF estime que bien qu’« Adriele » ait accompli d’indéniables efforts pour s’intégrer, ils ne revêtent aucun caractère exceptionnel, celle-ci n’ayant pas fait preuve d’une évolution professionnelle. De plus, le TAF considère qu’ « Adriele » n’a pas d’attache avec la Suisse et entretient des liens très étroits avec son pays d’origine. En ce qui concerne sa fille, « Renata », actuellement âgée de 16 ans, le TAF admet qu’elle a passé l’essentiel de son enfance et de son adolescence en Suisse. Cependant, au vu de ses résultats scolaires médiocres, elle n’aurait pas fait preuve d’une intégration suffisante. Ici, les autorités fédérales ne tiennent absolument pas compte des certificats médicaux qui attestent que la « phobie scolaire » dont souffre Renata est due à sa fragilité liée aux traumatismes subis. Enfin, le TAF argumente qu’une installation dans une autre ville au Brésil serait envisageable. Par conséquent, le recours est rejeté. C’est donc respectivement après dix et huit ans de résidence en Suisse et une attente de décision de deux ans, que cette mère et sa fille sont contraintes de retourner dans leur pays d’origine.Personne(s) concernée(s) : « Adriele » née en 1964 et sa fille « Renata » née en 1997
Statut : sans-papiers -> demande de permis B humanitaire
Résumé du cas
Depuis son arrivée en Suisse en 2004, « Adriele » travaille et cotise auprès des assurances sociales, malgré l’absence de statut légal. Sa fille « Renata », restée au Brésil, la rejoint 2 ans plus tard dans des conditions particulièrement dramatiques puisqu’elle a été victime de violences sexuelles. À son arrivée, la fillette alors âgée de 8 ans est scolarisée et suit un traitement psychothérapeutique. En 2007, suite à un contrôle de police, « Adriele » et « Renata » se voient frappées d’une décision de renvoi. Aidées par leur mandataire, elles constituent un dossier démontrant leur bonne intégration sociale, scolaire et professionnelle. Par ailleurs, elles produisent les certificats médicaux de spécialistes de l’enfance attestant du traumatisme subi par « Renata » et du danger que représenterait un retour au Brésil, et donc à un passé traumatisant, pour sa santé mentale et son développement. Après examen du dossier, l’OCPchange d’avis et transmet à l’autorité fédérale un préavis favorable. Mais en 2011, l’ODM refuse à « Adriele », et donc également à sa fille de 14 ans, l’octroi d’une autorisation de séjour. Il souligne qu’elles séjournaient de manière illégale en Suisse, et estime, contrairement aux avis médicaux des spécialistes, que leur réintégration au Brésil ne devrait pas poser de difficultés insurmontables. Il met l’accent sur le fait que le viol de « Renata » n’a pas pu être attesté médicalement immédiatement après les faits. Ainsi, malgré le risque de traumatisme que représente ce retour, l’intégration remarquable d’« Adriele » et le fait que « Renata » ait vécu une période cruciale de son développement en Suisse (de 8 à 14 ans), l’ODM estime qu’elles ne se trouvent pas « dans une situation d’extrême gravité ». Un recours est pendant devant le TAF
Questions soulevées
À la lumière de cette situation et au vu de l’intégration remarquable d’« Adriele », ne peut-on pas affirmer que l’examen de ce cas par l’ODM est excessivement restrictif ?
Lorsque l’ODM met l’accent sur l’impossibilité médicale de prouver le viol subi par « Renata », ne néglige-t-il pas l’avis des spécialistes qui certifient qu’elle a vécu un traumatisme et qui contre-indiquent un renvoi au Brésil ? Et, partant, n’abuse-t-il pas ainsi de son pouvoir d’appréciation ?
Au vu du vécu, de l’âge et de l’état de santé de « Renata », peut-on affirmer que les autorités fédérales ont accordé une considération primordiale à l’intérêt supérieur de l’enfant tel que requis à l’art. 3 al. 1 CDE ?
Chronologie
2004 : entrée en Suisse d’« Adriele »
2006 : arrivée en Suisse de sa fille « Renata »
2007 : décision de renvoi de l’OCP (juil.)
2008 : préavis favorable de l’OCP (jan.)
