L’accueil d’une fillette mettrait en péril notre politique des étrangers

À la mort de sa tutrice, "Malika", jeune pupille de l’Etat algérien, est confiée à "Karim", un compatriote installé à Genève et naturalisé suisse, qui finançait son éducation. Mais les autorités suisses refusent d’accorder une autorisation d’entrée et de séjour à "Malika".

Personne(s) concernée(s) : « Malika », fillette, née en 1997; « Karim », homme, né en 1966

Statut : « Malika » : pupille de l’Etat algérien; « Karim » : citoyen suisse

Résumé du cas

« Malika », fillette algérienne abandonnée à sa naissance en 1997 est confiée par l’Etat à la tante paternelle de « Karim », ressortissant suisse d’origine algérienne. Touché par le sort de « Malika », qui lui rappelle son propre vécu d’enfant placé, « Karim » finance régulièrement l’entretien de la fillette. Malheureusement, sa tante décède subitement en 2005, et c’est désormais vers « Karim » que l’on se tourne pour accueillir la fillette, parce qu’il est le seul à pouvoir lui offrir de bonnes conditions de vie. « Karim » et son épouse, qui ont deux enfants, acceptent volontiers de prendre en charge « Malika ». Nommé à son tour tuteur par les autorités algériennes, « Karim » dépose une demande d’autorisation d’entrée et de séjour pour « Malika » auprès des autorités suisses. Le canton y est favorable, en application de l’article 35 OLE sur le placement d’enfants. Mais l’ODM refuse son approbation parce que, selon lui, toutes les autres solutions de placement en Algérie n’ont pas été envisagées. « Karim » fait recours devant le TAF: il rappelle qu’il pourrait accueillir « Malika » dans d’excellentes conditions, ce qui n’est le cas d’aucun membre de la famille restée en Algérie. Dans un arrêt du 25 septembre 2007, le TAF confirme la position de l’ODM et juge qu’autoriser la venue de « Malika » en Suisse reviendrait à « vider de leur sens les dispositions visant à limiter le nombre des étrangers en Suisse ».

Questions soulevées

 En quoi l’accueil en Suisse d’une fillette née de parents inconnus, en vue de lui offrir de meilleures conditions d’existence, risque-t-il de « vider de leur sens les dispositions visant à limiter le nombre des étrangers en Suisse »?

 Est-ce logique que le placement éducatif ne soit accepté que s’il apparaît comme la dernière solution envisageable, quand bien même le tuteur légal, qui jouit d’une situation agréable, peut offrir en Suisse une solution très nettement meilleure à toutes les autres en Algérie?

 L’article 3 de la Convention des droits de l’enfant (CDE) stipule que « dans toutes les décisions qui concernent des enfants (…), l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». La Suisse est-elle vraiment fondée à ignorer ce principe?

Chronologie

2005 : 17 février : décès de la tante paternelle de « Karim » qui élevait « Malika »

2005 : 29 mai : désignation de « Karim » comme le tuteur légal de « Malika » par le Tribunal de Constantine

2005 : 19 novembre : demande d’autorisation d’entrée en Suisse pour « Malika » en vue d’un séjour durable

2006 : 6 avril : accord du canton de Genève après rapport favorable de l’Office de la jeunesse

2006 : 16 août : refus de l’ODM, suivi d’un recours (15 septembre)

2007 : 25 septembre : arrêt du TAF rejetant le recours et confirmant la décision de l’ODM

Description du cas

« Malika », fillette algérienne abandonnée à sa naissance en 1997 est confiée à la tante paternelle de « Karim », ressortissant suisse d’origine algérienne. « Karim » envoie régulièrement de l’argent pour assurer de bonnes conditions d’existence à « Malika ». Il est en effet d’autant plus sensible à cette situation qu’il a lui-même et élevé partiellement par cette tante, avant de connaître une certaine réussite professionnelle à Genève et d’y fonder une famille. En 2005, la tante de « Karim » décède subitement. « Karim » apparaît alors comme le seul à pouvoir assurer l’avenir de la fillette. « Karim » et son épouse, qui élèvent déjà leurs deux enfants et ont des revenus élevés, décident d’un commun accord d’accueillir la fillette à leur domicile genevois. « Karim » est désigné le 19 mai 2005 comme le tuteur légal par décision du Président du Tribunal de Constantine. Le 29 novembre de la même année, « Karim » dépose auprès de l’ambassade suisse à Alger une demande d’autorisation d’entrée en vue d’un séjour durable pour « Malika ». L’Office de la jeunesse du canton de Genève, section évaluation des lieux de placement, établit un rapport social favorable. L’OCP se déclare alors disposé à délivrer une autorisation d’entrée et de séjour en vue d’un placement éducatif (art. 35 OLE) et transmet le dossier à l’ODM.

L’Office fédéral refuse. Il estime que le placement éducatif n’a lieu d’être que s’il constitue la dernière solution possible. Or, « Karim » n’a pas démontré que d’autres solutions pour « Malika », telles que l’accueil par un autre membre de la famille ou au sein d’une institution (internat, école privée, etc.), avaient été sérieusement envisagées. « Le fait que des membres de la famille se déchargent de leur responsabilité (…) ou prétendent ne pas pouvoir s’en occuper ne permet pas encore de considérer que cet enfant se trouverait dans une situation de détresse telle que la délivrance d’une autorisation de séjour en sa faveur constituerait la seule possibilité d’y remédier. » « Karim » fait recours devant le TAF. Il rappelle que, comme en attestent les décisions des autorités genevoises, lui et son épouse remplissent les exigences leur permettant d’accueillir la fillette à leur domicile dans d’excellentes conditions et d’assurer à celle-ci une bonne éducation au sein d’une cellule familiale stable et aimante, ce qui n’est le cas d’aucun autre membre de la famille resté en Algérie.

Dans son arrêt du 25 septembre 2005, le TAF confirme la position de l’ODM. Quand bien même les frères de la tante décédée ont déclaré par écrit qu’ils n’étaient pas en mesure de prendre en charge la fillette, ayant eux-mêmes de nombreuses charges de famille, le TAF juge qu’un placement en Suisse n’apparaît manifestement pas comme la seule solution envisageable et que « les autorités algériennes n’ont pas exploré sérieusement d’autres possibilités de prise en charge de la fillette en Algérie ». De plus, le souhait d’offrir à cette fillette de meilleures perspectives d’avenir ne saurait justifier la délivrance d’une autorisation de séjour pour placement éducatif, « sous peine de vider de leur sens les dispositions visant à limiter le nombre des étrangers en Suisse ». « Karim » ne peut se prémunir de l’article 8 CEDH (droit au respect de la vie familiale) invoqué dans le recours, parce que la décision des autorités algériennes de le considérer comme le tuteur légal de « Malika » n’équivaut pas à une adoption au sens du code civil suisse. Le TAF écarte également l’article 3 CDE (intérêt supérieur de l’enfant), en s’appuyant sur une jurisprudence du TF: cette convention ne confère aucun droit à la délivrance d’une autorisation de séjour. Se déclarant toutefois conscient des motifs louables de « Karim », le TAF indique que rien ne l’empêchera de subvenir aux besoins matériels de « Malika » à distance.

Signalé par : Site Web du TAF

Sources : Décision du TAF du 25 septembre 2007, C-543/2006.

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