Le SEM conteste la qualité de réfugiée à une enfant victime d’excision et de viol
Ayant subi une excision et un viol dans son pays d’origine, « Asta » cherche refuge en Suisse. Le SEM lui conteste la qualité de réfugiée, lui reprochant de ne pas avoir porté plainte en Ethiopie. La décision est finalement cassée par le TAF qui rappelle la protection particulière à laquelle ont droit les victimes de mutilations génitales féminines (MGF).
Personne(s) concernée(s) : « Asta » née en 1997
Statut : demande d’asile -> asile après recours
Résumé du cas
« Asta » est âgée de 15 ans lorsqu’elle demande l’asile en Suisse fin 2012. Son père étant décédé et sa mère vivant en Suisse, elle a grandi en Ethiopie avec l’épouse de son grand-père qui la battait régulièrement et l’empêchait de parler avec sa mère au téléphone. A ses 10 ans, sa « grand-mère » la fait exciser. « Asta » est ensuite violée par un parent de cette dernière. La grand-mère menace de mort « Asta » et ses frères, s’ils en parlent. Désespérée, la jeune fille tente de mettre fin à ses jours. Par la suite, un membre de sa famille de l’étranger organise sa fuite. Dans le cadre de sa procédure d’asile, « Asta » indique ne pas avoir porté plainte en Ethiopie notamment car elle avait peur pour sa sécurité et celle de ses frères. Deux ans après le dépôt de la demande, le SEM rend sa décision. Il conteste la qualité de réfugiée à « Asta » mais lui octroie une admission provisoire, admettant que son renvoi n’est pas exigible. Tout en ne remettant pas en question l’existence de mutilations génitales féminines (MGF) et de viol, le SEM lui reproche de ne pas avoir demandé la protection des autorités éthiopiennes. Un recours est déposé au TAF par la mandataire d’« Asta ». Celle-ci estime que ce reproche du SEM est infondé car il ne prend pas en considération le manque d’accès à la justice pour les victimes de violences fondées sur le genre, et plus encore pour une mineure maltraitée et menacée de mort. Le TAF admet le recours et annule la décision du SEM. Le Tribunal considère que le SEM n’a pas suffisamment motivé sa décision. Celui-ci ne pouvait pas se contenter de reprocher à « Asta » de ne pas s’être adressée aux autorités de son pays sans examiner au préalable si une protection adéquate pouvait effectivement être assurée (théorie de la protection JICRA 2006/18). Le TAF rend également attentif le SEM à la jurisprudence existante qui considère que les MGF, en tant que motifs d’asile, répondent aux critères de l’art. 3 LAsi et entraînent donc la reconnaissance de la qualité de réfugié. Il rappelle en outre les « importantes déficiences constatées en matière de protection des femmes victimes de violence en Ethiopie ». Finalement, en février 2016, le SEM revient sur sa position. Il reconnaît la qualité de réfugiée et octroie l’asile (permis B) à « Asta ».
Questions soulevées
Il est choquant qu’une procédure dure 4 ans pour une victime de mutilations génitales féminines, de viol et menacée de mort, qui plus est mineure. Qu’en est-il pour celles et ceux qui ne sont pas défendu.e.s de la sorte par un.e mandataire juridique ?
Le TAF a déjà repris le SEM pour avoir jugé trop hâtivement qu’une protection de l’Etat d’origine aurait pu être demandée et obtenue (D-6806/2013 du 18 juillet 2016). En ignorant les réalités notoires auxquelles sont confrontées les personnes les plus vulnérables dans leurs pays d’origine, le SEM ne met-il pas en danger l’essence même du droit d’asile ?
Chronologie
2012 : « Asta » dépose une demande d’asile (nov.) ; 1ère audition sur les données personnelles (nov.)
2014 : 2e audition sur les motifs d’asile (oct.) ; décision du SEM (oct.) ; recours (oct.) ; décision de renonciation du TAF à l’avance de frais (nov.)
2016 : le TAF admet le recours et renvoie la cause au SEM (jan.) ; le SEM rend une décision positive avec reconnaissance de la qualité de réfugié et accord de l’asile (fév.)
Description du cas
« Asta » grandit en Ethiopie avec l’épouse de son grand-père, son père étant décédé et sa mère se trouvant en Suisse. A ses 10 ans, sa « grand-mère » organise une excision de façon traditionnelle, suite à quoi elle est isolée socialement par ses camarades de classe qui se moquent d’elle. Sa grand-mère la bat à la moindre occasion et l’empêche de parler avec sa mère au téléphone. « Asta » est victime de viol par un parent de la grand-mère, laquelle menace de mort « Asta » et ses frères s’ils en parlent à quiconque. Désespérée, la jeune fille boit de l’eau de javel pour tenter de mettre fin à ses jours. Elle parvient finalement à s’enfuir grâce à un membre de sa famille vivant à l’étranger à qui elle s’est confiée.
