Décisions de renvoi vers l’Érythrée: la Suisse condamnée à deux reprises par le CAT

Suisse, 28 janvier 2022 – Dans deux décisions de juillet 2021 (X c. Suisse) et janvier 2022 (Y c. Suisse), le Comité contre la torture (CAT) a déclaré que les décisions de renvois prises par la Suisse envers des requérants érythréens, tous deux arrivés mineurs non accompagnés, violaient la Convention de l’ONU contre la torture. Les deux affaires portent sur le risque de subir des mauvais traitements en cas de renvoi en Érythrée (violation des art. 3 et 16 de la Convention).

Dans le premier cas, le requérant avait quitté son pays craignant d’être enrôlé par l’armée après avoir appris qu’il était recherché par des militaires. Le SEM et le TAF avaient rejeté sa demande d’asile en application de la jurisprudence actuelle (D-7898/2015, D-2311/2016 et ATAF 2018 VI/4), estimant que le requérant n’avait jamais eu de contacts directs avec les autorités militaires et que sa seule sortie illégale du pays ne justifiait pas l’inexigibilité de son renvoi. Dans la seconde situation, le requérant avait reçu une convocation de l’autorité administrative de sa localité. De peur d’être enrôlé dans l’armée, il avait alors quitté le pays. Le SEM et le TAF avaient considéré que la convocation en question n’était pas « suffisante », le requérant n’étant pas en âge de servir à ce moment-là. Les autorités suisses en concluaient que son retour en Érythrée était licite et raisonnablement exigible.

Dans les deux affaires, le CAT a jugé qu’«eu égard aux allégations du requérant […]; aux informations récentes sur le recours généralisé en Érythrée à la conscription des jeunes, particulièrement de sexe masculin, et sur la possibilité pour les insoumis et ceux qui ont quitté le pays de manière illégale d’être victimes d’actes de torture après leur retour; et au peu d’informations disponibles et fiables sur l’ampleur de ce risque, le Comité ne peut pas conclure qu’en l’espèce, il n’existe pas un risque prévisible, réel et personnel pour le requérant d’être soumis à la torture en cas de renvoi vers l’Érythrée, laquelle constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention.»

Pour évaluer la situation en Érythrée, le CAT s’est notamment appuyé sur un rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), dont le SEM est lui-même à l’origine (!). Dans son rapport de 2020 sur la situation érythréenne, l’ODAE romand soulevait déjà que plusieurs conclusions de ce rapport allaient à l’encontre de l’appréciation actuelle du SEM et du TAF.

Sources: CAT, décision X contre Suisse n°900/2018 du 23 juillet 2021; décision Y contre Suisse n°916/2019 du 28 janvier 2022.

Voir également: ODAE romand, Durcissements à l’encontre des Érythréen∙nes: actualisation 2020, rapport, décembre 2020.

Cas relatifs

Cas individuel — 13/02/2024

Décès d’un jeune demandeur d’asile: la responsabilité directe des autorités suisses

Cas 459 / 13.02.2024 Alam* arrive en Suisse à 17 ans et demande l’asile après avoir vécu des violences en Grèce où il a reçu protection. Les autorités suisses prononcent une non-entrée en matière et son renvoi, malgré des rapports médicaux attestant de la vulnérabilité d’Alam*. Celui-ci met fin à ses jours à la suite du rejet de son recours par le TAF.
Cas individuel — 15/01/2013

Plus de 6 ans d'attente avant que le TAF statue sur son cas

Suite à sa demande d’asile, « Tadele » reçoit une décision de NEM en 2002 et voit sa demande de réexamen rejetée en 2005. Il recourt auprès du TAF qui mettra plus de quatre ans à réclamer un complément d’instruction et près de deux ans à statuer sur la licéité du renvoi en Ethiopie.
Cas individuel — 04/10/2012

Un paraplégique et sa mère seront renvoyés
sans égard aux avis médicaux

« Meliha » et son fils « Fadil » déposent en 2011 une demande d’asile en Suisse. Ils invoquent d’emblée la paraplégie de « Fadil » et les difficultés qu’a sa mère, à la santé fragile et avec peu de ressources, de le prendre en charge seule. Pourtant, aucun des certificats médicaux établis en Suisse ne fera changer d’avis l’ODM et le TAF quant à l’exigibilité de leur renvoi.
Cas individuel — 24/08/2009

Déserteurs érythréens: réfugiés un jour, indésirables le lendemain

Mobilisée de force dans l’armée érythréenne, « Lidi » subit de graves sévices et finit par s’enfuir en Suisse. Mais l’ODM ordonne son renvoi. Après une jurisprudence de principe favorable aux déserteurs érythréens, l’ODM se ravise et lui accorde l’asile. Mais à l’avenir, le DFJP propose de modifier la loi afin d’exclure les déserteurs de la qualité de réfugié.