Après trois ans de procédure, le Tribunal fédéral la reconnait comme victime de violences conjugales

Amina* a obtenu un permis de séjour par mariage. Elle quitte le domicile conjugal à cause des violences de son mari, puis se voit menacée de renvoi par le SEM et le TAF. Après trois ans de procédure, le TF la reconnait enfin comme victime de violences conjugales et décide que son permis de séjour doit être renouvelé.

Personne(s) concernée(s) : Amina* (prénom fictif), née en 1964

Origine : Algérie

Statut : permis B par mariage -> renouvellement accepté

Résumé du cas

Suite à son mariage avec Khaled*, qui bénéficie d’une autorisation d’établissement en Suisse, Amina*, ressortissante algérienne, a obtenu un permis de séjour par regroupement familial et s’est installée à Lausanne avec son mari. Deux mois plus tard, elle a quitté le domicile conjugal, suite à une dispute au cours de laquelle son mari l’a gravement maltraitée. Un constat médical a été établi le lendemain par l’Unité des Médecines de violence du CHUV et son mari a été condamné – neuf mois plus tard – à une peine pécuniaire de 60 jours-amendes pour lésions corporelles qualifiées.

Selon la loi, le permis de séjour de l’époux·ouse entré·e en Suisse par regroupement familial n’est pas prolongé si la vie commune a duré moins de trois ans, sauf en cas de raisons personnelles majeures (art. 50 al. 1 let. b), notamment lorsqu’un·e conjoint·e est victime de violence conjugale ou que la réintégration sociale dans le pays de provenance semble fortement compromise (art. 50 al. 2 LEI).

Dans le cas d’Amina*, plusieurs documents attestent des violences conjugales subies. Dans le cadre de son droit d’être entendue par le SEM, elle a expliqué en détail les violences psychologiques et les menaces quotidiennes de son conjoint, le contrôle extrême que ce dernier avait exercé sur elle, ainsi que les insultes constantes, une contrainte sexuelle et des violences physiques.

Malgré ces considérations, le SEM refuse le renouvellement du permis de séjour d’Amina* et prononce son renvoi de Suisse. Saisi d’un recours, le TAF approuve la décision du SEM. Ces deux instances jugent que l’intensité des violences physiques et psychiques est insuffisante.

Saisi d’un recours, le TF annule l’arrêt du TAF et approuve la prolongation du permis de séjour d’Amina*. Selon le Tribunal, les violences qui l’ont poussée à quitter le domicile conjugal ainsi que son mari atteignent le degré de gravité et d’intensité requis par la jurisprudence pour l’application de l’art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEI.

Questions soulevées

L’exigence trop élevée du SEM et du TAF quant aux preuves de l’intensité des violences subies ne permet pas d’atteindre le but initial de protection des victimes de violences conjugales de l’art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEI (voir le rapport de l’ODAE sur ce thème). Comment se fait-il qu’une condamnation pénale pour lésions corporelles qualifiées prononcée à l’égard du mari d’Amina* en raison des violences conjugales commises deux mois après le début de la vie commune ne soit pas acceptée par le SEM et le TAF comme la preuve de violences d’une « certaine intensité » au sens de la jurisprudence (notamment ATF 136 II 1 (2C_460/2009) du 4 novembre 2009) ?

Comment se fait-il que les différents moyens de preuve fournis par Amina* n’aient pas été suffisants pour faire rapidement admettre que la violence conjugale dont elle a été victime était d’une « certaine intensité » et qu’elle ait dû attendre trois longues années dans l’incertitude pour savoir si elle allait être finalement renvoyée ou non ?

Chronologie

2014 : mariage en Algérie d’Amina* et Khaled*

2015 : permis de séjour accordé à Amina* pour regroupement familial (sept.) ; séparation du couple (nov.)

2016 : condamnation de Khaled* pour lésions corporelles qualifiées commises sur Amina* (août)

2017 : prolongation du permis de séjour d’Amina* par le SPOP (mai) ; refus du SEM d’approuver la prolongation du permis de séjour et décision de renvoi en Algérie (mai) ; recours au TAF (août)

2019 : rejet du recours par le TAF (juil.) ; recours au TF (août)

2020 : approbation de la prolongation du permis de séjour d’Amina* par le TF (janv.)

