L’ODM dissimule des informations au Tribunal pour confirmer sa décision de renvoi
Après avoir fui l’Azerbaïdjan en raison de leur origine arménienne, la jeune « Samira », gravement handicapée, sa mère et sa sœur se voient refuser l’asile et sont sommées de repartir. Le TAF, constatant que l’ODM lui a dissimulé des informations sur la disponibilité des soins, annule le renvoi et leur délivre une admission provisoire.
Personne(s) concernée(s) : « Samira », née en 1995, sa sœur et sa mère nées en 1993 et en 1967
Statut : demande d’asile rejetée -> admission provisoire
Résumé du cas
« Samira » est une jeune fille de père azéri et de mère d’ascendance mixte azérie et arménienne. Compte tenu du conflit opposant ces deux communautés, la famille de « Samira » est régulièrement exposée à des actes hostiles dus aux origines maternelles. « Samira », elle, souffre d’une grave maladie neuromusculaire qui l’oblige, dès sa naissance, à se mouvoir en chaise roulante, ce qui implique une lourde prise en charge par sa famille. Lorsque ses parents divorcent et que son père s’en va vivre en Suisse, « Samira » ainsi que sa mère et sa sœur sont davantage exposées à des discriminations, ce qui les amène à fuir l’Azerbaïdjan en 2009. Elles trouvent refuge temporairement chez leur père et respectivement ex-mari mais, lorsque celui-ci quitte la Suisse pour son travail, elles décident de déposer une demande d’asile. L’asile leur est cependant refusé et le renvoi prononcé, les autorités estimant que les soins nécessaires à « Samira » sont disponibles en Azerbaïdjan. Elles font recours au TAF en apportant notamment des rapports médicaux attestant des risques majeurs qu’un renvoi dans ce pays ferait courir à « Samira » en raison de l’impossibilité d’y poursuivre son traitement multidisciplinaire. Consulté sur le recours, l’ODM (désormais le SEM) annonce ne pas avoir modifié son point de vue, affirmant qu’il existe bien des soins adéquats en Azerbaïdjan pour « Samira ». Deux ans plus tard, le TAF découvre qu’après le dépôt du recours, l’ODM a fait effectuer sans en avoir le droit des recherches concluant que le suivi médical complexe que nécessite « Samira » n’est pas accessible dans son pays. Le Tribunal ordonne dès lors l’octroi d’une admission provisoire à « Samira » et à sa famille, dénonçant au passage la violation du droit commise par l’ODM.
Questions soulevées
Pourquoi l’Office n’a-t-il pas produit son dossier au moment du recours comme le prévoit la loi (art. 54ss PA) ? N’est-ce pas là un comportement contraire à la bonne foi (art. 5 et 9 Cst) ?
Les requérants d’asile, particulièrement fragiles face à une procédure compliquée, ne sont-ils pas en droit d’attendre d’une administration qu’elle procède de manière non seulement loyale, mais aussi légale ? N’est-ce pas là le fondement-même d’un État de droit ?
Comment comprendre que l’ODM persiste de surcroît à vouloir renvoyer une jeune fille lourdement handicapée et sa famille, contre l’avis de tous ses médecins traitants, tant en Suisse qu’en Azerbaïdjan?
Chronologie
2005 : divorce des parents de « Samira »
2007 : arrivée en Suisse du père
2009 : arrivée en Suisse de « Samira », de sa sœur et de sa mère (juil.)
2010 : départ du père de Suisse ; demande d’asile de « Samira », de sa sœur et de sa mère (oct.)
2012 : décision négative de l’ODM (janv.), recours au TAF (fév.), observations de l’ODM (juil.), réplique du mandataire (août)
2014 : arrêt du TAF et octroi d’une admission provisoire (oct.)
