Le TAF tacle le SEM pour avoir considéré que pour un Kurde de Syrie, refuser l’enrôlement n’est pas une raison valable pour demander l’apatridie

Kurde originaire de Syrie au bénéfice d’un permis F, Afrin* adresse au SEM, en juillet 2016, une demande de reconnaissance d’apatridie. Il indique faire partie de la minorité dite ajnabi et qu’il n’a jamais possédé la nationalité syrienne. Le SEM rejette sa demande, et Afrin* dépose un recours au TAF. En décembre 2021, soit 4 ans et demi plus tard, le TAF donne raison à Afrin*: il reconnait d’une part que même si Afrin* obtenu un permis B par mariage, ce statut pourrait lui être retiré en cas de séparation et réclamer un statut pérenne d’apatride reste pertinent. Il estime ensuite que le choix d’Afrin* de ne pas demander la nationalité afin de ne pas être enrôlé dans l’armée est un motif valable qui ne saurait lui être reproché. Enfin, il prend en compte l’avis de l’UNHCR qui réfute l’affirmation du SEM selon laquelle les Kurdes ajnabi pourraient faire des démarches à distance pour obtenir la citoyenneté. Le TAF conclut donc que ce n’est pas abusivement qu’Afrin* se retrouve aujourd’hui sans nationalité et ordonne la reconnaissance de son statut d’apatride.

Personne concernée (*Prénom fictif): Afrin*

Origine : Kurdistan, Syrie

Statut : Apatride

Chronologie 

2015 : demande d’asile (août)

2016 : obtention d’une admission provisoire (juin), demande d’apatridie (juil.)

2017 : rejet de la demande d’apatridie (jan.), recours auprès du TAF (mars)

2018 : obtention du permis B par mariage 2021 : acceptation du recours par le TAF, apatridie reconnue (déc.)

Questions soulevées

  • Comment le SEM peut-il reprocher à une personne ayant fuit un pays en proie à une guerre civile ayant fait plus de 500’000 morts, et dont la répression de la population par le régime en place a été qualifiée par l’ONU d’« extermination », de ne pas avoir voulu s’enrôler dans l’armée?
  • Comment le SEM peut-il modifier sa pratique sur la base d’une affirmation – le fait que certain∙es Kurdes ajnabi pourraient obtenir la nationalité syrienne à distance – considéré fausse par un organe onusien (l’UNHCR)?
  • Une procédure de 4 ans et demi ne frôle-t-elle pas le déni de justice?

Description du cas

Afrin*, né en 1988, est kurde originaire de Syrie. Il dépose une demande d’asile en Suisse en août 2015. Lors de ses auditions, il déclare faire partie de la catégorie des Kurdes dite « ajnabi ». En juin 2016, le SEM lui refuse la qualité de réfugié et rejette sa demande d’asile, mais lui octroie une admission provisoire (permis F) au motif que son renvoi n’est pas raisonnablement exigible.

En juillet 2016, Afrin* adresse au SEM une demande de reconnaissance d’apatridie, indiquant qu’il fait partie d’une minorité ayant le statut d’étranger en Syrie et qu’il n’a jamais possédé la nationalité syrienne. En janvier 2017, le SEM rejette sa demande, estimant qu’Afrin* aurait pu obtenir la nationalité syrienne s’il l’avait sollicitée (comme le reste de sa famille) mais ne l’a pas fait car il refusait de faire le service militaire. Ce motif ne constitue pas, selon le SEM, une raison objective suffisante « étant donné que le service militaire est un devoir civique ». Afrin* n’aurait ainsi pas fourni assez d’efforts pour obtenir la citoyenneté.

Appuyé par un mandataire, Afrin* dépose un recours auprès du TAF contre cette décision en mars 2017. En 2018, suite à son mariage avec une personne reconnue comme réfugiée par la Suisse, ilreçoit un permis B. En novembre 2018, le TAF informe Afrin* qu’une modification législative impose désormais un délai de 10 ans de séjour en Suisse aux apatrides avant de pouvoir demander un permis d’établissement (permis C), le même délai que pour tous les détenteur·ices d’un permis B. Le Tribunal propose d’annuler la procédure de reconnaissance en apatridie puisque celle-ci ne parait désormais plus présenter aucun intérêt pour améliorer la situation d’Afrin*. Afrin* s’y oppose, expliquant qu’il a toujours un intérêt pratique et actuel à la poursuite de la procédure, notamment pour réaliser diverses démarches auprès de l’état civil. En janvier 2020, un nouveau juge se saisit du dossier, le précédent ayant atteint l’âge de la retraite.

En février 2021, le SEM informe le TAF d’une modification de sa pratique : depuis juin 2020, il arrive à la conclusion que la nationalité syrienne est accordée systématiquement à toutes les personnes ajanib enregistrées dans le registre civil de la province de naissance d’Afrin* (al-Hassaké) et que des démarches peuvent être effectuées depuis la Suisse. Une affirmation qu’Afrin* réfute. Le TAF sollicite alors le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (UNHCR-CH) sur le caractère automatique de la délivrance de la citoyenneté aux Kurdes ajanib. En mars 2021, l’UNHCR-CH indique qu’il n’existe pas d’automatisme à l’acquisition de la nationalité. Dans son arrêt rendu en décembre 2021 (F-1297/2017), soit 4 ans et demi après le dépôt du recours, le TAF retient que, étant donné qu’Afrin* a obtenu son statut de réfugié par mariage, il pourrait lui être retiré en cas de séparation. Réclamer un statut pérenne d’apatride reste donc pertinent. Concernant la nationalité syrienne, le TAF estime qu’Afrin* aurait pu en faire la demande avant son départ : néanmoins, son choix de ne pas le faire afin de ne pas être enrôlé dans l’armée et devoir tuer des gens est un motif valable. Le TAF conclut donc que ce n’est pas abusivement qu’Afrin* se retrouve aujourd’hui sans nationalité : il admet le recours et ordonne la reconnaissance du statut d’apatride à Afrin*. Des dépens lui seront versés par le SEM.

Signalé par: Caritas Fribourg

Sources: ATAF F-1297/2017

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