Parce qu’elle n’a pas de passeports valides, une famille reste admise « provisoirement » depuis 11 ans
Ressortissant·es érythréen·nes, Rahel* et Samson* arrivent en Suisse en 2011. En 2017, le couple demande la transformation de leurs admissions provisoires en autorisations de séjour (permis B), compte tenu qu’iels remplissent tous les critères prévus par l’art. 31 OASA. Il leur faudra attendre plus de trois ans et le dépôt d’un recours en déni de justice pour que le service cantonal de la population rende sa décision. Celle-ci est négative, le canton refuse de régulariser leurs statuts de séjour au motif que Rahel* et Samson* n’ont pas produits de passeports érythréens en cours de validité. Saisi par recours du couple, le Tribunal cantonal confirme ce refus.
Personnes concernées (*Prénoms fictifs): Rahel* et Samson*
Origine: Erythrée
Statut: Permis F
Chronologie
2011 : demandes d’asile de Rahel* et Samson* (mars et ) ; arrivée en Suisse et demande d’asile de Samson (août)
2013 : rejet de la demande d’asile de Samson* et recours auprès du TAF (août) ; admission provisoire pour Rahel* et recours auprès du TAF (novembre)
2014 : rejet du recours de Rahel* (décembre)
2015 : admission du recours de Samson* et admission provisoire (septembre)
2017 : demande de transformation de F en B (novembre)
2021 : recours auprès du Tribunal cantonal pour déni de justice (avril) ; décision négative du canton (mai) ; recours auprès du Tribunal cantonal (août) 2022 : arrêt négatif du Tribunal cantonal (avril)
Questions soulevées
- Comment est-il possible que les autorités suisses prennent tant de temps pour la procédure, alors même que les critères pour la demande de conversion du permis F en B sont remplis? Si le seul problème relève de la production d’un papier d’identité valable, qu’est-ce qui explique une telle durée?
- L’art. 31 al.2 OASA n’exige pas la production d’un passeport, seulement de justifier l’identité. Comment se fait-il que les autorités cantonales durcissent unilatéralement cette exigence?
- Il est internationalement reconnu que les Erythréens sont dans l’impossibilité de produire des passeports en raison des conséquences que cela peut engendrer pour leurs proches aux pays et de la taxe à laquelle ils sont ensuite assujettis des années durant. Comment expliquer que les autorités suisses, elles, restent aussi intransigeantes? Cela ne revient-il pas à priver des personnes de toute chance de régulariser leur statut de séjour sans qu’elles ne puissent y faire qui que ce soit? N’est-ce pas discriminant et arbitraire?
Description du cas
Née en 1990 en Erythrée, Rahel* arrive en Suisse en mars 2011. Elle y dépose une demande d’asile. En novembre 2013, le SEM (alors ODM) rejette sa demande, mais lui octroie une admission provisoire au motif de l’inexigibilité de son renvoi. Rahel* dépose un recours contre cette décision mais celui-ci est rejeté par le TAF en décembre 2014.
Samson* est né en Erythrée en 1986. Il arrive en Suisse et y demande l’asile en août 2011. En août 2013, le SEM rejette sa demande d’asile. Il reproche notamment à Samson* de n’avoir fourni aucun document d’identité démontrant sa nationalité érythréenne. Samson* dépose un recours auprès du TAF. Dans son arrêt (E-5109/2013), rendu en septembre 2015, le tribunal reconnait que Samson* a déposé une attestation d’identité, dont la validité a été certifiée par l’ambassade suisse en Ethiopie. De plus, l’autorité émettrice de ladite attestation a confirmé que l’établissement d’une carte d’identité éthiopienne avait été refusée à Samson* en raison de sa nationalité érythréenne. Enfin, Samson* avait également fourni la copie du passeport de sa mère. Au vu de quoi, le tribunal décrète que la nationalité érythréenne de Samson* est vraisemblable. Il admet le recours et renvoie la cause au SEM pour nouvelle décision. Le même mois, le SEM délivre une admission provisoire à Samson* en raison de l’inexigibilité de son renvoi.
Rahel* et Samson* se rencontrent en Suisse. Le couple a deux enfants, nés respectivement en 2016 et en 2018, qui reçoivent également des admissions provisoires. En novembre 2017, après 6 ans de vie en Suisse, la famille dépose une demande de transformation de leurs permis F en autorisations de séjour (permis B) auprès du service cantonal de la population (SPOP). Ils remplissent alors toutes les conditions requises par l’art. 31 al. 1 OASA.
En août 2020, le SPOP leur demande de produire des passeports érythréens en cours de validité. Le couple explique être dans l’impossibilité de répondre à cette demande: en raison de leurs activités antigouvernementales, la prise de contact avec les autorités érythréennes est impossible. Samson* rappelle par ailleurs que le TAF avait reconnu sa nationalité, et que l’attestation mentionnant son identité a été certifiée par l’ambassade suisse en Ethiopie.
En janvier 2021, sans nouvelles du SPOP, Rahel* et Samson* relancent ce dernier en soulignant que plus de trois ans se sont écoulés depuis le dépôt de leur demande. Demeurant sans réponse, le couple adresse un nouveau courrier au SPOP en mars 2021. Sans nouvelles, le couple dépose alors, en avril 2021, un recours pour déni de justice auprès du Tribunal cantonal.
En mai 2021, le SPOP rend finalement sa décision: tout en admettant la bonne intégration du couple, il rejette sa demande, au motif de l’absence de passeports érythréens en cours de validité ou, à défaut, de passeports pour étrangers dépourvus de documents de voyage. Rahel* et Samson* forment un recours contre cette décision. Iels rappellent que l’art. 31 al. 2 OASA demande que le ou la requérant·e justifie de son identité, sans toutefois exiger la production d’un document d’un certain type. Or, l’identité de Samson* a été reconnue vraisemblable par le TAF, notamment en raison de la production d’une attestation certifiée par l’ambassade suisse en Ethiopie. Par conséquent, son identité était prouvée et la condition de l’art. 31 al. 2 OASA remplie. Par ailleurs, le couple invoque également la résolution du 5 décembre 2011 du Conseil de sécurité de l’ONU qui condamne l’imposition d’une taxe par le Gouvernement érythréen à la diaspora. En les obligeant à obtenir un passeport, le SPOP les oblige à se soumettre à la taxe, violant ainsi la résolution précitée. Par son arrêt rendu en avril 2022, le Tribunal cantonal rejette le recours. Il considère que, bien que l’identité de Samson* ait été reconnue vraisemblable par le TAF, elle n’a toutefois pas été clairement établie, comme elle le serait par la production d’une pièce d’identité. De plus, il estime que Samson* aurait toujours la possibilité de s’adresser au SEM pour faire constater l’impossibilité d’en obtenir une. Enfin, il rappelle que, selon la jurisprudence du TAF, le fait de devoir s’acquitter d’une taxe en faveur du gouvernement érythréen pour obtenir des documents d’identités ne constitue pas une impossibilité objective à l’obtention de passeports.
Signalé par: SAJE/EPER Vaud
Source: Arrêt PE.2021.0117 du Tribunal cantonal du 14 avril 2022