Placée en détention administrative, elle perd son enfant
« Soraya », originaire d’Érythrée, demande l’asile en Suisse. Comme elle a déjà demandé l’asile en Suède, elle est incarcérée en vue d’un transfert. Enceinte, son état de santé se détériore en prison et elle doit interrompre sa grossesse. Suite à ce tragique événement, le TAF impose l’application de la clause de souveraineté de l’accord de Dublin, annulant ainsi son transfert.
Personne(s) concernée(s) : « Soraya », née en 1983
Statut : demande d’asile rejetée par NEM -> entrée en matière
Résumé du cas
Après s’être vue refuser l’asile en Suède, l’Érythréenne « Soraya » dépose en 2012 une demande d’asile en Suisse, où réside un réfugié statutaire qu’elle a épousé coutumièrement en Suède. En 2013, l’ODM, se référant au règlement Dublin II, décide de ne pas entrer en matière sur sa demande d’asile et prononce son transfert vers la Suède. Dès la notification de cette décision « Soraya » est placée en détention administrative. Elle formule alors un recours arguant qu’en Suède elle est sous le coup d’une décision de renvoi, et qu’elle est enceinte de son mari depuis quelques semaines. Malgré l’octroi de l’effet suspensif du recours par le TAF, la détention de « Soraya » est maintenue. Son état de santé se dégrade alors rapidement à tel point qu’au bout de sept semaines la grossesse doit être interrompue, l’enfant ne donnant plus signe de vie. Le même jour, « Soraya » est réincarcérée directement à sa sortie de l’hôpital. Le lendemain, sa libération est cependant ordonnée par le Tribunal cantonal au motif que le principe de proportionnalité n’est plus respecté, l’ODM ayant demandé un délai supplémentaire pour se déterminer sur le recours. Pas un mot des problèmes médicaux rencontrés par « Soraya » durant sa détention ni de l’interruption de grossesse qui en a découlé ne figure dans cette décision de libération. Finalement, dans son arrêt, le TAF estime qu’au vu des circonstances particulières de ce cas et du risque que « Soraya » soit renvoyée au Soudan, d’où elle est considérée originaire par les autorités suédoises, la Suisse doit faire application de la clause de souveraineté de l’accord de Dublin afin que « Soraya » puisse poursuivre son suivi psychologique et rester auprès de son époux. Depuis septembre 2013, l’ODM – qui doit désormais statuer sur le fond de sa demande d’asile – ne l’a toujours pas convoquée à une audition, ni délivré son permis N qui faciliterait les démarches en vue de son mariage civil.
Questions soulevées
N’est-il pas vain et disproportionné d’essayer à tout prix de renvoyer une personne qui pourra vraisemblablement prétendre à un futur regroupement familial – et qui n’a jamais recouru à l’assistance publique ?
Au nom de quel intérêt peut-on justifier la détention d’une femme enceinte, qui plus est après la perte de son enfant ? Une telle pratique ne constitue-t-elle pas un traitement inhumain au sens de l’art. 3 CEDH ?
Chronologie
2012 : demande d’asile (nov.)
2013 : décision de l’ODM de NEM Dublin (janv.) ; notification de la décision et mise en détention (avril) ; recours au TAF (avril) ; interruption de grossesse puis libération de « Soraya » (mai) ; arrêt du TAF (sept.)
Description du cas
Après avoir fui son pays, l’Érythrée, « Soraya » demande l’asile en Suède en 2009. Sa requête est rejetée et son expulsion prononcée. En décembre 2011, elle épouse religieusement en Suède un réfugié reconnu résidant en Suisse. En novembre 2012, désireuse de vivre auprès de son époux, « Soraya » le rejoint en Suisse et y dépose une demande d’asile. Depuis lors, elle entreprend des démarches afin d’obtenir les documents nécessaires à la célébration de leur mariage civil en Suisse.
