Malgré une intégration professionnelle réussie, le permis de séjour lui est refusé

« Rani » est en Suisse depuis sept ans. Il a réussi deux diplômes et a obtenu un contrat à durée déterminée de deux ans, et ce, sans permis de séjour. Il remplit les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour au sens de l’art. 14 al. 2 LAsi et de l’art. 31 OASA. De plus, l’autorité cantonale est favorable à sa demande. Le SEM, lui, considère que son intégration n’a pas un caractère exceptionnel. Un recours est pendant au TAF.

Mise à jour

Dans son arrêt du 18 décembre 2018 (F-7621/2016), le TAF confirme la décision du SEM et estime que « le fait de travailler pour ne pas dépendre de l’aide sociale, d’éviter de commettre des actes répréhensibles et de s’efforcer d’apprendre au moins une des langues nationales […] constitue un comportement ordinaire […] Il ne s’agit pas là de circonstances exceptionnelles permettant, à elles seules, de retenir l’existence d’une intégration poussée au sens de l’art. 14 al.2 let.c LAsi » (consid. 5.2.2). « Rani » avait pourtant poursuivi ses efforts d’intégration : quelques mois auparavant, il avait fait parvenir au TAF une attestation de son employeur confirmant la prolongation, sous réserve de l’octroi d’une autorisation de séjour, de son contrat de travail pour une durée indéterminée.

Dans son arrêt, le TAF souligne également le caractère illégal du séjour de Rani en Suisse, entre la décision de renvoi du SEM et le moment où le SPOP lui a indiqué être disposé à entrer en matière sur sa demande de séjour. Selon le TAF, les séjours sans autorisation ne peuvent être pris en compte que de manière limitée lorsqu’il s’agit de cas de rigueur et la durée de séjour de « Rani » n’est donc pas suffisante pour admettre un tel cas. L’autorité reproche à Rani un « comportement dilatoire » : en ne coopérant pas aux démarches nécessaires à son retour en Guinée, il aurait retardé durant près de deux ans l’exécution de son renvoi. Pourtant, « Rani » a toujours contesté être de nationalité guinéenne. C’est ce que sa mandataire assure dans un recours au TF, dans lequel elle rappelle que « Rani » n’a jamais validé ni signé les rapports d’audition des autorités guinéennes et maliennes qui ont permis au SEM de le déclarer guinéen. On ne peut donc parler de comportement « dilatoire » visant à prolonger son séjour en Suisse. Selon sa mandataire, le séjour de « Rani » en Suisse qui avoisine les dix ans présente une durée suffisamment longue pour être pris en compte sous l’angle de l’art. 8 CEDH.

Le 4 février 2019, le TF juge le recours irrecevable (2C_119/2019). Il rappelle que, selon la jurisprudence (arrêt du TF 2C_105/2017), une résidence légale de plus de 10 ans est nécessaire pour se prévaloir de l’art. 8 CEDH, ou alors il faut que la personne fasse preuve d’une « forte intégration en Suisse », ce qui, selon le TF, n’est pas le cas de « Rani ».

Suite à cet arrêt, « Rani » a été subitement arrêté à son domicile par la police vaudoise, placé en détention administrative puis renvoyé en Guinée par vol spécial le 6 novembre 2019, plus de 10 ans après son arrivée. Il travaillait comme cuisinier dans une institution publique à l’entière satisfaction de son employeur.

Depuis son arrivée en Guinée, « Rani » a multiplié les démarches pour obtenir un permis de séjour auprès des autorités guinéennes, sans succès. Sans documents d’identité, sans ressources financières et sans famille ni réseau dans le pays, il s’est retrouvé dans une situation extrêmement précaire. Son médecin traitant en Suisse, avec qui il est resté en contact régulier, attestait que son état de santé se détériorait rapidement. Souffrant de troubles anxieux et porteur de l’hépatite B nécessitant des contrôles réguliers du foie, « Rani » n’a jamais pu avoir accès aux soins médicaux et aux médicaments nécessaires. Il est décédé à Conakry le 17 octobre dernier à l’âge de 30 ans.

