Coincé en Suisse sans liberté de mouvement parce que le SEM et le TAF estiment qu’il n’a pas su prouver son identité

Félicien*, originaire du Soudan du Sud, vit en Suisse au bénéfice d’un permis B (Cas de rigueur), obtenu à la suite d’un accident qui l’a rendu paraplégique. Bien qu’enregistré par le SEM comme ressortissant soudanais, Félicien* n’a aucune pièce d’identité ni autre document d’état civil national démontrant son origine: il lui est donc impossible de voyager. Après avoir en vain tenté de se faire établir un passeport soudanais, il demande un passeport pour étrangers auprès des autorités suisses. Le SEM rend une décision négative à sa demande, au motif qu’il est de la responsabilité de Félicien* de démontrer son identité. Saisi par recours, le TAF confirme la décision du SEM, considérant que Félicien* n’a pas démontré que les autorités de son pays d’origine auraient prononcé à son endroit un refus formel, définitif et infondé.

Personne concernée (*Prénom fictif): Félicien*

Origine: Soudan du Sud

Statut: Permis B

Chronologie 

2009 : demande d’asile (avril), rejet de la demande par le SEM (mai) puis par le TAF (juin)

2010 : obtention d’une admission provisoire (avril)

2020 : obtention d’un permis B (août)

2021 : demande de passeport pour étranger (avril)

2022 : refus du passeport pour étranger par le SEM (mars), recours au TAF (avril)

2023 : rejet du recours par le TAF (jan.)

Questions soulevées

  • Quel intérêt a la Suisse à ne pas octroyer de document de voyage à Félicien*? Ayant obtenu un permis de séjour en raison de sa paraplégie, celui-ci n’a aucune raison de vouloir cacher son origine, d’autant plus qu’obtenir un passeport soudanais lui permettrait de voyager et faciliterait d’autres aspect de son quotidien. N’est-il pas abusif de maintenir indéfiniment une personne dans une situation qui viole sa liberté de mouvement, alors qu’aucun intérêt de la Suisse n’est en jeu?
  • Le TAF considère que l’attestation de la Mission soudanaise confirmant que Félicien* n’a pas pu être reconnu comme Soudanais parce qu’il n’a pas su répondre aux questions qui lui ont été posées n’est pas suffisant pour démontrer que les autorités soudanaises auraient prononcé un refus formel, définitif et infondé. Mais qu’est-ce que Félicien* pourrait faire de plus pour répondre à l’exigence du TAF?

Description du cas

Félicien*, né en 1989, est originaire du Soudan du Sud. Il arrive en Suisse en avril 2009 et dépose une demande d’asile, rejetée par le SEM puis par le TAF en juin 2009 (D-3246/2009). En avril 2010, à la suite d’un accident survenu en Suisse l’ayant rendu paraplégique, les autorités lui octroient une admission provisoire (permis F) au motif de l’inexigibilité de son renvoi. En août 2020, il obtient une autorisation de séjour pour cas de rigueur (permis B). Bien qu’enregistré par le SEM comme ressortissant soudanais, Félicien* n’a aucune pièce d’identité ni autre document d’état civil national démontrant son origine : il lui est donc impossible de voyager.

En avril 2021, Félicien* requiert l’établissement d’un passeport pour étrangers auprès de l’autorité cantonale compétente, s’appuyant sur l’art. 4 ODV: «a droit à un passeport pour étrangers l’apatride reconnu selon la Convention relative au statut d’apatride ainsi que l’étranger dépourvu de documents de voyage qui bénéficie d’une autorisation de séjour». Son mandataire fait valoir que toutes les démarches entreprises auprès des autorités soudanaises afin d’obtenir un passeport se sont révélées infructueuses. En juillet 2021, le SEM rejette la demande, réclamant à Félicien* une attestation écrite des autorités soudanaises mentionnant les raisons du refus.

En août 2021, Félicien* fournit une attestation de la Mission permanente de la République du Soudan du Sud. Cette dernière stipule que Félicien* n’a pas pu répondre aux questions qui lui ont été posées afin de prouver sa nationalité. En mars 2022, le SEM confirme son refus de lui délivrer un document de voyage, estimant la décision du gouvernement soudanais fondée puisque Félicien*, qui porte le fardeau de la preuve de son identité, n’est pas parvenu à démontrer son identité.