En janvier 2013, l’ODM, conformément au règlement Dublin II, rend une décision de non-entrée en matière et prononce le transfert de « Soraya » vers la Suède. Cependant, cette décision n’est notifiée à « Soraya » qu’en avril 2013. Elle est immédiatement placée en détention en vue de son transfert, alors qu’elle dispose encore d’un délai de cinq jours pour faire recours. Le même jour, « Soraya » apprend qu’elle est enceinte. Elle formule un recours contre la décision de l’ODM auprès du TAF, arguant qu’elle se trouve en Suède sous le coup d’une décision de renvoi et qu’elle attend un enfant de son époux établi en Suisse. Le TAF suspend le transfert de « Soraya », le temps de statuer sur son recours, et demande à l’ODM de se prononcer à ce sujet et se procurer des informations sur l’issue de sa procédure d’asile en Suède.
Par ailleurs, la mandataire de « Soraya » demande sa libération auprès des autorités cantonales mais celle-ci lui est refusée au motif que la suspension du transfert ne sera que de courte durée, le TAF allant statuer rapidement. Selon l’administration et les juges cantonaux, « Soraya », pourtant enceinte et mariée à un réfugié statutaire, détenteur d’un permis C et financièrement autonome, est soupçonnée de vouloir s’enfuir pour se soustraire à la décision des autorités.
En mai 2013, « Soraya » voit son état de santé se dégrader en détention. Elle est hospitalisée et contrainte d’interrompre sa grossesse, son enfant ne donnant plus signe de vie. Le jour-même de cette intervention médicale tragique, « Soraya » est renvoyée en prison. Cependant, le lendemain sa libération est ordonnée au motif que le principe de proportionnalité n’est plus respecté, l’ODM ayant demandé un délai supplémentaire au TAF pour se déterminer sur le recours. Pas un mot des problèmes médicaux rencontrés par « Soraya » durant sa détention ni sur l’interruption de grossesse qui en a découlé ne figure dans cette décision du Tribunal cantonal.
Dans le cadre du recours au TAF, la mandataire soutient que « Soraya » « n’a bénéficié, durant son séjour en prison, d’aucun soutien et suivi psychologiques nécessaires à son état de santé et la détérioration de celle-ci du fait de la privation de liberté malgré l’obligation de l’État de prodiguer les soins nécessaires aux personnes sous son contrôle ». Elle souligne alors son besoin d’un soutien psychologique.
Dans sa décision de septembre 2013, le TAF rappelle que la clause de souveraineté de l’accord de Dublin prévoit que chaque État membre puisse examiner une demande d’asile qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas a priori car cette personne aurait déposé au préalable une demande auprès d’un autre État membre. En outre, le fait que « Soraya » n’ait reçu la notification de la décision de transfert que trois mois plus tard lui a permis de vivre avec son compagnon et de concevoir un enfant avec celui-ci, établissant ainsi une relation effective et durable. Enfin, la Suède ayant considéré que « Soraya » était née au Soudan et ayant décidé de l’expulser vers ce pays, le TAF affirme qu’il s’impose de faire application de la clause de souveraineté car des raisons humanitaires s’opposent à l’interruption du suivi médical en cours et à une séparation d’avec son compagnon. Par conséquent, le transfert est annulé et l’examen de sa demande d’asile revient désormais à l’ODM. Depuis la décision du TAF de septembre 2013, « Soraya » attend toujours d’être convoquée à une audition par l’ODM afin d’exposer ses motifs d’asile, et obtenir ainsi enfin une réponse à sa demande. L’ODM tarde également à délivrer son permis N, ce qui peut faire obstacle à sa procédure de mariage civil en cours.
Signalé par : CSI-Valais – mai 2014
Sources : rapports médicaux (28.05.13, 27.06.13, 29.08.13) ; arrêt du TAF (23.09.13) ; courriers de la mandataire (31.05.13, 05.07.13).