La Suisse condamnée par la CourEDH pour avoir ordonné le renvoi d’un père dont la fille mineure vit en Suisse avec un permis F

Gabriel*, Marisol*, Diana* la fille de Marisol*, et Jessica* leur fille commune, déposent une demande d’asile en Suisse en 2002. Après un premier refus, leur procédure est réouverte. En 2009, le couple se sépare mais reste marié et en contact régulier. L’autorité parentale sur Jessica* est attribuée à Marisol*, mais Gabriel* est très impliqué dans la vie de sa fille avec un droit de visite élargi. Suite à un nouveau rejet de leur demande d’asile, le couple saisit le TAF. Ce dernier considère alors que comme Marisol* et Gabriel* sont séparés, leur demande doit être examinée distinctement. Il octroie une admission provisoire à Marisol* et Jessica* au motif de l’intégration de cette dernière en Suisse, mais confirme le renvoi de Gabriel*. Le coupe fait appel à la CourEDH, qui casse cette décision. Elle décrète que le renvoi de Gabriel* violerait le droit fondamental à la vie privée et familiale tel que protégé par l’art. 8 CEDH

Personne concernée (*Prénom fictif): Gabriel*, Marisol*, Diana* et Jessica*

Origine: Equateur

Statut: permis F

Chronologie 

1986 : naissance de Diana*

1988 : mariage de Gabriel* et Marisol*

1995-1999 : demandes d’asile en Suisse à trois reprises, toutes rejetées, et retour en Equateur

1999 : naissance de Jessica*

2002 : nouvelle demande d’asile en Suisse (jan.), décision négative de l’ODM et recours (fév.)

2007 : arrêt du TAF et réexamen de la demande d’asile (oct.)

2009 : séparation de Gabriel* et Marisol* (mai) ; octroi d’un permis de séjour pour Diana* (oct.)

2012 : refus de l’ODM (mars) ; recours (avril) ; arrêt du TAF et admission provisoire pour Marisol* et Jessica*, confirmation du renvoi pour Gabriel* (sept.) ; naturalisation de Diana*

2013 : recours auprès de la CourEDH (jan.) 2014 : arrêt de la CourEDH (juillet).

Questions soulevées

  • Comment le TAF peut-il décréter qu’un couple encore marié et qui s’occupe conjointement de leur enfant commun ne forme pas une famille au seul motif qu’il n’occupe plus le même domicile?  Cela ne correspond-il pas à une conception largement dépassée des relations familiales et à un abus du pouvoir d’appréciation?
  • Quelle légitimité un TAF possède-t-il pour décréter qu’un éloignement d’un père et de sa fille mineure ne contrevient pas aux intérêts de cette dernière?
  • Comment se fait-il que les autorités suisses considèrent que des vols de bijoux pèsent plus lourd que le droit fondamental à vivre en famille, le droit à bénéficier de soins médicaux, et que l’intérêt supérieur de l’enfant réunis?

Description du cas

Gabriel* et Marisol*, ressortissant·es équatorien·nes, arrivent en Suisse avec Diana*, la fille de Marisol*, et Jessica*, leur fille commune, en 2002. Celles-ci sont alors respectivement âgées de 15 et 2 ans. La famille dépose une demande d’asile, mais celle-ci est rejetée un mois plus tard. Gabriel* et Marisol* déposent alors un recours auprès du TAF. En 2007, celui-ci ordonne à l’ODM (à présent dénommé Secrétariat d’État aux migrations) de rouvrir la procédure de la famille, notamment en raison des problèmes de santé de Gabriel*.

En mai 2009, le couple se sépare. L’autorité parentale sur Jessica* est attribuée à Marisol*, mais Gabriel* garde un droit de visite élargi, et s’en occupe tous les mercredis, un weekend sur deux ainsi que la moitié des vacances. En octobre de la même année, Diana*, désormais adulte, obtient un permis de séjour. Puis, en 2012, elle se fait naturaliser.

En 2012, l’ODM rend une nouvelle décision négative à la demande d’asile de la famille, qui dépose un recours au TAF. Dans son arrêt, le tribunal décrète premièrement que bien que Marisol* et Gabriel* soient toujours marié·es, leur séparation et le fait qu’iels ne sont plus domicilé·es à la même adresse implique que leur droit au séjour doit être examinés distinctement. Ensuite, le TAF affirme que, compte tenu de l’intégration en Suisse de Jessica*, qui vit dans le pays depuis ses deux ans et en a 13 au moment de la décision, il y a lieu de considérer que son renvoi vers l’Equateur n’est pas raisonnablement exigible. Par conséquent, il ordonne de lui octroyer, ainsi qu’à sa mère, une admission provisoire (permis F).

