Une personne homosexuelle menacée de renvoi gagne à Strasbourg
Après divers refus d’asile en Suisse et un refus de regroupement familial, Banna*, homosexuel, dépose un recours auprès de la CourEDH. Cette dernière admet le recours, épingle l’évaluation insuffisante des tribunaux suisses.
Personne concernée: Banna* (prénom fictif)
Origine: Gambie
Statut: en attente d’une nouvelle décision du SEM
Résumé du cas
Banna* est né en Gambie en 1974. Durant sa jeunesse, il cache ses relations avec d’autres hommes, car l’homosexualité y est réprouvée et sanctionnée d’une peine pouvant aller jusqu’à 14 ans d’emprisonnement. En 2008, après avoir fui son pays, il dépose une demande d’asile en Suisse. Il reçoit une décision négative du SEM et il fait recours, sans succès. Il dépose encore deux demandes d’asile, une fois en 2013 et une autre fois en 2015, au motif de la dégradation des conditions de vie des personnes homosexuelles en Gambie.
Parallèlement à ses procédures d’asile, Banna* a rencontré son compagnon en Suisse en 2011, avec qui il avait contracté un partenariat enregistré en juillet 2014. Un mois plus tard, le couple avait déposé une demande de regroupement familial. En février 2015, l’Office des migrations du canton de St-Gall, où résidait la famille, avait refusé cette requête, parce que Banna* avait eu des ennuis avec la justice. Cette décision de refus de regroupement familial sera confirmée par toutes les instances de recours, y compris par le TF, en 2016.
Dans sa décision, le TF considère que l’exécution du renvoi de Suisse est exigible, estimant que Banna* peut se protéger et vivre en Gambie s’il cache son orientation sexuelle. Le couple se tourne alors vers la CourEDH pour faire valoir une violation du principe de non-refoulement (art. 3 CEDH) et de l’art. 8 CEDH qui protège le respect de la vie familiale. En décembre 2019, le partenaire de Banna* décède. La CourEDH décide donc de poursuivre uniquement l’évaluation de la violation de l’art. 3 CEDH.
En novembre 2020, la CourEDH rend un arrêt de chambre qui admet qu’il y une violation de l’art. 3 CEDH en cas de renvoi de Banna*. La Cour considère que la Suisse n’a pas correctement apprécié le risque de mauvais traitements auxquels le requérant serait exposé, du fait de son homosexualité, en cas de retour en Gambie. Elle reproche également à la Suisse de ne pas avoir suffisamment cherché à déterminer si l’Etat le protégerait contre de tels actes aux mains d’acteurs non étatiques.
Questions soulevées
- L’orientation sexuelle est un aspect fondamental de l’identité d’un être humain et la jurisprudence internationale a déjà établi qu’on ne pouvait forcer une personne à la dissimuler pour éviter des persécutions. Comment se fait-il que les autorités suisses continuent d’exiger cela et de renvoyer des personnes au péril de leur vie?
- Dans leurs décisions, les tribunaux n’estiment pas vraisemblables les preuves apportées par Banna* quant aux mauvais traitements qu’il pourrait subir en cas de retour en Gambie. Alors qu’il appartient aux autorités de déterminer la situation générale dans le pays d’origine, pourquoi se contenter d’un examen sommaire et faire incomber au requérant toute la charge de prouver les risques de persécutions des personnes homosexuelles en Gambie, pourtant attestée par de nombreuses sources?
- Est-il acceptable qu’une personne doive attendre douze ans et une décision de la CourEDH pour obtenir enfin la protection à laquelle elle a droit?
Chronologie
2008 : arrivée en Suisse et demande d’asile ; décision négative du SEM.
2013: 2ème demande d’asile (mars).
2014: rejet de la 2ème demande d’asile (fév.); partenariat enregistré (juillet) et demande de regroupement familial (août).
2015: refus de la demande de regroupement familial (fév.); 3ème demande d’asile (mai); rejet de 3ème demande d’asile (août).
2016: rejet du recours concernant le regroupement familial par le TF; dépôt d’un recours auprès de la CourEDH.
2019: décès du partenaire (déc.). 2020 : arrêt de la CourEDH (nov.).
Description du cas
Banna* est originaire de Gambie, où il est né en 1974. Pendant toute sa jeunesse, il cache ses relations avec d’autres hommes, car l’homosexualité y est réprouvée et sanctionnée jusqu’à 14 ans d’emprisonnement. En 2008, il dépose une demande d’asile en Suisse, après avoir fui la Gambie, suite à son arrestation dans un hôtel avec un partenaire.
Déposée sur la base de son passeport malien (il est binational), sa demande d’asile est rejetée par le SEM. En mars 2013, Banna* dépose une nouvelle demande d’asile, usant cette fois de sa nationalité gambienne. Il justifie cette seconde demande par son orientation sexuelle et la discrimination subie par les personnes homosexuelles en Gambie. Le SEM rejette sa demande d’asile en février 2014. Peu après, le TAF confirme cette décision : il juge les allégations de mauvais traitement invraisemblables et reproche à Banna* de ne pas avoir démontré un véritable risque de persécution lié à son orientation sexuelle. Banna* dépose une troisième demande d’asile en mai 2015, au motif de la dégradation des conditions de vie des personnes homosexuelles en Gambie. La demande est à nouveau rejetée.
Parallèlement, Banna* avait rencontré son compagnon en Suisse en 2011, avec qui il a contracté un partenariat enregistré en juillet 2014. En août 2014, le couple avait déposé une demande de regroupement familial. En février 2015, l’Office des migrations du canton de St-Gall, où résidait la famille, avait refusé cette requête, parce que Banna* avait eu des ennuis avec la justice. Cette décision de refus sera confirmée par les instances de recours successives, y compris par le TF, en 2016.
Dans cette décision, le TF considère que l’exécution du renvoi est exigible. Les juges estiment que le recourant peut se protéger et vivre en Gambie en cachant son orientation sexuelle. Le couple se tourne vers la CourEDH pour faire valoir une violation de l’art. 3 CEDH, protégeant le non-refoulement, mais aussi de l’art. 8 CEDH qui concerne le respect de la vie familiale. En décembre 2019, alors que le partenaire de Banna* décède, la CourEDH décide de poursuivre uniquement l’évaluation de l’art. 3 CEDH. En novembre 2020, la CourEDH rend un arrêt de chambre qui admet qu’il y a violation de l’art. 3 CEDH en cas de renvoi de Banna* en Gambie. Pour les juges, tout renvoi vers la Gambie ne viole pas systématiquement la CEDH, et l’analyse doit donc porter sur la situation personnelle du requérant. La Cour rappelle que l’orientation sexuelle d’une personne constitue un élément essentiel de son identité et que personne ne devrait se voir contraint à la dissimuler pour éviter des répercussions. Dans le cas de Banna*, elle juge que l’orientation sexuelle du requérant pourrait être découverte s’il venait à être renvoyé, bien que les autorités suisses aient affirmé le contraire. La Cour considère que la Suisse n’a pas apprécié correctement le risque de mauvais traitements auquel Banna* serait exposé. Elle estime également que la Suisse n’a pas suffisamment cherché à déterminer si l’Etat gambien le protégerait contre de tels actes aux mains d’acteurs non étatiques, épinglant ainsi l’évaluation insuffisante des tribunaux suisses.
Signalé par: OSAR – janvier 2021
Sources: arrêt du TAF du 16 novembre 2016 (E-5742/2015), arrêt du TF du 5 juillet 2018 (2C_30/2018), CourEDH affaire B et C c. Suisse n° 889/19 et 43987/16, Asyl n°1/2021