Victime de mariage forcé et de traite, elle est menacée de renvoi
Mariée de force à 15 ans, Albina* subit des violences conjugales répétées. Elle donne naissance à une fille en 2007. En 2013, elle est séquestrée en Grèce et contrainte à se prostituer. Elle parvient à divorcer en 2014. En janvier 2017, elle arrive en Suisse où elle débute une relation avec Mustafa*, qui devient vite marquée par des violences physiques. En décembre 2018, après une violente agression, elle parvient à alerter la police. Mustafa* est expulsé du domicile. Albina* est prise en charge dans un foyer pour victimes de violences conjugales. En septembre 2019, Mustafa* est condamné pour lésions corporelles et injures et Albina* pour séjour illégal et activité lucrative sans autorisation.
Personne concernée (*Prénom fictif): Albina*
Origine: Albanie
Statut: aucun
Chronologie
2017 : arrivée en Suisse (jan.) ; rencontre avec Mustafa* et début des violences physiques
2018 : demande d’autorisation de séjour au titre de regroupement familial (sept.) ; intervention de la police pour violences conjugales (déc.)
2019 : se réfugie dans un foyer pour femmes (jan.) ; audience au tribunal d’arrondissement pour violences et séjour illégal (fév.) ; SPOP annonce son intention refuser l’autorisation de séjour (avr.) ; contestation de la décision (mai) ; condamnation de Mustafa*, condamnation d’Albina* pour séjour illégal
Questions soulevées
- Comment, dans les circonstances dans lesquelles se trouve Albina*, la justice peut-elle condamner pour séjour illégal, alors qu’il est reconnu qu’elle était dans une situation d’emprise l’empêchant d’entamer toute démarche pour régulariser sa situation ?
- Comment se fait-il que Mustafa*, condamné pour lésions corporelles et menaces, écope d’une peine quasiment similaire à Albina* qui a pour leur tort de résider en Suisse sans statut de séjour ? Cela ne revient-il pas à considérer ces deux infractions comme étant de même gravité ?
Description du cas
Albina*, née en 1989 en Albanie, grandit dans une famille conservatrice et pratiquant la tradition de l’honneur, «le Kanun». Elle est mariée de force à l’âge de quinze ans à un homme plus âgé et subit des violences conjugales. Albina* tente plusieurs fois de chercher de l’aide auprès de sa famille, mais subit les coups de la part de son père qui la somme de retourner auprès de son mari. En novembre 2007, elle donne naissance à une fille. En 2013, Albina*, désespérée, rencontre des hommes qui lui proposent un travail en Allemagne. Au lieu de cela, Albina* est séquestrée et emmenée en Grèce, puis obligée de se prostituer. Elle réussit à s’échapper et rencontre une femme albanaise qui la loge chez elle pendant quatre mois. Depuis la Grèce, elle trouve un avocat et demande le divorce, prononcé en 2014. Albina* obtient la garde de sa fille mais son ex-mari refuse de la laisser partir.
Son amie à Athènes lui présente un homme qui lui propose rapidement de se marier. Le mariage est célébré en décembre 2015. Après un an de vie commune, Albina* se sent délaissée et décide de retourner en Albanie, où elle commence à travailler dans un restaurant. Un jour, alors qu’elle travaille, elle aperçoit deux voitures qui l’attendent et reconnaît les hommes qui l’avaient séquestrée. Elle s’enfuit et retourne chez son amie à Athènes. Elle y rencontre, virtuellement, une amie de cette dernière qui lui donne les coordonnées d’un homme qui pourrait lui donner du travail en Suisse.
En janvier 2017, elle arrive en Suisse. Mustapha*, l’homme qui lui a promis du travail, l’amène dans un appartement à Lausanne dans lequel vingt personnes vivent dans un trois pièce, qu’Albina* décrit comme insalubre. Elle commence à travailler tous les jours de la semaine dans un club en tant que danseuse folklorique pour un salaire de 700 CHF par mois. Après une dizaine de jours dans l’appartement, Albina* exprime son refus de rester. Mustafa* lui propose alors de l’héberger. Elle accepte. Initialement leur relation est platonique, jusqu’à ce qu’un soir, alors qu’elle a été poussée à la consommation d’alcool, elle se retrouve au lit avec Mustafa*. Après des promesses de sa part, ils entament une relation amoureuse. Elle a dès lors l’interdiction de travailler comme danseuse au club. En automne 2017, Albina* découvre qu’elle est enceinte. Mustafa* commence à la frapper et à l’insulter violemment. Albina* mentionne avoir été enfermée à plusieurs reprises, menacée et rabaissée. Mustafa* aurait insisté pour qu’elle avorte. Néanmoins, le fils d’Albina* naît en juin 2018. En septembre 2018, Mustafa* rédige une demande de régularisation de séjour pour sa compagne. Iels se rendent au contrôle des habitant·es afin d’inscrire Albina* pour obtenir le regroupement familial.
En décembre 2018, après une scène de violences particulièrement grave, Albina* appelle la police. Suite à l’intervention de la police, Mustafa* est expulsé du domicile. L’expulsion est confirmée par le Tribunal d’arrondissement de Lausanne. Un constat de coups et blessures avec photos est établi par l’Unité de médecine des violences du CHUV peu après. Albina* est reconnue victime au sens de la Loi sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI). Dès janvier 2019, Albina* est accueille dans un centre d’hébergement destiné aux femmes victimes de violences conjugales. En février 2019 se déroule une audience du Tribunal cantonal au cours de laquelle Mustafa* est mis en cause pour les violences infligées à Albina*, et cette dernière est entendu en qualité de témoin mais aussi comme prévenue en raison de son absence d’autorisation de séjour. En avril 2019, le Service cantonal de la population (SPOP) annonce son intention de refuser d’octroyer une autorisation de séjour à Albina* ainsi qu’à son fils. Albina* conteste cette décision en usant de son droit d’être entendue en mai 2019 via une mandataire. En septembre 2019, le Ministère public condamne Mustafa* à 120 jours-amende avec sursis pour lésions corporelles et injures, et Albina* à 90 jours amendes avec sursis pour séjour illégal et activité lucrative sans autorisation.
Signalé par: CSP Vaud
Sources: Courriers de la mandataire d’Albina* au SPOP, procès-verbal d’audition par le Ministère public, ordonnance pénale, attestation du centre d’hébergement pour femmes, attestation de l’Astrée.