A son arrivée en Suisse, « Asta » alors âgée de 15 ans dépose une demande d’asile. L’audition sur les motifs d’asile a lieu deux ans plus tard. Elle indique au SEM ne pas avoir porté plainte en Ethiopie car elle n’avait le droit de sortir que pour aller à l’école et avait peur des conséquences sur sa vie et celle de ses frères. Le SEM rend une décision négative. Il lui conteste la qualité de réfugiée mais lui octroie une admission provisoire. De manière ambiguë, le SEM reconnaît que la situation d’« Asta » présente « certaines particularités » qui rendent son renvoi inexigible, tout en affirmant qu’aucun indice ne permet de conclure qu’elle serait exposée à un traitement contraire à l’art. 3 CEDH en cas de renvoi. Le SEM considère que les motifs d’« Asta » ne sont pas suffisants pour reconnaitre sa qualité de réfugiée et lui indique : « il vous appartenait de vous adresser aux autorités compétentes éthiopiennes pour faire valoir vos droits et obtenir une protection. Dès lors, l’on pouvait raisonnablement attendre de votre part que vous épuisiez dans votre propre pays les possibilités de trouver une protection adéquate avant de solliciter celle d’un Etat tiers ». Un recours est déposé par une mandataire de l’association elisa-asile en octobre 2014. Celle-ci estime que le reproche du SEM qui est fait à « Asta » de ne pas avoir tenté d’obtenir une protection de la part des autorités de son pays en déposant plainte est infondé. En effet, le SEM ne prend pas en considération le manque d’accès à la justice pour les victimes de violences fondées sur le genre, et plus encore pour une jeune mineure maltraitée et menacée de mort. Les auteurs de mutilations génitales féminines et de viol ne sont pas punis en Ethiopie, comme l’atteste un rapport de l’OSAR de 2014. Ainsi, il apparaît peu réaliste d’imaginer que le dépôt d’une plainte aurait pu effectivement aboutir à la « protection adéquate » dont fait état le SEM dans sa décision.
Après avoir renoncé à la perception d’une avance de frais, le TAF admet le recours et annule la décision, renvoyant la cause au SEM pour complément d’instruction. Le Tribunal considère que la motivation de la décision est incomplète. Pour les juges, le SEM ne pouvait se contenter de reprocher à « Asta » de ne pas s’être adressée aux autorités de son pays sans examiner au préalable si une protection adéquate pouvait effectivement être assurée. Le SEM aurait ensuite dû motiver sa décision en conséquence (JICRA 2006/18, c. 10.3). Le TAF rend également le SEM attentif à la jurisprudence existante qui considère que les MGF, en tant que motifs d’asile, répondent aux critères de l’art. 3 LAsi (ATAF 2014/27, c. 5.6 ; JICRA 2006/32) et l’informe quant aux importantes déficiences constatées en matière de protection des femmes victimes de violence en Ethiopie (cf. JICRA 2006/32). Suite à cet arrêt, la mandataire d’elisa-asile transmet au SEM des rapports médicaux concernant « Asta » et rappelle que les MGF sont une forme de violence fondée sur le genre qui entraîne des dommages importants, à la fois mentaux et physiques, équivalant à une persécution. Toutes les formes de MGF violent les droits des filles et des femmes, en particulier le droit à la non-discrimination, le droit à la protection contre les violences physiques et mentales, ainsi que le droit au meilleur niveau de santé possible. Selon la jurisprudence internationale et la doctrine, les MGF sont des actes de torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ainsi, selon une jurisprudence constante (JICRA 2006/32, ATAF 2014/27), vu le niveau de préjudice occasionné, les MGF constituent clairement et manifestement une forme de persécution qui peut être également considérée comme une forme spécifique de persécution de l’enfant. Finalement, en février 2016, le SEM revient sur sa position et rend une décision positive, en reconnaissant à « Asta » la qualité de réfugiée et en lui octroyant l’asile.
Signalé par : elisa-asile – Novembre 2016
Sources : Décision d’asile du SEM (07.10.2014) ; Arrêt du TAF (20.01.2016) D-6314/2014 ; Décision du SEM (19.02.2016)