Gravement atteint dans sa santé, il survit à l’aide d’urgence depuis 7 ans

«Je n’ai pas de permis, je dois donc me battre à deux niveaux: pour ma situation administrative et pour ma santé.» Atteint d’une maladie grave qui affecte le système nerveux, Badri* est venu en Suisse afin d’être soigné car il ne pouvait pas l’être en Géorgie. Il demande l’asile, mais sa requête est rejetée par le SEM qui ordonne son renvoi. Badri perd peu à peu son autonomie, son corps se paralyse. Une opération en 2021 lui redonne une mobilité partielle, mais il a besoin d’un suivi médical pluridisciplinaire régulier. Il demande alors le réexamen de la décision du SEM en démontrant l’absence de soins en Géorgie, mais il reçoit à nouveau une réponse négative. Depuis sept ans, Badri survit donc avec une aide d’urgence de 275 CHF/mois.

Mots-clés : Conditions de vie, accès aux soins, aide d’urgence

Personne concernée (*Prénom fictif): Badri*

Origine : Géorgie

Statut : débouté

Chronologie

2017: demande d’asile (juin), décision de non-entrée en matière (oct.)

2018: demande de réexamen (nov.)

2019: refus du réexamen (juil.) ; recours au TAF (août) ; demande de reconsidération (nov.)

2020 : reprise de l’instruction du dossier ; radiation du recours (août) ; nouvelle décision négative du SEM (déc.)

2021 : recours (janvier) 2023 : arrêt négatif du TAF (mai)

Questions soulevées

  • Comment se fait-il que les autorités suisses refusent d’octroyer un permis à une personne qui a besoin de soins de santé vitaux, auxquels elle n’a pas eu accès en Géorgie?
  • Comment se fait-il que le SEM et le TAF affirment que les soins nécessaires sont disponibles en Géorgie, sans toutefois vérifier que ceux-ci soient véritablement accessibles, notamment d’un point de vue financier? Comment se fait-il que le TAF ne tienne aucunement compte des conclusions du rapport de situation produit par l’OSAR?
  • Alors que Badri* a atteint un stade de quasi-paralysie totale en raison d’un manque de soins adéquats en Géorgie, le TAF considère que ses problèmes de santé ne seraient pas «d’une gravité telle que son transfert serait illicite» (arrêt TAF, consid. 8.5). Quel degré d’atteinte à la santé faut-il alors subir pour que ce critère de «gravité» soit admis?

Description du cas

En Géorgie, Badri* est diagnostiqué à tort d’une neuropathie. Les traitements qu’il entreprend n’aboutissent à aucune amélioration. En 2017, il décide de venir en Suisse afin de trouver une aide médicale adéquate. Il dépose une demande d’asile et commence les traitements médicaux. Mais, après quelques mois, le SEM refuse d’entrer en matière sur sa requête et ordonne son renvoi en Géorgie. Son état de santé continue à se dégrader, et les médecins poursuivent leurs recherches afin d’en trouver la cause. Badri* perd peu à peu son autonomie, son corps se paralyse: il a besoin d’aide pour se lever, s’habiller, se nourrir.

En juin 2019, son épouse Elene* le rejoint en Suisse, pour s’occuper de lui. Elle dépose également une demande d’asile, mais reçoit à son tour une décision de non-entrée en matière du SEM. Avec l’aide d’une juriste, les époux demandent le groupement de leurs dossiers ainsi qu’un réexamen des décisions de non-entrée en matière. La mandataire souligne l’aggravation de l’état de santé de Badri* et rappelle qu’il n’aurait pas accès aux soins dont il a besoin en Géorgie. Elle précise qu’il bénéficie, en Suisse, d’un suivi régulier en hémato-oncologie, en radiothérapie, en endocrinologie, en cardiologie, en neurologie et en ophtalmologie. Le SEM, accepte finalement d’examiner les demandes d’asile du couple.

En 2020, les médecins découvrent enfin la cause des problèmes de santé de Badri*: ce dernier est atteint du syndrome de POEMS, une maladie grave et rare qui se caractérise notamment par une atteinte du système nerveux. Malgré ce diagnostic, en décembre 2020 le SEM rend une décision négative à leurs demandes.

Le couple dépose un recours contre ce rejet. Leur mandataire explique notamment que l’assurance maladie universelle qui existe en Géorgie ne couvre qu’une petite partie des frais nécessaires au traitement du syndrome de POEMS. Elle ajoute qu’il n’existe pas, en Géorgie, une approche multidisciplinaire pour le traitement de ce syndrome et que l’accès aux soins est devenu encore plus compliqué depuis la pandémie du coronavirus. Elle joint au recours un nouveau rapport médical de l’une des médecins de Badri*, qui atteste que les soins dont ce dernier a besoin sont «ultra spécialisés» et demandent précisément une approche multidisciplinaire. La mandataire rappelle finalement que Badri* a démontré n’avoir pas eu accès aux soins nécessaires en Géorgie malgré qu’il ait tenté de se soigner et qu’en conséquence son état s’est dégradé jusqu’à atteindre un stade avancé de paralysie.

En 2021, Badri* est opéré et l’intervention est une réussite : il retrouve peu à peu une mobilité partielle de son corps. Mais il doit suivre un traitement quotidien et faire contrôler son état toutes les deux semaines.

Le recours déposé en 2020 est finalement rejeté en mai 2023, le TAF considérant que les problèmes de santé de Badri* ne seraient pas «d’une gravité telle que son transfert serait illicite» (arrêt D-257/2021, consid. 8.5). Comme Badri* a retrouvé une certaine autonomie de mouvement, Elene* décide de repartir en Géorgie. Contraint de rester pour pouvoir suivre ses traitements, Badri* reste seul en Suisse. Depuis sept ans, il survit avec un statut de débouté de l’asile et sous le régime de l’aide d’urgence: il reçoit 275.- CHF par mois, soit 9.- CHF par jour pour se nourrir et se vêtir. La précarité et la pression exercée sur lui par les autorités cantonales pour qu’il quitte la Suisse impactent son état de santé déjà fragile. «J’essaye de me battre mais je rencontre de nombreux obstacles. Je n’ai pas de permis. Je dois donc me battre à deux niveaux: pour ma situation administrative et pour ma santé. Le système fait tout le temps pression sur moi pour que je retourne dans mon pays. Ils me font peur, ils me disent: demain vous allez partir, la police va venir vous chercher au milieu de la nuit. Pour moi, qui suis malade, psychologiquement c’est horrible».

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