Le permis B pour cas de rigueur lui est refusé,
malgré une intégration exemplaire

« Jean-Pierre » remplit les conditions d’octroi d’un permis pour cas de rigueur, telles que définies à l’art. 14 al. 2 LAsi et à l’art. 31 OASA. Mais les autorités refusent sa demande estimant que ses liens affectifs avec la Suisse ne sont pas assez étroits et son emploi pas suffisamment qualifié.

Personne(s) concernée(s) : « Jean-Pierre », né en 1972

Statut : admission provisoire levée -> permis B humanitaire refusé

Résumé du cas

Après le refus de sa demande d’asile, « Jean-Pierre », originaire du Burundi, est mis au bénéfice de l’admission provisoire en 2005, vu la situation sécuritaire qui prévaut dans son pays. Quatre ans plus tard, l’ODM ordonne la levée de ce permis de séjour. Le mandataire de « Jean-Pierre » demande alors l’octroi d’un permis B pour cas de rigueur en raison d’une intégration poussée, en application de l’art. 14 al. 2 LAsi. Sur le plan professionnel, « Jean-Pierre » travaille comme vendeur depuis 2007 et est financièrement indépendant depuis cette date. Auparavant, il donnait des cours de français au sein de l’Hospice Général, en contre-prestation de l’assistance qu’il percevait. Par ailleurs, il vit en concubinage depuis 2007 avec une ressortissante de l’Union Européenne titulaire d’une autorisation de séjour de longue durée en Suisse et son fils, né en 2001, dont il s’occupe avec elle. Il est également en étroite relation avec sa sœur qui réside à Genève et s’est fait de nombreux amis au sein de la population locale. Mais l’ODM refuse la demande de permis B en novembre 2010, considérant que ces éléments sont insuffisants pour conclure à l’existence de liens étroits avec la Suisse. Le mandataire recourt auprès du TAF affirmant que « Jean-Pierre » remplit toutes les conditions objectives de l’art. 14 al. 2 LAsi, notamment un séjour d’au moins 5 ans, un respect constant de l’ordre juridique suisse et une situation financière saine. Le recours est rejeté en septembre 2011, bien que le Tribunal reconnaisse la « volonté d’intégration » et le « parcours professionnel méritoire » de « Jean-Pierre ». Il retient en sa défaveur le fait qu’il ait exercé un emploi peu qualifié et n’ait pas réalisé « une ascension professionnelle particulière ». « Jean-Pierre » et sa compagne décident alors d’entreprendre des démarches en vue d’un mariage qu’ils célèbrent finalement en septembre 2012.

Questions soulevées

 « Jean-Pierre » remplit les conditions de l’art. 14 al. 2 LAsi et a par ailleurs commencé en Suisse une vie familiale qu’il entend poursuivre. Pourquoi l’ODM et le TAF s’écartent-ils des directives fédérales qui précisent les critères à prendre en compte dans les cas de rigueur et posent-ils des exigences supplémentaires en termes de qualifications professionnelles ?

 Vu les difficultés liées à son statut précaire d’« admis provisoirement », l’autonomie et l’intégration de « Jean-Pierre » ne sont-elles pas remarquables ? Peut-on raisonnablement attendre d’une personne dans une telle situation qu’elle réalise une « ascension professionnelle particulière » qui aille plus loin que celle déjà réalisée ?

Chronologie

2004 : arrivée en Suisse et demande d’asile

2005 : rejet de la demande d’asile et octroi de l’admission provisoire

2009 : décision ODM de levée de l’admission provisoire

2010 : demande d’application de l’art. 14 al. 2 LAsi (mars) ; préavis favorable de l’OCP (mai) ; refus ODM (nov.) ; recours au TAF (déc.)

2011 : rejet du TAF (sept.)

2012 : mariage (sept.)

