On voulait le renvoyer alors que sa maladie
n’est pas traitable au Kosovo

« Eshten » travaille sans statut en Suisse lorsqu’on lui diagnostique une insuffisance rénale nécessitant dialyses et médication, et dont l’évolution est si grave qu’elle nécessite à terme une greffe, impossible à pratiquer dans son pays d’origine. Il demande un permis humanitaire qui lui est refusé alors que les médecins craignent pour sa survie en cas de renvoi.

Personne(s) concernée(s) : « Eshten», homme né en 1972

Statut : sans papiers -> permis B humanitaire

Résumé du cas

Après cinq ans passés en Suisse au bénéfice d’une admission provisoire, « Eshten » y revient quelques années plus tard pour y travailler, sans permis, afin de subvenir aux besoins de sa famille restée au Kosovo. En 2009, « Eshten » est hospitalisé suite à un malaise. Une insuffisance rénale lui est diagnostiquée. Il doit désormais suivre un traitement assez lourd (médicaments et dialyses) afin de garantir sa survie. Début 2010, « Eshten » fait une demande d’autorisation de séjour pour cas personnel d’extrême gravité (art. 30, al.1 let. B LEtr). Il explique qu’en cas de retour au Kosovo, il n’aurait pas les moyens de financer ses médicaments, et que le centre de dialyse n’a pas la capacité de le soigner. De plus, son état pourrait exiger une greffe, impossible à réaliser au Kosovo, et possible en Suisse uniquement avec une autorisation de séjour. Dans sa prise de position, le service cantonal concerné (SPOP) constate, d’après un rapport de l’ODM, qu’il existe un centre de dialyse au Kosovo et qu’ « Eshten » pourrait a priori en bénéficier ». Pourtant, « Eshten » a fourni un certificat du médecin responsable de ce centre affirmant qu’il n’y avait pas de places disponibles. Le SPOP n’évoque pas non plus le coût prohibitif des médicaments. Plusieurs courriers sont échangés, dont des certificats médicaux faisant état de la mauvaise santé d’ « Eshten » et de son impossibilité à interrompre son traitement. La situation se débloque lorsque « Eshten » se retrouve face à son responsable de dossier au SPOP, qui voit dans quel état de faiblesse il est. « Eshten » affirme que, s’il reçoit un permis B lui permettant de se faire greffer et si son état de santé le lui permet, il est disposé à rentrer dans son pays. Le SPOP accepte donc d’accorder une autorisation de séjour à « Eshten », décision soumise à l’approbation de l’ODM. L’ODM rend d’abord une réponse négative, puis revient sur sa décision, grâce à un téléphone de la mandataire d’ « Eshten » qui s’appuie sur un nouveau rapport médical encore plus précis et alarmant des médecins qui insistent sur l’urgence et la nécessité du traitement et d’une greffe pour assurer la survie d’ « Eshten ».

Questions soulevées

 Pourquoi les autorités ne tiennent-elles pas d’emblée compte des rapports médicaux établis par des spécialistes ?

 Est-il normal que faire reconnaître une mise en danger évidente nécessite le travail acharné d’une mandataire pour démonter la fiabilité douteuse d’un rapport de l’ODM ? Que se passe-t-il lorsque la personne malade et menacée d’un renvoi n’a pas accès à une défense de qualité ? Combien de décisions de renvoi ont-elles été prononcées, en se basant sur des analyses erronées de la situation médicale dans le pays d’origine menées par l’ODM?

Chronologie

1998 : arrivée en Suisse, au bénéfice d’une admission provisoire (guerre du Kosovo)

2003 : retour au Kosovo, suite à la décision de levée de l’admission provisoire

2004-2006 : séjour en Suisse, en tant que travailleur sans statut légal

2009 : retour en Suisse (avril), malaise et diagnostic d’insuffisance rénale (sept.)

2010 : demande d’autorisation de séjour (fév.), échanges avec le SPOP (juil.-déc.)

2011 : décision positive du SPOP (avril), décision négative de l’ODM (juil.), octroi du permis B par l’ODM (août)

Description du cas

« Eshten » arrive en Suisse en 1998 et y dépose une demande d’asile, avec sa famille. Mis au bénéfice d’une admission provisoire durant la guerre qui ravage le Kosovo, « Eshten » et sa famille sont obligés de quitter la Suisse en 2003, une fois la levée de l’admission provisoire entrée en force. Le retour au Kosovo est dur, puisque ni « Eshten » ni sa femme ne trouvent du travail. « Eshten » revient donc travailler clandestinement en Suisse entre 2004 et 2006, en laissant femme et enfants au Kosovo. À son retour, la situation ne s’est pas améliorée puisqu’il ne trouve pas de travail fixe. En 2009, il décide de revenir travailler en Suisse. Quelques mois après son arrivée, il est hospitalisé suite à un malaise. C’est à cette occasion qu’on lui diagnostique une insuffisance rénale, qui l’oblige désormais à subir des dialyses trois fois par semaine, ce qui est indispensable à sa survie.

