Après sept ans d’attente d’un permis, le renvoi d’une Portugaise est prononcé

« Ana » travaille en Suisse de 2004 à 2007 au bénéfice d’un permis L en tant que ressortissante de l’Union Européenne. Par la suite, sa demande de renouvellement de permis n’est pas traitée bien qu’elle en remplisse manifestement les critères. Ce n’est qu’en 2014, suite au dépôt d’un recours pour déni de justice, que l’OCPM rend une décision. Celle-ci est négative au motif qu’« Ana » ne travaille plus, alors que c’est l’Office qui a rendu sa situation précaire.

Mise à jour

En juin 2015, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève rend un arrêt positif pour « Ana ». Elle conclut à une violation de l’ALCP par l’OCPM qui ne lui a pas délivré le permis de séjour pour cinq ans auquel elle avait droit. De plus, l’autorité estime que l’OCPM a « traité le dossier de la recourante avec une certaine légèreté ». En août 2015, le SEM interjette un recours au TF contre cette décision, invoquant l’abus de droit. Dans un arrêt du 30 mars 2016 (2C_669/2015), le TF admet le recours de l’OCPM et rétablit sa décision. « Ana » et ses enfants devraient donc quitter la Suisse. Le TF estime que, même si « Ana » avait obtenu le permis de séjour de cinq ans, celui-ci aurait expiré en juin 2009, moment où elle était sans travail et avait ainsi perdu le statut de travailleur. Le Tribunal ne prend pas en compte le fait que, munie d’un permis B, « Ana » aurait peut-être au contraire pu s’insérer plus durablement sur le marché du travail. Grâce au nouvel emploi d’« Ana » obtenu avant l’arrêt du TF, toute la famille obtient finalement un permis de séjour.

Personne(s) concernée(s) : « Ana », née en 1978

Statut : autorisation de séjour -> non-renouvellement

Résumé du cas

« Ana », ressortissante portugaise, arrive en Suisse en 2004 pour y travailler. Jusqu’en juin 2007, son permis de séjour de courte durée (permis L) est renouvelé régulièrement au titre de travailleuse salariée de l’Union Européenne (UE). Cette année-là, « Ana » dépose une demande de renouvellement auprès de l’OCPM dans les délais, mais sa requête n’est pas traitée alors qu’elle aurait pu bénéficier d’un permis B en raison de son contrat à durée indéterminée. Elle ne possède ainsi plus de titre de séjour valable. Disposant dès lors d’une seule attestation que le renouvellement de son permis est en attente, « Ana » parvient néanmoins à se faire engager, dans les années qui suivent, pour différents emplois. Elle envoie de manière constante ses contrats de travail à l’OCPM sans suite. En août 2012, après des sollicitations répétées d’« Ana », les autorités finissent par lui répondre demandant la copie de sa pièce d’identité ainsi que des photos passeport. En mars 2014, après une nouvelle période de mutisme de l’OCPM, « Ana » dépose un recours au Tribunal administratif de première instance (TAPI) pour déni de justice. Le Tribunal donne un délai de deux semaines à l’Office pour lui transmettre le dossier. Deux jours avant cette échéance, l’Office rend une décision négative et prononce le renvoi d’« Ana », arguant qu’elle n’occupe plus d’emploi depuis 2009 et « ne peut plus se prévaloir de son autorisation de séjour comme travailleuse salariée », tout en blâmant son recours à l’assistance depuis la même année. « Ana » fait recours au TAPI mais ce dernier le rejette, bien qu’entre-temps elle ait finalement trouvé, grâce à l’intervention d’une ancienne collègue en sa faveur auprès d’un employeur, un travail sur appel pour un total de 42 heures en juillet 2014. En septembre 2014, « Ana » dépose un recours à la Cour de Justice (CACJ), estimant que sa précarité est liée aux années passées sans permis de séjour et que ses activités actuelles, cumulant désormais à 22,5 heures par semaine, lui ouvrent à nouveau droit à un permis ALCP. Ce dernier recours est encore pendant.

Questions soulevées

Comment comprendre qu’il faille faire recours pour que l’OCPM rende finalement une décision après sept ans ?

Comment comprendre que le Tribunal ne reconnaisse pas les droits d’« Ana » qui découlent de son nouveau travail, en décidant le renouvellement de son titre de séjour, ce qui aurait permis de corriger le déni de justice subi ?

Est-ce légitime que les autorités reprochent à « Ana » d’être à l’aide sociale alors que sa précarité est renforcée par l’absence de permis pendant plusieurs années ?

Chronologie

2004 : arrivée d’« Ana » dans le canton de Genève et mise au bénéfice d’un permis L CE/AELE (juin)

2007 : demande de renouvellement d’autorisation de séjour CE/AELE (mai)

2012 : courrier de l’OCPM indiquant qu’il reprend le traitement du dossier après plusieurs relances de la mandataire

2013 : courriels de la mandataire demandant à l’OCPM de statuer, sans succès (fév.; nov.)

