Deux adolescentes brésiliennes renvoyées
dans une favela loin de leur mère
« Joana » et « Geisa » vivent clandestinement en Suisse depuis 2008, avec leur mère titulaire d’un permis par mariage. Mais leur demande de regroupement familial est refusée en 2009 et les deux jeunes filles, qui ont alors 12 et 14 ans, seront renvoyées dans leur favela, même si on explique qu’elles y seront délaissées.
Personne(s) concernée(s) : « Joana », née en 1996, « Geisa », née en 1998, et leur mère
Statut : sans-papiers -> regroupement familial refusé
Résumé du cas
« Joana » et « Geisa » arrivent en Suisse en 2008 avec leur mère. Celle-ci, après avoir eu ses deux filles hors mariage, a épousé un citoyen suisse en 2003 et est titulaire d’une autorisation de séjour. En 2009, l’autorité cantonale refuse le regroupement familial : les époux dépendent de l’aide sociale (art. 44 let. c LEtr) et font l’objet d’une procédure pénale pour infraction grave à la Loi sur les stupéfiants. En outre, les filles risquent de subir « un déracinement socioculturel assorti de difficultés linguistiques ». Enfin, l’autorité estime que la mère n’a pas maintenu de relations étroites avec ses enfants depuis son arrivée en Suisse en 2002. Un recours est déposé contre cette décision : la mère a en fait vécu au Brésil avec ses deux filles entre 2003 et 2005, et les deux filles ne manifestent aucune envie de rentrer au Brésil où tant leurs pères que leur grand-mère ne peuvent ni ne veulent plus s’occuper d’elles. La situation des deux filles serait donc grave en cas de retour au Brésil, dans une favela où règnent la précarité, le crime et la violence. Le Conseiller d’Etat rejette ce recours, jugeant que le regroupement familial est contraire au bien-être des jeunes filles, étant donné le déracinement qu’il impliquerait pour elles, la dépendance à l’aide sociale ainsi que les antécédents judiciaires des époux. Le retour dans une favela ne constitue pas une mise en danger concrète des jeunes filles de 13 et 15 ans au point qu’il faille déclarer le renvoi inexigible. Enfin, le Conseiller d’Etat estime que le réseau familial existant outre-Atlantique (grand-mère, tante maternelle, cousin-e-s) suffit. Un ultime recours déposé hors délai est jugé irrecevable en juillet 2010 par le Tribunal administratif du canton.
Questions soulevées
Peut-on vraiment dire qu’il est dans l’intérêt de « Joana » et de « Geisa » d’être renvoyées dans une favela loin de leur mère ?
En matière de regroupement familial, la condition de l’indépendance financière pour les personnes autorisées à séjourner en Suisse ne devrait-elle pas pouvoir être nuancée en présence d’un enjeu humain aussi flagrant?
Chronologie
2003 : mariage de la mère (24 avril) ; arrivée en Suisse (9 mai)
2003 – 2005 : séjour au Brésil auprès de ses deux filles
2008 : voyage au Brésil (mars) ; arrivée des deux filles (19 mars) ; demande de regroupement familial (22 mai)
2009 : condamnations pénales (20 janvier) ; rejet de la demande par le canton (19 mars) ; recours (15 avril)
2010 : rejet du recours (31 mars) ; recours devant le TA (25 mai) ; irrecevabilité du recours (8 juillet)
Description du cas
« Joana » et « Geisa » arrivent en 2008 en Suisse avec leur mère. Celle-ci, après avoir eu ses deux filles hors mariage, s’est mariée avec un citoyen suisse en 2003 et bénéficie depuis lors d’une autorisation de séjour. Une demande d’autorisation de séjour est déposée pour les deux jeunes filles en mai 2008, au nom du regroupement familial. En janvier 2009, le couple est condamné pour des infractions à la Loi sur les stupéfiants. La peine du mari suisse est lourde : un an ferme et deux ans avec sursis. Son épouse, seule directement concernée par la demande de regroupement, n’écope que d’une peine modeste de 120 jours-amende avec sursis et une amende de 300 francs. Le 19 mars 2009, l’autorité cantonale (le SMIG) refuse le regroupement familial pour les deux filles, alors âgées de 12 et 14 ans, et prononce leur renvoi. Le SMIG commence par rappeler que les titulaires d’une autorisation de séjour ne peuvent se prévaloir d’aucun droit au regroupement familial. Ensuite, la dépendance des époux à l’aide sociale depuis 2007 est contraire à la condition fixée à l’art. 44 let. c LEtr. De plus, concernant les condamnations des époux, le SMIG relève qu’« une telle situation et un tel comportement ne peuvent en aucun cas être favorables au bien-être de jeunes enfants ». Il insiste par ailleurs sur le fait que vivre en Suisse impliquerait pour les deux sœurs « un déracinement socioculturel assorti de difficultés linguistiques ». Enfin le SMIG constate que la mère a attendu près de six ans depuis son arrivée en Suisse avant de faire venir ses filles et doute du lien prépondérant entre la mère et ses filles par rapport à d’autres attaches familiales au Brésil.
Un recours est déposé contre cette décision auprès du Département de l’économie. Celui-ci met en avant les efforts des époux pour trouver un emploi (le mari travaille déjà dans le cadre d’un programme d’insertion). Il précise que le père de « Geisa » est mort, tandis que celui de « Joana » ne souhaite plus s’occuper de sa fille. Dans ce contexte, c’est bien la mère qui a un lien prépondérant avec ses filles puisque, d’une part, elle était auprès d’elles de 2003 à 2005 au Brésil et, d’autre part, elle a fait le maximum pour garder un lien à distance lorsqu’elle en était séparée. Ensuite, le recours indique que les deux filles ne manifestent aucune envie de retourner au Brésil et se sentent déjà intégrées en Suisse. Enfin, quelle solution existe-t-il pour elles au Brésil ? Dans leur favela où règnent la précarité, le crime et la violence, elles affirment n’avoir plus personne pour s’occuper d’elles.
En mars 2010, le Département de l’économie rejette le recours, alors que la mère exerce désormais une activité lucrative et qu’aucun nouveau délit n’est reproché au couple, faits qui étaient nécessairement connus de l’autorité. Cette nouvelle décision maintient que le couple ne remplit pas la condition d’indépendance financière fixée à l’art. 44 let. c LEtr. « Même si la famille était indépendante financièrement, l’octroi des autorisations de séjour aurait pu être refusé en raisons des condamnations pénales » poursuit l’autorité de recours. Quand au renvoi, il demeure exigible, même si la situation des enfants dans une favela n’est pas contestée. En effet, cette situation « ne suffit toutefois pas à faire apparaître une mise en danger concrète des filles (…) en cas de retour au Brésil. ». L’autorité de recours ne croit d’ailleurs pas à l’absence de réseau familial pour entourer les jeunes filles, qui ont encore leur grand-mère, leur tante maternelle, leur arrière-grand-mère, « sans parler d’éventuel(le)s cousin(e)s ».
Un nouveau recours est adressé au Tribunal administratif cantonal. Mais celui-ci, tardif, sera déclaré irrecevable au mois de juillet 2010. Le renvoi des jeunes filles devient donc imminent.
Signalé par : correspondant du canton de Neuchâtel, mars 2011.
Sources : décision SMIG (19.03.09) ; recours devant le Département de l’économie (15.04.09) ; rejet du recours (31.03.10) ; nouveau recours (22.05.10) ; décision d’irrecevabilité (08.07.10).