Par contre, le TAF confirme la décision de renvoi de Gabriel*. Ce dernier ayant été condamné pour plusieurs vols au long des dernières années, le tribunal considère que cela justifie de l’exclure du droit à une admission provisoire, cela malgré ses attaches familiales et son mauvais état de santé – qu’un renvoi aggraverait sérieusement selon ses médecins. La famille saisit alors la CourEDH. En juillet 2014, celle-ci donne raison à la famille et reconnait une violation de la Convention européenne : elle rappelle que l’enfant né·e d’une union maritale fait partie de plein droit de cette union jusqu’à qu’iel atteigne l’âge adulte et qu’aucun événement ultérieur ne permet de rompre ce lien familial. La Cour estime que le fait que Gabriel* et Marisol* n’aient pas divorcé et qu’iels continuent à se voir et à s’entraider régulièrement suffit à faire entrer leur relation dans le champ d’application de l’art. 8 CEDH qui protège la vie familiale. Enfin, elle relève que l’intérêt de l’enfant à rester en contact étroit avec son père est également protégé par l’art. 3 de la CDE. La Cour condamne donc la Suisse pour violation de l’art. 8 CEDH.

Signalé par: CSP Genève.

Source: Arrêt CourEDH du 8 juillet 2014 (affaire M.P.E.V et autres c. Suisse).

Cas relatifs

Cas individuel — 14/04/2025

«Mes enfants sont terrorisés. Je ne sais plus quoi faire ni comment arrêter ce calvaire.»

Léonie*, ressortissante Burundaise, est victime de persécutions dans son pays. En juin 2022, elle demande l’asile en Suisse avec ses trois enfants. Leur demande est rejetée en 2023 par le SEM puis par le TAF. La famille subit alors un véritable harcèlement policier: alors que Léonie* est hospitalisée en psychiatrie, son fils est arrêté à leur domicile pour être détenu à l’aéroport puis relâché. Sa fille aînée est également arrêtée à deux reprises, emmenée à l’aéroport puis relâchée. Enfin, la fille cadette se retrouve hospitalisée en psychiatrie, dans un état de choc, après que des agents ont essayé de l’arrêter au cabinet de sa psychologue. Malgré ces arrestations à répétition, Léonie* et ses enfants demandent le réexamen de leur décision d’asile, en raison d’éléments nouveaux survenus au Burundi et de l’état de santé de Léonie* qui se dégrade. Le SEM suspend l’exécution du renvoi de cette dernière, mais refuse de réexaminer la demande des enfants, désormais tous trois majeurs.
Cas individuel — 10/09/2024

Un couple avec enfant doit se battre pour se voir reconnaître son droit au mariage et au regroupement familial

Kayden* est originaire d’Angola et arrive en Suisse à l’âge de 5 ans. Jusqu’en 2015, il bénéficie d’un permis B, qu’il perd en 2016 suite à plusieurs infractions pénales. Kayden* a un fils né en 2014. Il se met en ménage avec Valérie, ressortissante suisse. En 2021, Valérie* est enceinte et le couple fait une demande d’autorisation de séjour pour Kayden* en vue de leur mariage, mais le Service de la population du canton de Fribourg (SPoMI) refuse la demande et prononce le renvoi de Suisse. La décision est motivée par le fait que Kayden* a transgressé à plusieurs reprises la loi, que son intégration économique serait un échec et que sa relation avec son fils se limiterait à l’exercice d’un droit de visite. Kayden* dépose un recours contre cette décision au près du Tribunal cantonal (TC). Le couple devra attendre jusqu’en octobre 2022 pour que le TC admette le recours de Kayden*. Le TC reconnait que rien ne permet de douter des intentions matrimoniales des fiancé·es et qu’un renvoi en Angola priverait les enfants du lien avec leur père. Il considère en outre qu’il serait disproportionné d’exiger le retour du recourant en Angola, pays qu’il a quitté à l’âge de cinq ans et qu’il ne connait pas, pour revenir en Suisse une fois le mariage conclu. Le TC annule donc la décision du SPoMI et l’invite à délivrer à Kayden* une autorisation de séjour en vue du mariage.
Cas individuel — 02/05/2021

Déboutée de l’asile, une famille se bat pour rester unie et ne pas être renvoyée

Arrivé en 2016 en Suisse, Yemane*, originaire d’Éthiopie, reçoit une décision de renvoi en novembre 2018. Asmarina*, originaire d’Érythrée, a vécu cinq ans en Grèce avec sa fille aînée, dans des conditions très précaires et sans accès à des soins pour son enfant, en situation de handicap physique. À cause de ces conditions invivables, elle est contrainte de quitter la Grèce et demande l’asile en Suisse. Ayant obtenu l’asile en Grèce, elle reçoit une décision de NEM de la part du SEM qui prononce son renvoi en novembre 2017. Asmarina* et Yemane* se rencontrent en Suisse et ont une fille en 2019. Au vu des différentes situations, la famille doit se battre pour ne pas être séparée entre plusieurs pays.
Cas individuel — 27/05/2016

Un père arraché à son épouse enceinte et ses enfants

« Awat » habitait à Genève avec son épouse « Mariame » enceinte de trois mois, et leurs deux filles, « Melete » et « Awatif ». Enfin réunie après un long périple et un exil forcé, cette famille se voit à nouveau séparée, cette fois par les autorités suisses : le père est renvoyé en Italie. Le Tribunal ne retient ni son droit à la vie familiale, ni l’intérêt supérieur de ses enfants à grandir auprès de leur père.