2011 : décision négative de l’ODM (oct.) et recours au TAF (nov.)
Au moment de la rédaction, un recours est en suspens auprès du TAF.
Description du cas
Depuis son arrivée en Suisse en 2004, « Adriele » travaille comme femme de ménage. Elle n’a pas de statut légal mais est déclarée aux assurances sociales et s’intègre rapidement. Elle est indépendante financièrement et suit, dès 2005, des cours qui facilitent son apprentissage de la langue française. En juillet 2006, sa fille « Renata », restée auprès de sa grand-mère au Brésil, est victime de violences sexuelles. Elle est alors âgée de 8 ans et son agresseur, un adolescent de 15 ans, est un neveu de sa mère. Cette dernière, très inquiète pour sa fille, la fait venir en Suisse en août 2006. La fillette est aussitôt inscrite à l’école publique et sa mère, inquiète de son comportement introverti, s’adresse au service médico-pédagogique du canton. « Renata » est alors orientée vers une psychologue et entame une thérapie suivie. Parallèlement, elle s’intègre au sein d’un club de football féminin.
En juillet 2007, « Adriele » est contrôlée par la police. Puisqu’elle réside en Suisse sans statut légal, un délai de trente jours lui est imparti pour quitter le pays, accompagnée de sa fille. Son mandataire demande à l’OCP un délai d’une année pour que « Renata » puisse poursuivre son traitement. Un rapport d’évaluation psychologique, daté du 4 décembre 2007, est transmis à l’autorité cantonale. Les spécialistes y affirment notamment que « toute confrontation à des éléments de réalité anxiogène (tel le retour au Brésil), peuvent fragiliser le développement de cet enfant ». Après examen du dossier, l’OCP donne un préavis favorable à l’octroi d’une autorisation de séjour. En septembre 2010, suite à la réapparition de symptômes, « Renata » consulte à nouveau un spécialiste. Un rapport est alors émis faisant à nouveau état du risque de confrontation à un passé traumatique en cas de renvoi au Brésil.
Pourtant, et malgré le préavis favorable de l’autorité cantonale, l’ODM, dans sa décision du 12 octobre 2011, refuse d’octroyer une autorisation de séjour à « Adriele » et à sa fille. En mettant en avant les 39 ans passés au Brésil où elle a suivi une formation et pu exercer sa profession d’assistante dentaire, l’ODM estime qu’« Adriele » ne devrait pas avoir trop de difficultés à se réintégrer dans son pays d’origine. Concernant l’état de santé de « Renata », l’ODM affirme que l’examen médical pratiqué au Brésil en 2006 n’atteste pas des violences sexuelles et qu’en outre, les infrastructures médicales sont suffisantes sur place. Il considère également que son intégration n’est « pas poussée » après 5 ans de scolarité à Genève et qu’elle se trouve, à 14 ans, « encore au seuil de son adolescence ».
Dans un recours adressé au TAF le 10 novembre 2011, le mandataire reproche à l’ODM de mettre en doute les déclarations de la fillette en ne se basant que sur le rapport établi juste après l’agression qui, s’il ne nie pas le viol, ne peut pas l’établir catégoriquement pour des raisons médicales. Pour le mandataire, l’ODM a ignoré les avis médicaux émis à Genève par des spécialistes de l’enfance reconnus qui attestent du traumatisme vécu par « Renata » et affirment que son retour au Brésil est contre-indiqué, voire dangereux pour son développement. Le recours mentionne également la jurisprudence du TAF concernant l’adolescence, « période essentielle du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant une intégration accrue dans un milieu déterminé » (cf. ATF 123 II 125 consid.4 p.128; arrêt du Tribunal fédéral 2A.718/2006 du 21 mars 2007 consid.3). Au moment de la rédaction de cette fiche, « Adriele » et sa fille sont toujours en attente de la décision du TAF.
Signalé par : Syndicat SIT – Genève, décembre 2011
Sources : décision de l’OCP (24.07.2007), préavis de l’OCP (8.01.2008), préavis de l’ODM (13.04.2011), réponse au préavis (13.05.2011), décision de l’ODM (12.10.2011), recours au TAF (10.11.2011), et autres pièces utiles du dossier.