Un paraplégique et sa mère seront renvoyés
sans égard aux avis médicaux

« Meliha » et son fils « Fadil » déposent en 2011 une demande d’asile en Suisse. Ils invoquent d’emblée la paraplégie de « Fadil » et les difficultés qu’a sa mère, à la santé fragile et avec peu de ressources, de le prendre en charge seule. Pourtant, aucun des certificats médicaux établis en Suisse ne fera changer d’avis l’ODM et le TAF quant à l’exigibilité de leur renvoi.

Personne(s) concernée(s) : « Meliha » née en 1952 et « Fadil » né en 1990

Statut : demande d’asile rejetée par NEM -> réexamen refusé

Résumé du cas

« Meliha », accompagnée de son fils « Fadil », atteint de paraplégie, a 59 ans lorsqu’elle dépose en 2011 une demande d’asile en Suisse. Leur pays, la Macédoine, étant considéré comme sûr, l’ODM n’entre pas en matière (NEM État tiers sûr). L’Office estime par ailleurs que, malgré le sérieux handicap de « Fadil » et la difficulté invoquée par sa mère, veuve, sans moyens financiers et atteinte d’hypertension, d’assurer seule sa prise en charge, leur renvoi peut être exécuté. Selon l’ODM, aucune preuve n’est apportée quant aux difficultés socioéconomiques et aux problèmes de santé invoqués par « Meliha ». Saisi d’un recours soutenant que l’exécution du renvoi n’est pas exigible, le TAF confirme la décision de l’ODM. Quelques mois plus tard, mère et fils déposent une demande de réexamen auprès de l’ODM, sur la base de nouveaux certificats médicaux établis en Suisse, qui attestent de la complexité des soins nécessaires à « Fadil », ainsi que de l’insuffisance de ceux dont il a pu bénéficier dans son pays. L’ODM estime cependant que ces éléments ne constituent pas des faits nouveaux déterminants et rejette la demande. Le rejet est confirmé par le TAF, malgré l’existence d’un nouveau diagnostic concernant « Meliha ». Outre son hypertension, elle est atteinte d’hyperthyroïdie, de dépression et d’un problème cardiovasculaire pour lequel l’absence de suivi peut « menacer très sérieusement le pronostic vital ». Avec l’appui de leur mandataire, « Meliha » et « Fadil » introduisent devant le TAF une demande en révision de son arrêt. Ils présentent notamment un nouveau rapport médical indiquant la probabilité que « Fadil » doive subir une importante intervention. Pourtant, selon le TAF aucun de ces éléments n’est nouveau ou déterminant et la demande n’aurait pour but que de retarder leur renvoi. Des frais de procédure majorés sont mis à la charge de la mandataire.

Questions soulevées

Les certificats médicaux suisses attestent clairement de l’inadéquation des soins octroyés à « Fadil » en Macédoine, de la complexité de la nouvelle intervention chirurgicale qu’il devrait subir, ainsi que des sérieux problèmes de santé de sa mère dont il dépend. Partant, n’auraient-ils pas dû constituer des éléments nouveaux importants pour les autorités ?

Vu le court délai pour recourir contre une décision de non-entrée en matière – 5 jours – comment comprendre qu’on écarte si vite par la suite de nouvelles preuves concernant des faits médicaux de cette nature avant de confirmer une décision de renvoi ?

Chronologie

2011 : dépôt de la demande d’asile (mai) ; NEM et décision de renvoi (juillet) ; recours devant le TAF (juillet) ; arrêts du TAF (août) ; demande de reconsidération (nov.) ; nouvelle décision ODM (déc.)

2012 : nouveau recours au TAF (jan.) ; rejet du TAF (avril) ; demande de révision (mai) ; rejet du TAF (juin)

Description du cas

En mai 2011, « Meliha », macédonienne d’ethnie albanaise, et son fils « Fadil », atteint de paraplégie, déposent une demande d’asile en Suisse. Lors de l’audition, ils invoquent les sérieux problèmes de santé de « Fadil », certificats médicaux à l’appui, et le fait que sa prise en charge repose sur sa mère, âgée de 59 ans, veuve et atteinte d’hypertension et de douleurs dorsales. Ils allèguent aussi d’importantes difficultés socioéconomiques limitant l’accès aux soins en Macédoine. Ce pays étant considéré comme sûr par la Suisse, l’ODM n’entre pas en matière sur la demande d’asile. Concernant la nécessité médicale, l’ODM estime que les interventions qu’a subies « Fadil » démontrent que des soins existent dans son pays et conclut qu’aucun motif ne s’oppose au renvoi, « Meliha » n’ayant pas apporté la preuve de la gravité de ses propres problèmes de santé ni de la probable expropriation de leur maison suite au décès de son mari. « Meliha » et « Fadil » font recours : ils soutiennent que l’exécution de leur renvoi est inexigible, vu la gravité de leur situation médicale et socioéconomique. Sans ordonner à l’ODM de plus amples investigations, le TAF confirme la décision de l’Office en soulignant qu’aucune preuve n’a été apportée quant au décès de l’époux de « Meliha » ou au sujet de l’aide sociale très modeste qui serait sa seule source de revenu en Macédoine.

