Un compromis pour la mise en œuvre de l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers
Le 16 mars 2015, l’Assemblée fédérale est finalement tombée d’accord sur un texte de loi d’application de l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers. Bien que cette initiative ait été adoptée par le peuple en juin 2010, l’élaboration du texte de mise en œuvre s’est avérée longue et laborieuse.
Deux éléments ont rendu le consensus au sein du Parlement particulièrement difficile. Premièrement, en suggérant un automatisme dans l’expulsion des criminels étrangers, l’initiative s’opposait au principe de proportionnalité (art. 5 Cst.) et pouvait aussi empiéter sur le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 13 Cst et art. 8 CEDH). Le Tribunal fédéral avait par ailleurs souligné ces contradictions dans un arrêt de principe (voire la brève du 13 mars 2013). Deuxièmement, l’UDC a déposé une deuxième initiative « pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en œuvre) » fin 2012, soit deux ans après que la première ait été adoptée par le peuple. Bien que cette deuxième initiative n’ait pas encore été soumise à votation, elle a néanmoins exercé une pression sur le législateur. En effet, le 20 mars 2014, le Conseil national avait décidé, dans un premier temps, de traduire l’initiative dite « de mise en œuvre » dans l’application de l’initiative initiale, avant de revenir en arrière le 11 mars 2015, sous l’impulsion du Conseil des États. Le Conseil national allait ainsi à l’encontre de la « voie médiane » proposée par le Conseil fédéral (voire la brève du 1er juillet 2013).
Le texte d’application finalement adopté représente un compromis. Afin de remédier aux conflits avec le principe de proportionnalité et les normes internationales, une clause de rigueur a été introduite (nouvel art. 66a al. 2 du Code pénal). Celle-ci laisse au juge une certaine marge de manœuvre, lui permettant de renoncer exceptionnellement à une expulsion. Cette disposition vise particulièrement à tenir compte de la situation des étrangers qui sont nés et ont grandi en Suisse. En contrepartie, la liste des infractions devant être suivies d’une expulsion est bien plus longue que celle contenue dans la première initiative. De plus, le juge pourra expulser du territoire, pour une durée de 3 à 15 ans, un étranger ayant été condamné pour un crime ou un délit, quel qu’il soit (nouvel art. 66abis du Code pénal). Cette notion d’« expulsions non-obligatoires » demeure assez vague puisque les « expulsions obligatoires » comportent une clause de rigueur.
Malgré le compromis, la nouvelle loi entraînera un durcissement massif des pratiques selon la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga (« Der Vorschlag des Ständerates bedeutet eine massive Verschärfung der Ausschaffungspraxis gegenüber heute » – voir bulletin officiel, Conseil national, 11.03.15). Or, déjà sous le droit actuel, la Suisse s’expose régulièrement à des condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme (voir nos brèves du 24 avril 2013, du 12 octobre 2011, et plus récemment la brève du 8 juillet 2014). Le cas d’Aboubacar qui a finalement obtenu un permis de séjour pour vivre auprès de sa femme et de ses jeunes enfants souligne l’importance de faire une pesée des intérêts dans de tels cas.
Assemblée fédérale, Curia Vista – Note de synthèse, 13.056 – Renvoi des étrangers criminels
Assemblée fédérale, Projet de la Commission de rédaction pour le vote final, le 20 mars 2015
Bulletin officiel du Conseil national – Session de printemps 2015 – Huitième séance – 11.03.15-08h00 sur le renvoi des étrangers criminels