4 ans pour être reconnu apatride en raison d’un «problème éminemment politique»

Faska*, né au Sahara occidental, dépose une demande de reconnaissance d’apatridie en octobre 2019. Après plus de trois ans d’attente sans nouvelles, il dépose un recours auprès du Tribunal administratif fédéral pour déni de justice. Le SEM explique son retard par le fait que la requête de Faska* « renvoie à un problème éminemment politique relevant du droit international" puisque le Sahara occidental serait considéré par la communauté internationale "comme une région indépendante du Royaume du Maroc". Le TAF réfute cet argument et condamne le SEM pour déni de justice. Un mois après, le SEM reconnait Faska* comme apatride.

Personne concernée (*Prénom fictif): Faska*

Origine: Sahara occidental

Statut: Permis B (apatride)

Chronologie

2019 : arrivée en Suisse et dépôt de demande d’asile, demande d’apatridie (oct.)

2020 : fin de la procédure Dublin, reprise de la procédure d’asile (juillet)

2021 : refus d’entrer en matière sur la demande d’asile, suspension du renvoi (fév.)

2022 : seconde relance au SEM pour obtenir une réponse à la demande d’apatridie (sept.) 2023 : recours pour déni de justice (jan.), réponse du SEM au TAF (fév.), reconnaissance du statut d’apatride par le SEM (avril)

Questions soulevées

  • Comment se fait-il qu’il ait fallu quatre ans pour que le SEM reconnaisse à Faska* la qualité d’apatride alors que la situation politique au Sahara occidental n’a pas connu de changement majeur entre le moment du dépôt de la requête et celui de la décision du SEM ?
  • Comment se fait-il que, alors que le SEM admettait que la procédure allait prendre du temps en raison de « problèmes d’ordre politique », aucun titre de séjour provisoire n’ait été octroyé à Faksa* en attendant ?

Description du cas

Faska* est né en 1988 au Sahara occidental (sans nationalité déclarée), dans un camp de réfugiés de Tindouf dans la province de Smara. Bien que formé en soins infirmiers, il ne voit pas d’avenir professionnel et décide de quitter son pays. Il arrive en Suisse, où il demande l’asile en octobre 2019. Le mois suivant, le SEM l’informe ne pas entrer en matière sur sa demande car Faska* a déjà déposé une demande d’asile en France. La Suisse prononce alors son renvoi vers cet état, compétent pour examiner sa requête selon le règlement Dublin. Une décision qui est confirmée par le TAF (F-5903/2019).

A la suite de l’expiration du délai de transfert vers la France, la procédure d’asile en Suisse reprend en juillet 2020. En février 2021, le SEM indique à nouveau ne pas entrer en matière sur la demande d’asile de Faska*, au motif qu’il n’aurait pas fui des persécutions au sens de l’art. 3 LAsi ou de l’art. 3 CEDH ni avoir démontré un besoin de protection. L’autorité prononce une décision de renvoi vers le pays dont il possède la nationalité ou tout autre pays hors de l’espace Schengen où il serait légalement admissible.

Au cours de sa procédure d’asile, en octobre 2019, Faska* avait sollicité une reconnaissance d’apatridie. En février 2021, le SEM informe le service de la population du canton de Vaud (où Faska* a été attribué) que l’exécution de son renvoi est suspendue dans l’attente d’un examen sommaire de sa demande d’apatridie.

En septembre 2021, Faska*, représenté par un mandataire, se renseigne sur l’état d’avancement de sa demande d’apatridie: le SEM indique qu’une analyse approfondie juridique est en cours. Une année plus tard, Faska est toujours sans nouvelles. En septembre 2022, son mandataire interpelle à nouveau le SEM en relevant que le délai pour obtenir une décision est exagérément long. Il prie l’autorité de statuer en 3 semaines faute de quoi il envisage d’engager une procédure judiciaire pour déni de justice. En décembre 2022, le SEM informe Faska* qu’il ne parviendra pas à prendre une décision avant le premier trimestre 2023.

En janvier 2023, Faska * saisit le TAF pour déni de justice contre le SEM concernant sa demande d’apatridie. Le TAF demande au SEM de se prononcer sur ce recours. Celui-ci explique que la demande de reconnaissance d’apatridie de Faska* « pose non seulement une question d’ordre juridique, mais renvoie également à un problème éminemment politique relevant du droit international. Le Sahara occidental est en effet considéré par la communauté internationale comme une région « indépendante » du Royaume du Maroc mais il ne constitue pas un territoire autonome au sens de la Charte des Nations-Unies. ». Le SEM précise qu’il n’a encore jamais eu à se prononcer sur une demande de reconnaissance du statut d’apatride pour une personne originaire du Sahara occidental, mais indique pouvoir rendre une réponse en début de deuxième semestre 2023.

Dans son arrêt du 23 mars, le TAF donne raison à Faska* : il relève qu’en plus de trois ans de procédure, le SEM n’a effectué aucune mesure d’instruction, et rappelle à cet égard que la jurisprudence relative au principe de célérité considère comme choquante une inactivité de 13 mois au stade de l’instruction. Le TAF mentionne en outre la jurisprudence de la CEDH qui a décrété que la question de la nationalité ou de son absence « fait partie de l’identité sociale d’une personne et entre dans le champs d’application de l’art. pr.1 CEDH ».  Il reconnait ainsi le déni de justice à l’encontre de Faska* et enjoint le SEM à se prononcer sans délai sur sa demande. Un mois plus tard, le SEM rend sa décision : il reconnait que Faska* remplit les conditions fixées par la Convention relative au statut des apatrides, et lui reconnait donc le statut d’apatride.

Signalé par : EPER/SAJE, Vaud

Sources : Décision du SEM de février 2021,ATAF F-408/2023

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