Personne(s) concernée(s) : « Rani », né en 1990

Statut : Demande d’autorisation de séjour > en attente

Résumé du cas

« Rani », né en Somalie, a grandi en Guinée. Le jeune homme dépose une demande d’asile en Suisse en octobre 2010. Dans une première décision, le SEM choisit de ne pas entrer en matière sur le cas de « Rani », considérant qu’il aurait pu demander l’asile en Grèce, pays dans lequel il a séjourné quatre mois à son arrivée en Europe. Grâce au recours d’une mandataire, cette décision est annulée et la procédure d’asile de « Rani » se poursuit en Suisse. Le SEM finit par refuser la demande du jeune homme, estimant que les motifs qu’il invoque ne sont pas pertinents pour l’asile au sens de l’art. 3 LAsi. Après un recours infructueux contre cette décision, « Rani » dépose une demande de permis B pour cas de rigueur (art. 14 al. 2 LAsi). En effet, le jeune homme remplit tous les critères prévus et particulièrement celui « de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d’acquérir une formation » (art 31 OASA let. d). Depuis son arrivée en Suisse, il a poursuivi plusieurs formations dans le but de s’intégrer dans le pays. De plus, il a réussi à devenir financièrement autonome. Son employeur actuel est prêt à lui faire signer un contrat à durée indéterminée en cas d’obtention d’un permis B. La dernière demande de « Rani » a été accueillie favorablement par le SPOP, qui a transmis le dossier au SEM. Or, cette instance a refusé sa requête, estimant que son intégration n’a pas un caractère exceptionnel, que « Rani » a été au bénéfice de l’aide sociale et qu’il pourrait se réintégrer en Guinée. Le SEM ne précise pas que « Rani » a déjà remboursé une partie de l’aide sociale qu’il a reçue par le passé. De même, il ne considère pas comme exceptionnel le fait qu’un jeune homme de 19 ans ait réussi à se former et à obtenir du travail, et ce, sans permis de séjour valable. Au moment de la rédaction de cette fiche, un recours est pendant au TAF.

Questions soulevées

 

« Rani » remplit tous les critères objectifs de l’ 31 OASA. Il a su se former, obtenir deux diplômes et devenir financièrement indépendant malgré l’absence de permis de séjour. Qu’aurait-il fallu de plus pour que son intégration soit considérée comme suffisante par le SEM ?

Les exigences du SEM, qui vont au-delà de ce que prévoit la loi, ne sont-elles pas disproportionnées au regard de la pesée des intérêts : d’un côté, l’intérêt de « Rani » à rester en Suisse où il a déjà réussi son intégration professionnelle ; de l’autre, celui des autorités à renvoyer un jeune homme formé dans ce pays, dans le seul but d’appliquer une politique migratoire restrictive ?

Chronologie

2009 : Demande d’asile (oct.)

2010 : Décision de non entrée en matière du SEM (mars), recours au TAF (mars)

2011 : Annulation de la décision du SEM de mars 2010 (mars)

2013 : Rejet de la demande d’asile par le SEM (juil.), recours au TAF (déc.)

2014 : Rejet du recours par le TAF

2015 : Demande d’autorisation de séjour selon l’art. 14 al. 2 LAsi (juil.)

2016 : Avis favorable du SPOP concernant la demande de juillet 2015 (fév.), mais rejet de la demande par le SEM (nov.), recours au TAF contre la décision du SEM (déc.)

Description du cas

« Rani », né en Somalie, a grandi en Guinée où il a été emmené à l’âge de six mois suite au décès de sa mère. Sa grand-mère l’a élevé dans ce pays où il a suivi quatre années de scolarité obligatoire. Il a ensuite effectué divers petits emplois. Suite au décès de sa grand-mère, son père, qu’il n’avait pas connu jusqu’alors, vient le trouver et lui propose de se rendre avec lui en Europe. Malheureusement, il décède durant leur périple.

« Rani » se retrouve seul en Grèce, sans moyens, et se démène pour survivre. Le jeune homme âgé de 19 ans dépose une demande d’asile en Suisse en octobre 2009. Dans un premier temps, le SEM décide de ne pas entrer en matière, étant donné son passage par la Grèce, en application des accords de Dublin. Grâce au recours d’une mandataire, cette décision est annulée, au motif que des mauvaises conditions d’accueil persistent dans ce pays (art. 3 CEDH et art. 3 al. 2 du Règlement (CE) N°343/2003). Ainsi, la procédure d’asile de « Rani » reprend en Suisse et il est entendu en juillet 2013 par le SEM. En novembre de la même année, le SEM rejette la demande d’asile du jeune homme, estimant que les motifs invoqués ne sont pas suffisants pour le reconnaître comme réfugié au sens de l’art.3 LAsi. Puisque la situation sécuritaire de la Guinée est considérée comme suffisamment bonne, le renvoi de « Rani » est prononcé. Avec l’aide de son employeur, le jeune homme rédige un recours contre cette décision en expliquant qu’il n’a plus aucune famille en Guinée et qu’il met tout en œuvre pour acquérir une autonomie financière en Suisse, notamment par le biais de formations.

