Après de 20 ans de vie en Suisse, âgée de 65 ans, le SEM lui retire son permis de séjour à cause de son niveau de français jugé trop bas

Après douze ans de séjour en Suisse, Analyn* bénéficie de l’opération Papyrus qui lui permet d’être régularisée. Le renouvellement de son permis est toutefois conditionné à l’obtention d’un diplôme de français de niveau A2. Malgré le suivi de cours de langue hebdomadaires, Analyn* produit un passeport FIDE de niveau A1. Sans tenir compte des difficultés d’apprentissage liées à son âge et à ses problèmes de santé, le SEM refuse alors la prolongation de son autorisation de séjour et prononce son renvoi de Suisse.

Personne concernée (*Prénom fictif): Analyn*

Origine: Philippines

Statut: Aucun (permis B non renouvelé)

Chronologie

2006 : arrivée en Suisse

2020 : obtention d’un permis B de séjour (mai)

2024 : refus de renouvellement (avril), recours (mai), recours irrecevable (juillet)

Questions soulevées

  • L’exigence posée à Analyn* d’une amélioration de son niveau de français, alors qu’elle a atteint l’âge de la retraite et souffre de problèmes de santé, n’est-il pas disproportionné ?
  • Comment se fait-il que le renouvellement de son permis de séjour puisse lui être refusé alors qu’Analyn* a pourtant atteint le niveau de français exigé par les autorités cantonales lorsqu’elles octroient de permis B pour cas de rigueur ? Une pratique ainsi différenciée n’est-elle pas discriminatoire ?
  • Analyn* a vécu 25 ans en Suisse, elle y est socialement intégrée et est indépendante de l’aide sociale. Que faut-il de plus pour lui reconnaitre un droit à rester en Suisse?

Description du cas

Analyn* est originaire des Philippines. En 2006, elle arrive en Suisse à l’âge de 47 ans, sans autorisation de séjour, et s‘installe pour travailler à Genève. En 2018, elle bénéficie de l’opération Papyrus pour être régularisée et obtient un titre de séjour en mai 2020. Le renouvellement de son permis B est annuel et conditionné au suivi d’un cours de langue française. En mars 2021, Analyn* demande la prolongation de son permis auprès du Service de la population du canton (OCPM).

En février 2022, l’OCPM donne son accord et transmet la demande au SEM. Le SEM approuve le renouvellement, mais le conditionne, en vertu de l’art. 86 OASA, à l’obtention d’un certificat FIDE de langue française de niveau A2.

En février 2023, Analyn* dépose à nouveau une demande de renouvellement de son autorisation de séjour, produisant en même temps un passeport de langue FIDE de niveau A1. En mai 2023, le SEM annonce son intention de refuser la prolongation de son permis, puisqu’elle ne démontre pas la maîtrise d’un niveau de français A2. Pourtant, à Genève, seul le test A1 est demandé pour l’analyse des cas de rigueur, l’exigence du niveau A2 dans le cadre de l’opération Papyrus fait exception.

En juin 2023, Analyn* explique au SEM avoir suivi avec assiduité des cours jusqu’en 2021, avoir réussi le test à 58% (soit un niveau A1) ce qui s’avère très proche des 65% de réussite permettant d’obtenir un A2. Elle indique avoir connu une période de dépression et de démotivation liée à son âge, à son état de santé et à la recherche d’un emploi complémentaire. Elle précise s’être inscrite à un nouveau test en août prochain pour atteindre le certificat A2. Le SEM lui octroie alors un délai pour produire le certificat.

En décembre, Analyn* échoue à nouveau au test et transmet un nouveau certificat, de niveau A1. En avril 2024, le SEM rend sa décision: il refuse la prolongation de l’autorisation de séjour d’Analyn* et prononce son renvoi de Suisse.

En mai 2024, appuyée par une mandataire, Analyn* dépose un recours auprès du TAF contre cette décision. Dans son recours, elle invoque être bien intégrée à Genève où elle vit depuis 25 ans. Elle explique avoir des ennuis de santé qui, combinés à son âge avancé, rend très difficile le suivi de cours de langue. Elle rappelle également qu’il y a lieu de tenir compte du principe de proportionnalité puisqu’elle réside en Suisse depuis 25 ans. Analyn* reproche enfin au SEM d’avoir violé son droit d’être entendue en refusant d’examiner son ancrage social et sa situation personnelle pour s’arrêter uniquement sur son niveau de langue. Ce, d’autant plus que si elle avait demandé une régularisation en dehors de l’opération Papyrus, Analyn* aurait obtenu sans autre son renouvellement de permis.

En juillet 2024, le TAF demande à Analyn* le paiement d’une avance de frais de 1’200 CHF pour examiner sa requête. Faute de paiement de cette avance, le recours est déclaré irrecevable.

Signalé par : syndicat SIT, Genève

Sources : ATAF F-2800/2024

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