Admis « provisoirement » depuis 12 ans il ne peut pas voir sa famille en Allemagne

Titulaire d’un permis F depuis 12 ans, « Seyoum » demande un « visa de retour », document officiel nécessaire pour rendre visite à sa famille en Allemagne et revenir en Suisse. L’ODM refuse au motif qu’il dépend de l’aide sociale. « Seyoum » est comme enfermé en Suisse.

Mise à jour

En juin 2015, le TAF rend un arrêt négatif (TAF C-5322/2013) et rejette le recours. Selon le Tribunal, le SEM a suffisamment motivé sa décision. Le TAF relève qu’aucun des certificats médicaux présentés ne fait état d’une incapacité de travail complète, et estime donc que « Seyoum » pourrait exercer une activité à temps partiel malgré sa maladie (schizophrénie indifférenciée), son âge (48 ans au moment de l’arrêt) et son faible niveau de qualification. Par ailleurs, « Seyoum » n’entretient pas une « relation suffisamment étroite » avec sa famille pour se prévaloir de l’art. 8 CEDH, vu leur longue séparation. Pour le Tribunal, il est toujours possible pour « Seyoum » de rencontrer son frère et sa sœur en Suisse, voire de maintenir les relations par d’autres moyens tels que communication téléphonique, ou correspondance postale ou électronique. Enfin, les juges estiment que l’application restrictive des dispositions de l’ODV se justifie en vertu de l’« esprit du législateur », selon lequel l’admission provisoire est une mesure de substitution à un renvoi dont l’exécution n’est « temporairement pas envisageable ». Ainsi, après 29 ans passés en Suisse, « Seyoum » reste interdit de quitter le territoire helvétique.

Personne(s) concernée(s) : « Seyoum » né en 1966

Statut : admission provisoire -> refus de visa de retour

Résumé du cas

Arrivé en Suisse en 1987 pour demander l’asile, « Seyoum » est mis au bénéfice d’un permis F en 2001. Pendant des années, il occupe divers emplois. Lorsque son dernier employeur déménage à Lausanne, il perd son travail, n’étant pas autorisé à exercer une activité en dehors du canton de Genève sans l’approbation de l’autre canton, en l’occurrence Vaud. En 2008, on lui diagnostique une schizophrénie : depuis lors, il doit subir un lourd traitement médicamenteux et être suivi par un psychiatre. Malgré ses efforts, il n’arrive pas à retrouver un emploi. En mars 2013, souhaitant rendre visite à son frère et à sa sœur en Allemagne, « Seyoum » dépose une demande de « visa de retour ». En effet, toute personne au bénéfice d’une admission provisoire souhaitant quitter la Suisse doit solliciter un tel visa. En août 2013, l’ODM rejette la demande au seul motif que « Seyoum » reçoit l’aide sociale. Cette décision fait suite à une modification d’ordonnance qui donne la possibilité aux autorités de refuser un tel visa de retour pour manque d’indépendance financière. Son mandataire fait recours auprès du TAF. Selon lui, « Seyoum » a droit à une décision dûment motivée (art. 29 al. 2 Cst) et qui tienne compte de sa situation personnelle. La maladie de « Seyoum » entrave durablement sa réintégration au marché du travail, et donc l’obtention d’un visa de retour. Il est de fait empêché de quitter la Suisse et ce pour une durée indéterminée. De plus, il se retrouve privé de relations normales avec ses proches parents habitant d’autres pays, alors qu’il ne les a plus revus depuis sept ans. Le recours déposé en septembre 2013 est toujours pendant. Par ailleurs, une demande de prise en charge par l’assurance invalidité est en cours d’examen.

Questions soulevées

Est-il justifié que l’ODM refuse à « Seyoum » de quitter brièvement la Suisse pour rendre visite à sa famille, sachant que la dépendance à l’aide sociale qu’on lui reproche est due à son état de santé ?

Avec un statut précaire et atteint d’une maladie chronique, « Seyoum » ne peut que difficilement espérer un changement de sa situation professionnelle. Les contraintes qui lui sont imposées après 28 ans en Suisse dont 14 au bénéfice d’une admission provisoire sont-elles proportionnées au regard du droit au respect de la vie familiale et à la liberté de mouvement (voir les recommandations du CERD à la Suisse en 2014, para. 16) ?

Chronologie

1987 : arrivée en Suisse ; demande d’asile (jan.) rejetée par la suite

2001 : mise au bénéfice d’une admission provisoire via l’« Action humanitaire 2000 » (jan.)

2008 : hospitalisation à deux reprises ; diagnostic de schizophrénie

2013 : demande de visa de retour pour visiter sa sœur en Allemagne (mars) ; intention de refus de l’ODM (avr.) ; réponse de la mandataire (mai) ; rejet de la demande par l’ODM (août) ; recours au TAF (sept.) ; prise de position de l’ODM (nov.)

