Venues dénoncer des violences domestiques graves, elles sont traitées par la police comme des prévenues

Karen*, sa fille Claudia*, et la fille de cette dernière, ressortissantes péruviennes, vivent en Suisse sans titre de séjour valable. Depuis 2023, Claudia*, se trouve dans une relation de violences conjugales avec un homme titulaire d’un permis d’établissement (permis C). En janvier 2025, Karen* dépose une plainte pénale contre ce dernier. Bien que son avocate l’accompagne au poste de police, Karen* y est très mal reçue, les policiers l’informant qu’elle-même et sa fille Claudia* seraient convoquées par le Ministère public en raison de leur séjour illégal. En août, l’avocate dépose une demande de régularisation pour la famille, ainsi que des mesures d’éloignement et une interdiction de contact de l’ex-compagnon envers Karen*, Claudia* et sa fille. À ce jour, aucune des procédures n’a abouti à une décision.

Personne concernée (*Prénom fictif): Karen*, sa fille Claudia* et sa petite-fille

Origine: Pérou

Statut: sans-papiers

Chronologie 

2016 : arrivée en Suisse de Karen*

2019 : arrivée en Suisse de Claudia* et de sa fille

2023 : début des violences subies par Claudia*

2025 : dépôt de plainte contre Monsieur (fév.)

Questions soulevées

  • Comment est-il possible qu’une victime de violences conjugales graves doive attendre plusieurs semaines – et que son avocate doive intervenir auprès de la LAVI, de la police et du Conseil d’État, pour que sa plainte soit instruite? Comment peut-on justifier qu’une personne en détresse, victime de graves violences et venue chercher de l’aide, soit traitée comme une délinquante simplement parce qu’elle n’a pas de papiers?
  • En mettant les victimes sous pression en raison d’un séjour sans statut légal, la police ne dissuade-t-elle pas ces dernières de dénoncer de futures agressions ? Cela ne revient-il pas à permettre aux violences de perdurer? N’est-ce pas contraire aux objectifs politiques annoncés par les autorités suisses et cantonales de lutter contre les violences sexistes et sexuelles?

Description du cas

Karen* est originaire du Pérou et arrive en Suisse en 2016. Elle est rejointe en 2019 par son fils, sa fille Claudia* et sa petite-fille. Depuis 2023, Claudia*, se trouve dans une relation de violence conjugale avec un homme titulaire d’un permis d’établissement (permis C).

En janvier 2025, Karen* se rend auprès d’une mandataire car elle est inquiète pour sa fille Claudia*. Elle explique qu’un jour, Claudia* a oublié son téléphone chez elle, et qu’elle y a découvert des preuves de violences psychologiques (contrôles et menaces de violences et de mort contre Claudia* et sa fille). Karen* étant sans statut de séjour, elle ne sait pas comment aider sa fille, d’autant que celle-ci, diagnostiquée d’un problème cognitif à l’âge de 4 ans, n’aurait pas les capacités cognitives pour se sortir seule de cette situation. Le conjoint de Claudia* fait également pression sur Karen* et Claudia* en rappelant leur risque d’expulsion du territoire si elles appellent la police.

La mandataire indique à Karen* qu’une demande de permis sera faite vu la gravité de la situation et l’encourage à se rendre à la LAVI avec les preuves qu’elle détient pour déposer une plainte pénale contre le conjoint de Claudia*. Elle lui explique que toutes les trois (Karen*, Claudia* et la fille de cette dernière) ont le statut de victimes. Karen* se rend seule après de la LAVI mais cette dernière refuse d’abord de la soutenir, estimant que c’est à Claudia* de venir. La mandataire de Karen* doit insister et rappeler l’urgence de la situation pour que la LAVI entre en matière.

Lorsque Claudia* rapporte à sa mère avoir subi des agressions sexuelles par son conjoint, Karen* décide de déposer une plainte pénale contre ce dernier.  Mais, bien que l’avocate ait pris contact en amont avec la police pour les informer de la situation et qu’elle accompagne sa mandante pour le dépôt de la plainte, Karen* y est mal reçue. La police recommande à l’avocate d’informer le Ministère public du séjour illégal de ses mandantes, et informe Karen* qu’elle-même et sa fille Claudia* recevront une convocation pour une audition à ce sujet. Pour l’heure, aucune convocation n’est arrivée.

Choquée de la lenteur avec laquelle la police instruit la plainte, ce qui compromet la protection des victimes, l’avocate adresse en avril 2025 un courrier à la Conseillère d’État en charge de la police ainsi qu’à la commandante cheffe de la police pour dénoncer cette entrave à la justice. Elle y souligne que ses mandantes sont régularisables (car en Suisse depuis plus de 5 ans), dénonce une prise en charge défaillante par la police, notamment par une mise sous pression de la victime au motif qu’elle est sans papiers et rappelle que Karen* doit être entendue en tant que victime et non en qualité de prévenue.

En février, Claudia* subi à nouveau des agressions sexuelles extrêmement violentes. Elle n’appelle pas la police par peur d’une dénonciation de son compagnon et d’une expulsion. Suite à ces agressions, Claudia* découvre qu’elle est enceinte et doit entamer les démarches pour une IVG ainsi que pour traiter d’autres infections.

Une audience pénale a lieu en mai 2025. L’avocate demande d’ajouter à la procédure pénale une plainte pour séquestration de Claudia*. La procureure prononce une non entrée en matière sur la plainte déposée par Karen* en janvier 2025, au motif que les menaces de mort ne lui ont pas directement été adressées mais ont été utilisées comme moyen de contrôle coercitif pour contraindre Claudia*.

En août 2025, l’avocate dépose une demande de régularisation pour la famille, aini que des mesures d’éloignement et une interdiction de contact de l’ex-compagnon envers Karen*, Claudia* et sa fille. Karen* demande également la mise sous curatelle de Claudia* et de sa fille.

À ce jour, la situation est pendante. Ni la demande de régularisation pour Karen*, Claudia* et sa fille, ni leurs plaintes pénales n’ont été traitées. 

Signalé par: Permanences Volantes, EPER

Sources: résumé de la situation par l’EPER ; lettre de l’avocate à la suite des manquements par la police dans le traitement du dépôt de plainte

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