2014 : courriel de la mandataire envoyé au directeur de l’OCPM (fév.), recours au TAPI pour déni de justice et retard injustifié (mars), décision négative de l’OCPM (avril), nouveau recours au TAPI (mai), recours rejeté (août), recours à la CACJ (sept.)

N.B. : Au moment de la rédaction, la Cour de Justice ne s’est pas encore prononcée sur le recours

Description du cas

« Ana », ressortissante portugaise, entre en Suisse en juin 2004 dans le but d’y travailler au titre de l’ALCP. Son autorisation de séjour L CE/AELE est renouvelée à plusieurs reprises jusqu’en juin 2007. Alors qu’elle travaille environ 25 heures par semaine conformément à son contrat à durée indéterminée, sa demande de renouvellement, déposée en mai 2007, n’est pas traitée par l’OCPM. Pourtant, au regard des directives OLCP (4.5.2), « Ana » aurait eu le droit d’être mise au bénéfice d’un permis B CE/AELE avec une durée de validité de 5 ans sur la base de ce contrat. Suite à la perte de son emploi à l’automne 2007 et toujours sans permis de séjour valable, « Ana » entre dans une période d’expectative et de précarité. Malgré son statut instable, « Ana » parvient à décrocher, entre 2008 et 2009, trois emplois, dont deux à durée indéterminée qui lui auraient à nouveau ouvert le droit au permis B si son dossier avait été traité. Elle transmet en effet à l’Office ses différentes prises d’emploi, mais l’autorité continue à ne pas donner réponse à ses demandes.

En août 2012, suite aux interventions renouvelées d’« Ana », l’OCPM se dit « dès lors prêt à régler les conditions de séjour dans les meilleurs délais possibles » tout en lui demandant la copie de sa pièce d’identité et deux photos passeport. L’envoi de ces documents n’aboutit toutefois pas à une quelconque décision de l’Office, qu’« Ana » continue à solliciter de manière répétée. Elle saisit finalement le TAPI pour déni de justice et retard injustifié en mars 2014. Le Tribunal impartit un délai de deux semaines à l’OCPM pour leur transmettre le dossier accompagné d’éventuelles observations. Deux jours avant l’échéance, les autorités refusent le renouvellement de l’autorisation de séjour d’« Ana » et prononcent son renvoi. L’argumentaire met en exergue l’inactivité d’« Ana » depuis 2009 et son recours à l’assistance publique.

En mai 2014, « Ana » fait recours contre cette décision au TAPI. En août, le Tribunal rejette le recours. Considérant uniquement la situation actuelle, les juges du TAPI estiment qu’« Ana » a perdu sa qualité de travailleuse communautaire au sens de l’art. 6 par. 1 annexe I ALCP, l’emploi sur appel qu’elle a effectué à raison d’une quarantaine d’heures durant le mois de juillet ne lui assurant pas de revenu suffisant. En outre, alors qu’« Ana » est en Suisse depuis dix ans, le Tribunal relativise ce séjour « par le fait qu’à partir de juin 2007, la recourante ne bénéficiait plus d’une autorisation de séjour et résidait au bénéfice d’une simple tolérance », passant ainsi sous silence l’absence de réponse à ses demandes répétées d’un permis ALCP depuis lors.

Dans un nouveau recours déposé en septembre 2014 à la CACJ, « Ana » réitère que l’OCPM a violé son droit à obtenir le renouvellement de son permis ayant ainsi commis un déni de justice que le TAPI cautionne par son jugement. En ce faisant, l’Office porte également la responsabilité de sa situation précaire, y compris son recours à l’assistance publique de manière prolongée. Dès lors, sa situation n’est ni volontaire ni abusive. Par ailleurs, alors qu’elle cumule, dès le mois d’août 2014, deux emplois pour un total de 22.5 heures par semaine, « Ana » estime que ses activités doivent être considérées, au regard de la jurisprudence, comme « réelles et effectives », lui assurant sa qualité de travailleuse salariée et, ainsi, le renouvellement de son titre de séjour sous l’ALCP, même si de telles activités sont complétées le cas échéant par une aide publique (voir ATF 131 II 339 du 25 avril 2005 et directives OLCP). La décision de la CACJ est pendante.

Signalé par : CCSI Genève – novembre 2014

Sources : 1er recours au TAPI (24.03.2014), décision de l’OCPM (08.04.2014), 2e recours au TAPI (05.05.2014), décision du TAPI (26.08.2014), recours à la Cour de Justice (24.09.2014), observations de l’OCPM (23.10.2014), réplique de la mandataire (11.11.2014).

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