Description du cas

« Jean-Pierre », originaire du Burundi, arrive en Suisse en 2004. Sa demande d’asile est rejetée par l’ODM, mais il est admis provisoirement en Suisse, puisque son renvoi est inexigible au vu de l’insécurité qui règne dans son pays. En 2009, l’ODM ordonne la levée de son admission provisoire. En mars 2010, « Jean-Pierre » demande alors à l’OCP l’octroi d’un permis B pour cas de rigueur en raison de son intégration poussée, en application de l’art. 14 al. 2 LAsi. Son mandataire fait valoir les liens affectifs et familiaux existants en Suisse ainsi qu’une intégration professionnelle réussie. En effet, trois mois seulement après son arrivée en Suisse, « Jean-Pierre » commence à enseigner le français à l’Hospice général en contre-prestation de l’assistance qu’il perçoit. Il devient financièrement autonome en 2007, lorsqu’il signe son premier contrat de travail. Cette même année, il s’installe en concubinage avec une ressortissante de l’Union européenne détentrice d’une autorisation de séjour de longue durée. Il entretient une relation privilégiée avec le fils de celle-ci, alors âgé de 5 ans, dont il s’occupe régulièrement. Par ailleurs, une de ses sœurs réside à Genève. Après un examen approfondi, l’OCP soumet la demande de « Jean-Pierre » à l’ODM pour approbation en mai 2010, considérant que « son intégration socio-professionnelle en Suisse peut être qualifiée de bonne ».

En septembre 2010, l’ODM annonce son intention de refuser la demande de « Jean-Pierre », invoquant une pratique très restrictive en la matière. Il estime que la durée pendant laquelle « Jean-Pierre » a séjourné en Suisse est courte (6 ans) et retient qu’il a effectué une formation universitaire dans son pays où il dispose d’un réseau familial. Pour l’ODM, il ne se retrouverait donc pas dans une situation de détresse personnelle grave en cas de retour. Dans sa réponse, le mandataire reproche à l’ODM de ne pas se prononcer sur les relations étroites qu’entretient « Jean-Pierre » avec sa concubine et avec sa sœur, élément qu’il considère comme central. Concernant l’intégration socio-professionnelle de son mandant, il estime qu’elle est d’autant plus remarquable qu’elle a été réalisée en relativement peu de temps. Il précise, enfin, que « Jean-Pierre » ne dispose pas d’un véritable réseau familial au Burundi où seule sa mère réside encore, alors que tous ses frères et sœurs ont quitté le pays. Mais l’ODM rend une décision négative en novembre 2010. Il retient que « Jean-Pierre » n’a commencé à travailler que trois ans après son arrivée en Suisse, négligeant les activités exercées en contrepartie des prestations de l’Hospice Général. L’ODM estime, par ailleurs, que « Jean-Pierre » n’a pas acquis de connaissances tellement spécifiques qu’il ne pourrait les mettre à profit dans son pays. Pour l’ODM, « il y a lieu de considérer les liens socioculturels qu’il entretient avec son pays d’origine », la relation avec sa concubine et le fils de celle-ci, ainsi qu’avec sa sœur, ne suffisant pas pour conclure à l’existence de liens étroits avec la Suisse.

En décembre 2010, le mandataire recourt au TAF. Il affirme que « Jean-Pierre » remplit les conditions objectives énumérées à l’art. 14 al. 2 LAsi et à l’art. 31 OASA qui définissent les cas individuels d’extrême gravité. Concernant l’intégration professionnelle, il regrette que l’ODM n’ait pas tenu compte des cours de français que donnait « Jean-Pierre », à raison de 20h par semaine, réalisant un travail effectif, bien que non rémunéré. Il précise également que « Jean-Pierre » a toujours montré un grand respect de l’ordre juridique suisse et que sa situation financière est saine. Le TAF, après avoir évalué les revenus du ménage formé par « Jean-Pierre » et sa concubine, demande le paiement d’une avance de frais de 800 francs, avant de rendre une décision négative en septembre 2011. Le Tribunal reconnaît la volonté d’intégration de « Jean-Pierre » et son parcours professionnel méritoire, mais retient qu’il a exercé un emploi peu qualifié et qu’il n’a pas fait preuve d’« une ascension professionnelle particulière susceptible de renforcer son intégration ». Il estime, par ailleurs, qu’il n’entretient pas avec la Suisse des attaches si profondes qu’il ne puisse envisager un retour dans son pays d’origine. « Jean-Pierre » doit encore s’acquitter de 800 francs de frais de procédure. Suite au refus du TAF, il décide, avec sa compagne, d’entreprendre les démarches en vue d’un mariage et demande à l’OCP une autorisation de séjour spécifique. Elle est accordée et, finalement, le couple se marie en septembre 2012.

Signalé par : Centre social protestant (CSP) – Genève, novembre 2012

Sources : Décisions ODM (22.09.2009 et 24.11.2010) ; arrêt du TAF (1.09.2011, non publié).

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