Début 2010, « Eshten » dépose une demande d’autorisation de séjour pour cas personnel d’extrême gravité (art. 30, al.1 let. B LEtr). Il explique qu’il a impérativement besoin de suivre son traitement, ce qui serait impossible au Kosovo. Pour le démontrer, « Eshten » produit un rapport médical d’un médecin kosovar qui indique que « les dialyses nécessaires à la survie d’ « Eshten » ne peuvent être assurées de façon continue en raison du manque de machines en rapport au nombre important de malades au Kosovo ». Par ailleurs, « Eshten » évoque le fait qu’il ne pourra pas avoir accès à tous les médicaments nécessaires en raison de leur coût très élevé et en donne les prix exacts. Il démontre que le salaire mensuel moyen au Kosovo (250 euros) pourrait à peine couvrir le coût d’une boîte couvrant 28 jours de traitement (215 euros) de l’une des 10 sortes de médicaments dont il a besoin. « Eshten » fournit un certificat médical de ses médecins suisses mettant en évidence qu’une interruption – même temporaire – de son traitement est inenvisageable, et que supportant mal les séances de dialyses et au vu de son jeune âge, il pourrait devoir être greffé dans les années à venir, chose impossible au Kosovo.

Le service cantonal concerné (SPOP) s’appuie sur une analyse menée par l’ODM pour affirmer que « des séances de dialyses existent en République du Kosovo et que par conséquent, « Eshten » pourrait a priori en bénéficier ». « Eshten » explique alors que les informations contenues dans le rapport de l’ODM ne sont pas actuelles, que les médecins n’osent pas révéler la situation réelle prévalant dans leurs hôpitaux, de peur de perdre leur travail. Ainsi, les centres de dialyses ne peuvent accueillir tous les patients, et seuls ceux capables de payer « sous la table » sont effectivement soignés. À cela s’ajoute encore le prix prohibitif des médicaments dont « Eshten » a impérativement besoin et qu’il ne peut se payer n’ayant ni revenu, ni patrimoine.

Alors que son état de santé se dégrade de jour en jour, « Eshten » a un entretien avec un employé du SPOP au début 2011 lors duquel il explique qu’il ne pourra bénéficier d’une greffe, devenue indispensable, en Suisse que s’il est au bénéfice d’un permis B, ceci afin de bénéficier des traitements post-greffe nécessaires. Il ajoute qu’il s’engage à quitter la Suisse si son état de santé le lui permet et que les traitements post-greffe sont disponibles au Kosovo. Le SPOP décide d’accorder une autorisation de séjour d’une année à « Eshten », renouvelable en fonction de son état de santé. Cette autorisation doit toutefois être soumise à l’approbation de l’ODM.

En juillet 2011, l’ODM se prononce négativement : « la situation personnelle et médicale d’ « Eshten » ne constitue pas un cas individuel d’extrême gravité au point de justifier l’octroi d’une autorisation de séjour ». Les médecins d’ « Eshten » récrivent alors un certificat médical encore plus précis que celui déjà présenté, qui décrivait pourtant la nécessité d’une greffe : « De manière à garantir une survie à moyen et long termes, une transplantation rénale doit, contrairement à l’appréciation de l’ODM, pouvoir être planifiée dès que possible.[…] il est impératif et urgent qu’un statut de séjour stable soit délivré à « Eshten » afin qu’il puisse être greffé au plus vite. En l’absence d’un tel traitement, le pronostic vital à court ou moyen terme est très réservé, même si le patient peut demeurer en Suisse au bénéfice de son traitement actuel ». Suite à ce rapport alarmant et à un téléphone de la mandataire, l’ODM revient sur sa position et octroie un permis B à « Eshten », qui entreprend les premières démarches pour être greffé.

Signalé par : La Fraternité (Centre social protestant – Vaud), juillet 2011

Sources : Demande de permis de séjour (12.02.10), prise de position du SPOP (23.07.10), courriers explicatifs au SPOP (23.08.10, 21.12.10, 17.02.11), décision positive du SPOP (20.04.11), courrier à l’ODM (21.06.11), décision négative de l’ODM (07.07.11).

Cas relatifs

Cas individuel — 16/03/2020

En Suisse depuis 1991, son renvoi vers le Portugal est confirmé malgré une intégration « réussie »

Les autorités refusent de renouveler le permis de séjour UE/AELE de « Paula », qui travaille légalement en Suisse depuis 1991, car elle aurait perdu la qualité de « travailleuse salariée » au sens de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), et parce que son intégration n’est pas « exceptionnelle » au point de constituer un cas de rigueur permettant de lui octroyer un permis de séjour.
Cas individuel — 17/03/2015

Admise « provisoirement » depuis 14 ans, elle obtient enfin un permis B

Titulaire d’un permis F, « Sanija », veuve suite à la guerre d’ex-Yougoslavie, à la santé fragile, essuie trois refus de se faire délivrer un permis B en raison d’un manque d’intégration. Ce n’est que grâce à un solide argumentaire de sa mandataire que les autorités acceptent de stabiliser son séjour en Suisse, après quatorze ans, par un titre de séjour.
Cas individuel — 03/12/2014

Atteinte d’un grave cancer, elle doit partir sans garantie d’accès aux soins

« Olga » est une ressortissante ukrainienne atteinte d’un grave cancer. L’ODM refuse de lui octroyer un permis de séjour pour cas de rigueur, au motif que les soins sont disponibles en Ukraine. Les autorités ne prennent ainsi nullement en considération la problématique de l’accès à ces prestations dans un pays gravement affecté par la corruption.
Cas individuel — 03/07/2013

Après 20 ans en Suisse, « Houria » se voit réattribuer un statut précaire

« Houria » et sa fille mineure voient leur permis B remplacé, après dix années, par une admission provisoire. Le Tribunal cantonal vaudois, qui reconnaît les efforts d’« Houria » pour trouver un emploi, estime néanmoins que sa détresse psychologique et l’incapacité totale de travailler qui en résulte ne justifient pas sa dépendance à l’aide sociale.