En novembre 2011, avec l’aide d’une mandataire, « Meliha » et « Fadil » demandent à l’ODM de reconsidérer la décision de renvoi. Ils apportent de nouveaux certificats médicaux attestant de l’insuffisance des soins dont a pu et pourrait bénéficier « Fadil » dans son pays. Les médecins estiment qu’il nécessite « une prise en charge multidisciplinaire et complexe » qui « s’avère compliquée même en Suisse », d’où leur doute quant à sa possibilité de se faire soigner correctement en Macédoine. Un spécialiste conclut même qu’une des interventions qu’a subies « Fadil » dans son pays a été un échec, et que sa prise en charge par la suite a entraîné d’autres complications (ulcères, cicatrices peu stables). Pourtant, l’ODM maintient que ces certificats ne constituent pas de faits nouveaux importants au titre de l’art. 66 PA, et confirme la décision de renvoi.

En janvier 2012, leur mandataire saisit le TAF. Un nouveau certificat médical atteste que « Meliha » « n’a jamais bénéficié d’un bilan correct, alors qu’elle présente plusieurs problèmes de santé sévères », à savoir une hypertension, une hyperthyroïdie et une dépression. Alors que des investigations médicales sont encore en cours, les médecins estiment qu’en l’absence d’une prise en charge adéquate, elle « s’expose à des complications cardio-vasculaires pouvant menacer très sérieusement le pronostic vital ». Ils rappellent par ailleurs que le manque d’autonomie de « Fadil » est dû aux insuffisances de sa prise en charge en Macédoine, et que sa dépendance à l’égard de sa mère représente pour elle une charge de plus en plus lourde. Cependant, le TAF considère tout comme l’ODM que les certificats fournis lors de la demande de réexamen n’étaient ni des faits nouveaux ni des faits déterminants. Par ailleurs, le Tribunal estime que le nouveau certificat produit constitue une preuve tardive. Le TAF confirme enfin l’évaluation de l’ODM quant à l’accessibilité des soins en Macédoine, et rejette le recours.

En mai 2012, leur mandataire dépose une demande de révision de l’arrêt en produisant de nouveaux certificats médicaux. L’un d’eux précise que « Meliha » est atteinte d’une obstruction broncho-pulmonaire nécessitant un traitement et que ses différentes pathologies n’ont « jamais été investiguées ni traitées correctement dans son pays ». Un autre certificat fait état du besoin qu’aurait « Fadil » de subir une intervention chirurgicale « d’une haute technicité » afin de favoriser « sa survie », faute d’avoir été correctement soigné en Macédoine. Le TAF estime qu’aucun de ces nouveaux éléments n’est déterminant et que la demande de révision « ne vise pas la sauvegarde d’intérêts dignes de protection, mais poursuit d’autres buts comme par exemple un gain de temps ». Le Tribunal décide de mettre à la charge de la mandataire des frais de procédure majorés, car elle aurait entraîné ses mandants « dans une démarche totalement inutile et de surcroît dilatoire ».

Signalé par : Elisa – Asile (Genève), juin 2012

Sources : décision de l’ODM (6.07.11), recours (18.07.11), arrêts du TAF (2.08.11), demande de réexamen (8.11.11), décision de l’ODM (2.12.11), recours (6.01.12), arrêts du TAF (12 et 13.04.12), demande de révision (21.05.12), arrêts du TAF (8.06.12), ainsi que plusieurs certificats médicaux.

Cas relatifs

Cas individuel — 13/02/2024

Décès d’un jeune demandeur d’asile: la responsabilité directe des autorités suisses

Cas 459 / 13.02.2024 Alam* arrive en Suisse à 17 ans et demande l’asile après avoir vécu des violences en Grèce où il a reçu protection. Les autorités suisses prononcent une non-entrée en matière et son renvoi, malgré des rapports médicaux attestant de la vulnérabilité d’Alam*. Celui-ci met fin à ses jours à la suite du rejet de son recours par le TAF.
Cas individuel — 01/01/2024

Harcelée en Croatie, une famille est menacée d’y être renvoyée

En 2019, Romina* et Khaleel* quittent l’Afghanistan avec leur fille (Emna*), encore mineure et leurs trois fils majeurs. Ils demandent l’asile en Suisse en octobre 2020, après être passé∙es par la Croatie. La famille raconte avoir tenté de passer la frontière entre la Bosnie et la Croatie à plus de 15 reprises, avoir été arrêté∙es par les autorités croates puis maltraité·es, volé·es, déshabillé·es et frappé·es. En février 2020, le SEM rend une décision NEM Dublin. Le mandataire d’Ehsan* et Noura* dépose un recours au TAF contre la décision du SEM. En avril 2021, le SEM annule sa décision de NEM Dublin pour le second fils et sa famille, qui reçoivent une admission provisoire. En juillet 2021, le TAF prononce les arrêts qui rejettent respectivement les recours de Moussa*, de Ehsan* et Noura* et de Romina* et Khaleel*.
Cas individuel — 24/08/2009

L’ODM affirme que les soins sont possibles, mais il ne cite aucune source

Le diagnostic est clair : « Alana » souffre d’un état de stress post-traumatique et le risque de suicide est élevé. L’ODM ordonne néanmoins le renvoi, sans aucune vérification quant aux possibilités de soins au Kosovo. Une décision cassée par le TAF. Le DFJP projette de faire porter le fardeau de la preuve au requérant. Qu’adviendrait-il de personnes comme « Alana »?
Cas individuel — 24/08/2009

Menacé de mort dans son pays, il fait l’objet d’une décision de renvoi

La demande d’asile de "Betim", originaire du Kosovo, est rejetée par l’ODM, qui exige son renvoi. "Betim" fait recours en s’appuyant sur une enquête de l’OSAR qui atteste qu’il est en danger de mort dans son pays. Mais le TAF ne veut rien entendre.