Description du cas
« Samira » a grandi en Azerbaïdjan, de père azéri et de mère moitié azérie, moitié arménienne. Dès son plus jeune âge, sa famille s’est retrouvée confrontée aux conflits qui opposent ces deux communautés et en particulier aux discriminations subies par la minorité arménienne sur le sol azéri. En outre, dès sa naissance, « Samira » est victime d’une amyotrophie spinale, une grave maladie neuromusculaire ayant entraîné l’apparition d’une scoliose sévère qui la contraint à se déplacer en chaise roulante. Bénéficiant d’une certaine protection lorsque leur père azéri était encore à la maison, « Samira », sa sœur et leur mère ne peuvent plus s’en prévaloir quand les parents se séparent. La mère et ses deux filles ne se sentent dès lors plus en sécurité et, suite à de nouveaux actes hostiles que les autorités azéries ignorent en refusant d’enregistrer leur plainte, elles quittent le pays, en 2009, pour rejoindre la Suisse où travaille désormais leur père et respectivement ex-mari.
Employé d’une organisation internationale, celui-ci part travailler en 2010 dans un autre pays et les trois femmes décident alors de déposer une demande d’asile en Suisse. En parallèle à la procédure d’asile, « Samira », grâce à un important suivi médical multidisciplinaire et une prise en charge quotidienne considérable de la part de sa mère et de sa sœur, suit une scolarité couronnée de succès et fait preuve d’une grande intégration. Les problèmes médicaux de « Samira » ne sont en outre pas sans incidence sur la santé psychique de sa mère qui doit faire preuve d’un investissement permanent pour sa fille en raison de la lourdeur d’une telle maladie.
En janvier 2012, l’ODM (désormais le SEM) rend une décision négative et prononce leur renvoi. Il considère que les trois femmes n’ont pas la qualité de réfugiées et estime, par ailleurs, à propos de « Samira », que « les soins qu’elle reçoit actuellement […] pourront être poursuivis en Azerbaïdjan ». Un recours est déposé au TAF dans lequel le mandataire argue, attestations de tous les médecins consultés à l’appui, que leur renvoi ne saurait être exigé car il pourrait avoir des conséquences fatales pour la santé de « Samira » en raison de « l’absence d’un système adéquat pour procéder à son traitement et pour procurer les soins nécessaires » dans son pays. Il relate également les problèmes médicaux, en particulier psychiques, auxquels est confrontée la mère de « Samira » à cause de son passé difficile et de son présent harassant et angoissant.
Dans un nouveau courrier, l’ODM maintient sa position et souligne que ses propres sources contredisent les conclusions des certificats médicaux fournis par « Samira ». L’autorité fédérale affirme qu’il existe bel et bien dans son pays certains types de soins requis, sans se prononcer sur leur accessibilité et tout en taisant l’inexistence d’autres soins qu’elle nécessite.
En 2014, soit plus de deux ans après, le TAF découvre, en consultant une banque de données de l’ODM qui lui était accessible, l’existence d’investigations complémentaires faites par l’Office après le dépôt du recours et non versées au dossier. Devant cette découverte, le Tribunal souligne que l’ODM « a outrepassé ses compétences. Il ne s’est pas contenté de répondre aux arguments du recourant ou de revenir sur sa décision, mais a, de son propre chef, entrepris une instruction complémentaire de grande ampleur, ce que l’effet dévolutif du recours lui interdit ». De plus, le Tribunal relève que le document obtenu par l’ODM indique que certains types de soins que nécessite « Samira » existent bien en Azerbaïdjan, mais qu’au vu des soins multidisciplinaires dont elle a besoin, « le suivi médical nécessaire n’[est] pas disponible en Azerbaïdjan ». Ce sont là les conclusions auxquelles arrivent les médecins consultés par l’ODM dans le cadre de ses recherches. Face à ce constat, le TAF ordonne à l’ODM de délivrer une admission provisoire à « Samira » ainsi qu’à sa sœur et à sa mère.
Signalé par : CSP Genève – janvier 2015
Sources : PV d’audition de l’ODM (31.05.2011) ; décision ODM (27.01.2012) ; recours au TAF (29.02.2012) ; document de recherches effectuées par l’ODM (28.06.2012) ; observations de l’ODM (02.07.2012) ; réplique du mandataire (03.08.2012) ; courrier du TAF au mandataire (15.10.2014) ; arrêt du TAF D-1150/2012 (20.10.2014) ; décision ODM (30.10.2014) ; documents divers utiles au dossier.