En avril 2022, secondé par son mandataire, Félicien* dépose un recours auprès TAF contre cette décision. Il argue notamment que s’il n’a jamais pu produire de pièce d’identité ni autre document d’état civil au cours de sa procédure d’asile, le SEM l’a toutefois inscrit sous l’identité «soudanais», se fondant ainsi sur une probable vraisemblance. Par ailleurs, il rappelle que ses parents sont décédés, que ce n’est qu’à l’âge adulte qu’il a appris ses origines sud-soudanaises, et qu’il n’a de contact avec aucun membre de sa famille restée au pays. Il conclut que le refus du SEM de lui octroyer un passeport pour étrangers a des conséquences graves et est disproportionné, car cela signifie qu’il lui sera impossible de voyager hors de Suisse et qu’il y restera «prisonnier».

Dans un arrêt rendu en janvier 2023, le TAF rejette le recours de Félicien* (F-1862/2022). Sur la question de savoir si Félicien* fait bien face à une impossibilité objective (art. 10 ODV) d’obtenir un document d’identité, le TAF estime que le recourant n’a pas démontré que les autorités de son pays d’origine auraient prononcé à son endroit un refus formel, définitif et infondé. Le Tribunal décrète donc que Félicien* n’a pas établi qu’il aurait entrepris toutes les démarches nécessaires en vue de prouver son identité. Il lui reproche notamment de ne s’être adressé qu’à deux reprises à la représentation du Soudan du Sud et de ne pas avoir mandaté de tiers sur place pour l’aider dans ses recherches. Le TAF intime à Félicien* de poursuivre ses démarches et d’entreprendre de plus amples efforts pour établir sa nationalité.

Signalé par: CCSI Fribourg

Sources: Décision du SEM ; ATAF D-3246/2009 ; ATAF F-1862/2022

Cas relatifs

Cas individuel — 10/04/2025

Des violences conjugales reconnues par un Centre LAVI sont jugées trop peu intenses par les tribunaux

Eja*, originaire d’Afrique de l’est, rencontre Reto*, ressortissant suisse, en 2019. Leur mariage est célébré en avril 2021 et Eja* reçoit une autorisation de séjour. L’année qui suit est marquée par des disputes et des violences au sein du couple, et une première séparation de courte durée. En février 2023, Eja* consulte le Centre LAVI du canton, qui la reconnait victime d’infraction. En juillet, Eja* dépose une plainte pénale contre son époux pour harcèlement moral, rabaissements et injures, discrimination raciale et contraintes. En novembre 2023, Eja* dépose une deuxième plainte. Son médecin confirme des symptômes de stress émotionnel élevé. En février 2024, le SPoMi révoque l’autorisation de séjour d’Eja* et prononce son renvoi de Suisse, au motif que la durée effective de la communauté conjugale n’a pas dépassé trois ans. En août 2024, le Tribunal cantonal rejette le recours déposé par Eja*, au motif que l’intensité des violences psychologiques n’atteint pas le seuil exigé par la jurisprudence. Le Tribunal conclut à l’absence de raison personnelle majeure permettant de justifier le maintien de l’autorisation de séjour d’Eja*. Le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 14 novembre 2024, confirme la décision du SPoMi et rejette le recours d’Eja*.
Cas individuel — 03/10/2024

"Avec les limites du permis F, je ne me sens pas complet"

Salih*, né en 1999 en Érythrée, arrive en Suisse en 2015, à l’âge de 16 ans. Il demande l’asile sans documents d’identité et reçoit un permis F en 2017. Il apprend le français et obtient un AFP (attestation fédérale de formation professionnelle) puis un CFC (certificat fédéral de capacité) de peintre en bâtiment. Malgré ses efforts d’intégration, ses demandes de transformation de son permis F en permis B sont systématiquement rejetées par le Secrétariat d’État aux migrations en raison de l’absence de documents d’identité officiels. Les autorités suisses lui demandent à plusieurs reprises de se procurer ces documents auprès de l’ambassade d’Érythrée, mais Salih* refuse de s’y rendre, craignant pour sa vie en raison de ses critiques à l’égard du gouvernement érythréen. Une situation qui le place dans une impasse.
Cas individuel — 25/04/2022

Une femme trans* subit des persécutions LGBTIQphobes en Suisse

Témoignage. Une femme trans* obtient l’asile en Suisse au motif de nombreuses persécutions LGBTIQphobes subies dans son pays d’origine. Son parcours pour obtenir l’asile en Suisse est émaillé de discriminations dans sa prise en charge et d’agressions transphobes dans ses lieux de vie.