N.B. : au moment de la rédaction, le TAF ne s’est pas encore prononcé sur le recours.

Description du cas

Arrivé en 1987 en tant que requérant d’asile, l’Érythréen « Seyoum » voit sa demande rejetée. Son renvoi n’ayant pas pu être exécuté malgré sa collaboration, il demeure en Suisse et obtient une admission provisoire (permis F) en 2001, à l’occasion de l’« Action humanitaire 2000 ». Bien que son statut administratif soit précaire, pendant des années, il travaille à Genève, occupant des postes dans la restauration, l’hôtellerie, au sein d’un cinéma et dans une imprimerie, où il est employé pendant quatre ans. Lorsque l’entreprise déménage à Lausanne, il perd son emploi, n’étant pas autorisé à travailler en dehors du canton de Genève sans l’approbation de l’autre canton, en l’occurrence Vaud. En 2008, il est hospitalisé à deux reprises en milieu psychiatrique et on lui diagnostique une schizophrénie. Depuis, il doit suivre un lourd traitement médicamenteux et voit un psychiatre deux fois par mois. Du fait de cette maladie handicapante et malgré ses efforts, « Seyoum » n’arrive pas à retrouver un emploi. Il est donc durablement dépendant de l’aide sociale pour sa survie et son traitement médical.

En mars 2013, souhaitant rendre visite à sa sœur qui a fondé une famille en Allemagne, « Seyoum » dépose une demande de visa de retour : en effet, les personnes au bénéfice d’un permis F doivent solliciter un tel visa de la part de l’ODM pour pouvoir voyager en dehors de la Suisse (art. 9 ODV). Après un assouplissement en mars 2010, cette ordonnance a été à nouveau durcie en décembre 2012 suite à quelques cas particulièrement médiatisés de personnes qui auraient profité d’une liberté totale de voyager pour séjourner de façon prolongée dans leur pays d’origine tout en percevant l’aide sociale en Suisse (voir Conseil fédéral, Communiqué du 14.11.12). Le mois suivant, l’ODM notifie à « Seyoum » son intention de refuser la demande, estimant que les conditions d’octroi du visa ne sont pas remplies, et lui impartissant un délai d’un mois pour faire part de ses observations. « Seyoum » répond en expliquant de manière plus détaillée les raisons familiales pour lesquelles il souhaite se rendre en Allemagne : sa sœur lui a rendu visite en Suisse par le passé, mais depuis la naissance de ses enfants, il lui est devenu difficile de voyager ; par ailleurs, « Seyoum » a aussi un frère qui vit là-bas. Il n’a plus revu ni l’une ni l’autre depuis sept ans. En août, l’ODM rend tout de même une décision négative, sans autre motivation que le fait que « Seyoum » est à l’assistance publique. Les raisons de santé qui l’ont mené à une telle situation ne sont nullement mentionnées.

Le mandataire de « Seyoum » fait recours en septembre 2013 auprès du TAF pour violation du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst) et du droit à la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst), ainsi que pour non-respect de sa vie privée et familiale (art. 8 CEDH). Il explique que « Seyoum » a droit à une décision dûment motivée, tenant compte des particularités de sa situation : en effet, si l’art. 9 de l’ODV prévoit effectivement une possibilité pour l’ODM de refuser un visa de retour à une personne qui se trouve à l’aide sociale, rien dans cet article ne rend cette pratique obligatoire, laissant au contraire une marge d’appréciation aux autorités pour évaluer chaque situation individuellement. Du point de vue de l’art. 10 al. 2 Cst. et de l’art. 8 CEDH, « Seyoum » n’ayant pas de perspective réaliste de changer sa situation administrative – étant donné que sa maladie entrave durablement sa réintégration sur le marché du travail et, par conséquent, son accès à une autorisation de séjour ou à un visa de retour –, il est empêché de manière durable, voire indéfinie, de quitter le territoire suisse et ainsi d’entretenir des relations familiales normales avec ses proches parents habitant d’autres pays. Cette interdiction constitue donc une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux. Suite au recours, l’ODM maintient sa position, estimant que la maladie de « Seyoum » ne peut pas être considérée comme un frein à sa réinsertion professionnelle, et que sa situation est donc susceptible de changer. Au moment de la rédaction, le TAF n’a pas encore statué sur le recours. Par ailleurs, une demande de prise en charge par l’assurance invalidité est en cours.

Signalé par : CSP Genève – février 2014

Sources : décision de l’ODM (23.08.2013), recours au TAF (26.09.2013), position de l’ODM (7.11.2013).

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