« Avec les limites du permis F, je ne me sens pas complet »
Salih*, né en 1999 en Érythrée, arrive en Suisse en 2015, à l’âge de 16 ans. Il demande l’asile sans documents d’identité et reçoit un permis F en 2017. Il apprend le français et obtient un AFP (attestation fédérale de formation professionnelle) puis un CFC (certificat fédéral de capacité) de peintre en bâtiment. Malgré ses efforts d’intégration, ses demandes de transformation de son permis F en permis B sont systématiquement rejetées par le Secrétariat d’État aux migrations en raison de l’absence de documents d’identité officiels. Les autorités suisses lui demandent à plusieurs reprises de se procurer ces documents auprès de l’ambassade d’Érythrée, mais Salih* refuse de s’y rendre, craignant pour sa vie en raison de ses critiques à l’égard du gouvernement érythréen. Une situation qui le place dans une impasse.
Personne concernée (*Prénom fictif): Salih*
Origine: Érythrée
Statut: Permis F
Chronologie
1999 : naissance de Salih*
2015: arrivée en Suisse (septembre)
2017 : obtention de son permis F humanitaire
2018 : demande de permis B, et décision négative du SEM
2021 : deuxième demande de permis B, et nouveau refus du SEM
2023 : troisième demande de permis B, troisième décision négative du SEM
Questions soulevées
- Comment une personne qui a fui son pays sans documents d’identité en raison de la répression politique, et qui tente d’obtenir un statut plus stable, peut-elle répondre aux exigences du pays d’accueil qui demande ces mêmes documents ? Refuser de régulariser le séjour d’une personne qui vit en Suisse depuis plusieurs années, au bénéfice d’une admission censée être provisoire, au seul motif que cette personne ne peut pas fournir de passeport national ne viole-t-il pas le principe de proportionnalité ?
- Les demandes répétées du SEM de produire un passeport national ne peuvent-elles pas s’apparenter à une forme de pression psychique, poussant les personnes à abandonner leurs démarches de régularisation ?
Description du cas
Salih* est né en 1999 et a passé les premières années de sa vie en Érythrée. À l’âge de 12 ans, il tente de quitter le pays pour la première fois, mais il est arrêté et emprisonné pendant deux semaines par les autorités érythréennes. Après sa libération, il est soumis à une forme de contrôle judiciaire qui limite fortement sa liberté de mouvement. Finalement, en 2014, Salih* parvient à fuir le pays.
Mineur, il se rend d’abord en Éthiopie, où il reste un an. Il passe par le Soudan, avant d’entreprendre l’éprouvante traversée du désert pour se rendre en Libye. En Libye, il reçoit une aide financière de son frère, qui réside dans la région du Sahel. Il y reste deux semaines puis se lance dans une nouvelle traversée, celle de la Méditerranée. Après un long et périlleux voyage, il arrive en Italie, où, effrayé et perdu, il ne reste que trois jours. Il arrive en Suisse, en septembre 2015. Il passe deux mois au Centre fédéral pour requérant∙es d’asile de Vallorbe.
À son arrivée, les autorités suisses lui demandent ses documents d’identité. Salih* explique qu’il n’en a pas, car il a quitté son pays très jeune et sans rien. Il dépose donc une demande d’asile sans le moindre document d’identité et obtient un permis F humanitaire en 2017.
Ne parlant pas un mot de français à son arrivée, il faut deux ou trois ans à Salih* pour apprendre la langue. Il suit une formation AFP (attestation fédérale de formation professionnelle) en peintre en bâtiment dans le canton du Valais, qu’il achève en 2021. Il obtient en 2023 un CFC (certificat fédéral de capacité) dans la même profession. Ces quatre années de formation professionnelle se déroulent dans une entreprise de peinture valaisanne, où il travaille encore aujourd’hui.
En 2018, il dépose une demande de permis B auprès du Service de la Population et des Migrations (SPM) du canton. Cette demande est surtout motivée par les limitations de voyage imposées par le permis F, qui interdit de quitter le territoire suisse. Cette restriction le freine jusque dans sa passion pour le vélo, puisqu’elle l’empêche de participer avec son club de cyclisme aux compétitions organisées à l’étranger.
Le SEM rejette rapidement sa demande de régularisation, au motif de l’absence de documents d’identité officiels. Salih* dépose deux autres demandes de permis B en 2021 et en 2023, mais elles sont rejetées pour les mêmes raisons. Chaque décision négative est accompagnée d’une recommandation des autorités suisses de contacter l’ambassade d’Érythrée pour obtenir un passeport ou une carte d’identité. À plusieurs reprises, Salih* contacte l’ambassade, mais celle-ci lui conseille de se rendre en Erythrée pour régler la situation. Or, un tel voyage est impossible, car Salih*, qui a ouvertement critiqué le gouvernement érythréen, craint pour sa sécurité et celle de sa famille. De plus, il refuse de payer la taxe de 2 % sur son salaire que l’ambassade exige ainsi que de signer un document stipulant qu’il regrette d’avoir quitté son pays. Il dit n’avoir aucun regret, si ce n’est de ne pas pouvoir revoir sa mère et rencontrer son père, emprisonné lorsqu’il était très jeune, et désormais âgé et en mauvaise santé.
Malgré la distance, il maintient des liens avec sa famille restée en Érythrée, mais les contacts sont difficiles. Sa famille vit dans une région reculée, où il est difficile d’avoir du réseau, ce qui rend les communications rares, parfois espacées de six mois à un an. Aujourd’hui, sa situation lui pèse énormément. Il se sent étouffé par les limitations imposées par son permis F et vit dans l’incompréhension. Malgré ses efforts pour s’intégrer, apprendre la langue et travailler, il se heurte systématiquement à la nécessité de fournir des documents d’identité pour stabiliser son statut.
Signalé par : CSP VD, la Frat
Sources : Entretien avec Salih*, le 09.09.2024