Description du cas

Suite à son mariage avec Khaled*, qui bénéficie d’une autorisation d’établissement en Suisse, Amina*, ressortissante algérienne, obtient un permis de séjour par regroupement familial et s’installe à Lausanne le 11 septembre 2015 avec son mari. Deux mois plus tard, elle quitte le domicile conjugal en raison des violences infligées par son époux. En effet, selon un constat médical établi en novembre 2015 par l’Unité des Médecines de violence du CHUV, lors d’une dispute, Amina* a été jetée au sol et giflée par son mari, qui l’a par la suite saisie par les cheveux. Ces actes ont provoqué diverses abrasions et tuméfactions. Neuf mois plus tard, Khaled* sera condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amendes pour lésions corporelles qualifiées commises sur son épouse.

Selon la loi, il y a dissolution de la famille lorsque les époux ne vivent plus sous le même toit. Si l’union conjugale a duré moins de trois ans, le permis de séjour de l’époux·ouse obtenu par regroupement familial n’est pas prolongé, sauf en cas de raisons personnelles majeures (art. 50 al. 1 let. b). Ces raisons personnelles majeures sont notamment données lorsqu’un·e conjoint·e est victime de violence conjugale ou que la réintégration sociale dans le pays de provenance semble fortement compromise (art. 50 al. 2 LEI). La personne victime doit rendre vraisemblable la violence conjugale à l’aide de rapports divers, d’avis d’experts ou de témoignages crédibles (ATF 138 II 229, consid. 3.2.3). Selon la jurisprudence, la violence conjugale doit revêtir une « certaine intensité » (ATF 136 II 1 consid. 5.3).

Dans le cas d’Amina*, plusieurs institutions spécialisées attestent des violences conjugales qu’elle a subies (notamment le centre LAVI et le Centre MalleyPrairie). Un suivi psychologique est mis en place auprès d’une thérapeute qui constate qu’Amina* souffre d’un « vécu de détresse et une perturbation émotionnelle importante » (attestation du 28 janvier 2016). Dans son courrier adressé au SEM dans le cadre de son droit d’être entendue, Amina* témoigne par écrit des violences psychologiques et des menaces subies quotidiennement, du contrôle extrême exercé par son mari sur elle, d’insultes constantes, d’une contrainte sexuelle et finalement des violences physiques graves subies pendant la dispute de novembre 2015. Elle explique également subir une forte pression de sa famille qui la blâme pour la séparation. Ses frères lui ont clairement signifié qu’ils n’accepteraient pas qu’elle revienne chez eux en tant que femme séparée ou divorcée.

Malgré ces considérations, en juillet 2017 le SEM décide de refuser d’accorder son approbation au renouvellement du permis de séjour d’Amina*, et prononce son renvoi de Suisse. Saisi d’un recours, le TAF approuve la décision du SEM. Ces deux instances jugent que l’intensité des contraintes physiques et psychiques exercées par Khaled* sur Amina* pendant la durée de la vie commune est insuffisante au sens de la jurisprudence pour fonder un cas de rigueur sur la base de l’art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEI. Selon le TAF, l’ordonnance pénale d’août 2016 fait état d’un événement ponctuel et les actes de violence subis n’ont pas nécessité une prise en charge médicamenteuse. Pour le TAF, ceci constitue un indice tendant à montrer que ces actes ne présentaient pas le degré d’intensité requis (arrêt du TAF, consid. 5.6). Le TAF nie les difficultés de réintégration auxquelles Amina * risque de faire face en cas de renvoi en Algérie et considère qu’elle « pourra à nouveau compter sur le soutien affectif et matériel de sa famille ».

Saisi d’un recours, le TF annule l’arrêt du TAF et approuve la prolongation du permis de séjour d’Amina*. Selon le Tribunal, les violences graves subies lors de la dispute en novembre 2015, qui l’ont poussée à quitter le domicile conjugal et ainsi son mari, atteignent le degré de gravité et d’intensité requis par la jurisprudence pour l’application de l’art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEI. Même brève, l’existence de la communauté conjugale entre les époux était bien réelle, « aussi réelle du reste que les violences – inadmissibles, quel que soit le contexte dans lequel elles ont eu lieu – que le mari a fait subir à la recourante, à qui l’on ne saurait reprocher de s’être immédiatement éloignée de son agresseur » (arrêt du TF, consid. 4.5).

 

Signalé par : La Fraternité – CSP Vaud, mars 2020

Sources : Décision du SEM, arrêt du TAF F-4470/2017 du 12 juillet 2019, arrêt du TF 2C_693/2019 du 21 janvier 2020, courriers faisant valoir le droit d’être entendu, recours adressé au TAF et recours adressé au TF

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