Une enfant mineure interdite de vivre avec ses parents, au motif que sa demande est trop tardive
Adelina* naît en 2005 au Kosovo. Elle y grandit avec sa mère jusqu’en 2018, année où celle-ci décide de rejoindre son mari en Suisse. Une année plus tard, Adelina* dépose une demande de regroupement familial auprès des autorités suisses. Elle a alors 14 ans. Mais le SEM puis le TAF refusent l’autorisation de séjour en faveur d’Adelina* au motif que sa demande a été déposée hors du délai légal, lequel est de 12 mois pour les enfants âgés de plus de douze ans. Malgré les changements de prise en charge d’Adelina au Kosovo, les autorités estiment qu’il ne s’agit pas de « raisons familiales majeures » suffisantes pour accorder le regroupement familial tardif, comme cela est pourtant rendu possible par la loi.
Personne concernée (*Prénom fictif): Adelina*
Origine : Kosovo
Statut : sans autorisation de séjour
Chronologie
2013 : autorisation de séjour du père d’Adelina*
2015 : reconnaissance de paternité d’Adelina*
2019 : demande de regroupement familial (juillet)
2020 : accord du SPOP pour le regroupement familial (sept.)
2021 : refus du SEM (janvier), recours auprès du TAF (février)
2022 : rejet du recours par le TAF (sept.), recours auprès du TF (oct.)
2023 : rejet du recours par le TF (février)
Questions soulevées
- Comment est-ce possible qu’une raison purement procédurière (le respect d’un délai) puisse primer sur l’intérêt supérieur de l’enfant à vivre avec ses parents? Cela n’est-il pas une violation flagrante de la Convention relative aux droits de l’enfant et du droit fondamental à la vie familiale?
- La loi prévoit que si le délai pour demander le regroupement familial est dépassé, celui-ci peut tout-de-même être accordé pour des “raisons familiales majeures”. Comment se fait-il que la situation d’une enfant, restée seule chez sa grand-mère trop malade pour s’occuper d’elle, ne soit pas considérée comme une raison suffisante?
Description du cas
Adelina*, née en 2005, est originaire du Kosovo. En juillet 2019, elle dépose une demande de regroupement familial pour rejoindre ses parents en Suisse, qui sont au bénéfice d’autorisations d’établissement et de séjour: respectivement depuis 2013 pour son père, qui l’a reconnue en février 2015, et février 2018 pour sa mère. Cette dernière a quitté son pays en laissant Adelina* à la charge de sa grand-mère paternelle, dont la santé se détériore. En août 2020, le Service de la population du canton de Vaud se déclare favorable à l’octroi d’une autorisation de séjour, sous réserve de l’approbation du SEM.
En janvier 2021, le SEM refuse l’autorisation de séjour à Adelina* au motif que sa demande est hors délai et qu’il n’y aurait pas de raisons familiales majeures susceptibles de justifier le regroupement familial. Le SEM reconnait que les problèmes de santé de la grand-mère sont de nature à rendre plus difficile la prise en charge d’Adelina*, mais soutient que cela ne l’exclut pas totalement. En février 2021, Adelina*, avec l’aide d’un avocat, interjette un recours contre cette décision auprès du TAF, arguant que le refus de regroupement familial serait contraire à l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) pour l’unique motif d’une demande déposée hors délai, et conclut principalement à l’annulation de la décision attaquée.
Sans autorisation, Adelina* arrive néanmoins en Suisse en août 2022. En septembre, le TAF rejette son recours (F-822/2021), sur les mêmes motifs que ceux invoqués par le SEM. Adelina* et ses parents déposent en octobre 2022 un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral (TF), demandant l’annulation des précédentes décisions, l’approbation du regroupement familial et la délivrance d’une autorisation de séjour pour Adelina*. En octobre 2022, le SEM prononce une décision de renvoi de Suisse d’Adelina, mais un arrêt du TAF annule cette décision en décembre de la même année. Le SEM suspend donc la cause dans l’attente de l’issue de la procédure au TF.
En février 2023, le TF rend son verdict (2C 882/2022) qui confirme les arguments du TAF. Il rappelle que le délai pour déposer une demande de regroupement familial pour un∙e enfant âgé∙e de plus de 12 ans est de 12 mois (art. 47 LEI). Ce délai ayant commencé à courir dès que le père d’Adelina* a reçu son autorisation de séjour ou dès l’établissement du lien familial. Le délai est donc arrivé à échéance en décembre 2018 : la demande de regroupement familial est ainsi tardive. Le TF décrète en outre que le dépassement du délai par l’un des parents est opposable également au second : il ne recommence donc pas à l’arrivée en Suisse de la mère d’Adelina*.
Dans ce cas, un regroupement familial différé n’est autorisé que pour des raisons familiales majeures. Que le père n’ait pas réussi dans les délais à remplir les conditions financières exigées pour un regroupement familial n’est pas considéré comme une raison majeure. Le TF estime, comme le TAF, que la prise en charge d’Adelina dans son pays d’origine demeure garantie par la présence de sa grand-mère paternelle, même si elle est dorénavant atteinte dans sa santé, d’autant plus que les parents d’Adelina* peuvent l’aider financièrement. Il reproche aux parents de ne pas avoir démontré pourquoi d’autres membres de la famille ne pourraient pas prendre Adelina* en charge. Le TF estime que les délais prévus par l’art. 47 LEI sont compatibles avec l’art. 8 CEDH de sorte que les arguments des recourants tombent à l’eau. Finalement, le TF estime que le refus de regroupement familial n’est pas contraire au principe de proportionnalité et qu’aucune raison familiale majeure ne justifie de donner une suite favorable à la demande de la famille. Le TF rejette donc le recours d’Adelina* et sa famille.
Signalé par: Centre de Contact Suisse Immigrés (CCSI) Genève
Sources: ATAF (F-822/2021) ; Arrêt du Tribunal fédéral (2C 882/2022)