Dès son arrivée dans le pays en effet, « Rani » n’a de cesse de se former dans le but de réussir son intégration. Il débute par des cours de français avant de poursuivre avec deux apprentissages (AFP et CFC), tous deux brillamment réussis en l’espace de cinq ans. Suite à ces formations, « Rani » décroche un contrat à durée déterminée de deux ans auprès de l’employeur qui l’a formé, et ce, malgré l’absence de permis de séjour valable. Il est maintenant financièrement indépendant. De plus, son employeur est prêt à prolonger son contrat et également à le convertir en contrat à durée indéterminée si « Rani » obtient un permis B. En vertu de ces efforts d’intégration évidents, le jeune homme, soutenu par son employeur, dépose une demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur, conformément à l’art.14 al. 2 LAsi. En effet, le jeune remplit tous les critères prévus et particulièrement celui « de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d’acquérir une formation » (art 31 OASA let. d). Le SPOP répond favorablement à cette requête et la soumet au SEM, qui rend une décision négative. Le SEM estime que l’intégration réussie de ce jeune homme, qui a su se débrouiller sans autorisation de séjour, « ne revêt aucun caractère exceptionnel et ne saurait être considérée comme étant poussée ». De plus, le SEM rappelle que « Rani » a bénéficié de prestations d’aide sociale, sans préciser qu’il en a déjà remboursé une partie. Malgré l’absence de proches en Guinée, le SEM estime que « Rani » pourra se réintégrer facilement dans ce pays. Au moment de la rédaction de cette fiche, un recours contre cette décision est pendant au TAF.

Signalé par :  Centre social protestant Vaud

Sources :  Décisions du SEM (ancien. ODM) (03.03.2010, 04.03.2011, 28.11.2013, 04.11.2016), décision de radiation du TAF (16.03.2011), arrêt du TAF (26.02.2014), recours au TAF (09.03.2010, 28.12.2013, 08.12.2016), Définitions de l’AFP et du CFC de la plateforme orientation.ch

 

Cas relatifs

Cas individuel — 22/11/2023

Une retraite trop basse pour vivre et pas d’accès aux prestations complémentaires

Alors qu’elle a été régularisée, les autorités genevoises ne prennent pas en compte les années passées à Genève sans statut de résidence d’Emanuela*. En conséquence, cette dernière n’a pas accès aux prestations complémentaires AVS et doit continuer à travailler à l’âge de 71 ans.
Cas individuel — 12/11/2020

Transformation de F en B : procédure bloquée à cause d’un passeport manquant

Abdela* est né en Éthiopie de parents érythréen·ne·s. Après avoir obtenu une admission provisoire, il dépose une demande de transformation de son permis F en permis B devant le Service de la population (SPOP) du canton de Vaud. Pour accéder à sa requête, le SPOP exige qu’Abdela* présente un passeport. Pourtant, son identité et sa nationalité érythréenne ont été confirmées dans un jugement du TAF et ni la loi ni les directives du SEM ne posent cette exigence.
Cas individuel — 16/03/2020

En Suisse depuis 1991, son renvoi vers le Portugal est confirmé malgré une intégration « réussie »

Les autorités refusent de renouveler le permis de séjour UE/AELE de « Paula », qui travaille légalement en Suisse depuis 1991, car elle aurait perdu la qualité de « travailleuse salariée » au sens de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), et parce que son intégration n’est pas « exceptionnelle » au point de constituer un cas de rigueur permettant de lui octroyer un permis de séjour.
Cas individuel — 30/07/2015

Malgré sa bonne intégration, un permis de séjour lui est refusé

« Salman » est en Suisse depuis plus de cinq ans au bénéfice d’une admission provisoire et a su acquérir une indépendance financière. Il remplit les conditions d’octroi d’un permis de séjour pour cas de rigueur, telles que définies à l’art. 84 al. 5 LEtr et à l’art. 31 OASA. Les autorités lui reprochent toutefois de ne pas pouvoir se prévaloir d’une « intégration exceptionnelle ».