Traumatisé, il a besoin de soins.
Le TAF prononce son renvoi
« Zaïm », orphelin, traumatisé par la guerre et par des années d’errance, fait l’objet d’un suivi psychothérapeutique. Sans égard pour les avis médicaux, le TAF retient un défaut d’intégration et confirme son renvoi en Bosnie, même si les soins n’y sont pas garantis.
Personne(s) concernée(s) : « Zaïm », jeune homme né en 1982
Statut : demande d’asile -> rejet
Résumé du cas
En 1992, alors qu’il n’a que 10 ans, « Zaïm », bosniaque musulman, est placé dans un orphelinat en Fédération croato-musulmane après le massacre de sa famille. À sa sortie, en 2001, il tente de s’installer dans une maison qui ne lui appartient pas mais en sera expulsé, ce qui le pousse à tenter de retourner vivre dans son village d’origine, en zone serbe. Il ne tarde pas à être menacé par ses voisins, du fait de son appartenance ethnique. Il ne peut pas compter sur l’aide de la police, qui lui dit de retourner en Fédération. Il n’a pas de logement, et après 8 mois d’errance et de précarité, il essaie une nouvelle fois de retourner dans son village en zone serbe où les menaces reprennent de plus belle. Il décide alors de partir pour la Suisse où il demande l’asile en juin 2005. Il commence un traitement médical qui fait apparaître de graves troubles psychiatriques, engendrés par la guerre et les années d’errance. Sa demande d’asile est rejetée, car les autorités estiment qu’il a la possibilité de s’installer en Fédération croato-musulmane. « Zaïm » fait recours contre l’exécution de son renvoi en raison du traitement psychiatrique en cours. Il y joint un rapport médical qui souligne un risque d’aggravation s’il n’y a plus de prise en charge adéquate et qui explique que « Zaïm », pour aller mieux, doit se sentir en sécurité en s’intégrant sur le plan socioprofessionnel. Dans sa décision du 17 septembre 2009, le TAF admet que la possibilité de soins en Bosnie reste aléatoire, mais confirme l’exécution du renvoi, estimant que l’absence d’un suivi psychothérapeutique ne mettra pas « immédiatement la vie de l’intéressé en danger ». Sur l’intégration, le Tribunal n’interprète pas l’indication du médecin comme un besoin de « Zaïm » pour guérir en Suisse. Il retourne au contraire l’argument en sa défaveur, affirmant abruptement que « Zaïm » n’est pas parvenu à s’intégrer en Suisse, et que les thérapeutes doivent dès lors le préparer à un retour dans son pays d’origine.
Questions soulevées
La loi considère que l’exécution du renvoi est inexigible en cas de mise en danger concrète. Le Parlement a expressément écarté, en décembre 2005, une limitation au seul cas de danger pour la vie. De quel droit le TAF s’autorise-t-il à reprendre ce critère restrictif ?
En quoi l’objectif d’intégration, mis en avant par les médecins pour favoriser le traitement, peut-il être utilisé pour justifier le renvoi ? Les difficultés d’intégration d’une personne traumatisée peuvent-elles être invoquées pour la renvoyer dans un pays où elle sera privée de soins ?
Chronologie
1992 : placement de « Zaïm » dans un orphelinat après l’exécution de ses parents et de sa sœur
2001 : renvoi de l’orphelinat et installation dans une maison abandonnée
2004 : expulsion de la maison par la police et retour dans son village d’origine en zone serbe (mars) ; agression par un groupe de serbes et retour en Fédération croato-musulmane (juillet)
2005 : retour en zone serbe (février) ; nouvelles menaces ; départ de Bosnie (juin) ; dépôt de la demande d’asile en Suisse (15 juin) ; rejet par l’ODM (30 juin) ; recours (27 juillet)
2009 : rejet du recours par le TAF (17 septembre)
Description du cas
En 1992, la plupart de la famille de « Zaïm », 10 ans, bosniaque musulman, a été tuée durant la guerre. Il est placé dans un orphelinat en Fédération croato-musulmane. Il en est exclu en 2001, à la fin de sa scolarité obligatoire. Sans ressource et sans logement, il s’installe durant 3 ans dans une maison abandonnée. Il en sera expulsé au retour du propriétaire. Après quelques jours d’errance dans les rues, il décide de retourner vivre dans son village d’origine, en zone serbe. Il constate que sa maison est en ruine mais, ne sachant pas où aller, il se construit une cabane à côté. Quelques mois plus tard, des voisins serbes commencent à le menacer en lui intimant l’ordre de partir. Ils l’insultent, l’attaquent, le battent et le menacent de mort. La police, à laquelle « Zaïm » indique avoir été agressé, répond que c’est lui qui a provoqué la bagarre et qu’il doit retourner en Fédération, ce qu’il se résout à faire. Il vit dans la rue pendant 8 mois, parvenant parfois à se loger quand il a pu gagner un peu d’argent. Cette précarité sans fin le pousse à retenter une réinstallation dans son village d’origine, mais les menaces reprennent de plus belle.
Désemparé, il décide de quitter son pays pour la Suisse où il enregistre sa demande d’asile en juin 2005. Il commence un traitement médical qui fait apparaître de graves troubles psychiatriques, engendrés par la guerre et les années d’errance. L’ODM rejette sa demande d’asile aux motifs qu’il y a des contradictions dans son récit, que les menaces ne proviennent pas des autorités elles-mêmes et qu’il n’est pas établi qu’elles les tolèrent. Enfin, d’après l’Office, il a la possibilité de s’installer en Fédération croato-musulmane. « Zaïm » forme un recours contre cette décision, indiquant qu’un traitement psychiatrique est en cours. Un rapport médical produit par la suite souligne qu’il souffre de « trouble de stress post-traumatique, de trouble dépressif majeur avec symptômes psychotiques et de haute tension artérielle. (…) [Il] est suivi en thérapie cognito-comportementale et fait l’objet d’une médication ». Le rapport indique également que « Zaïm » pourrait aller mieux s’il se sentait en sécurité en s’intégrant sur le plan socioprofessionnel.
En janvier 2009, l’ODM propose le rejet de ce recours, estimant que ces problèmes de santé ne sauraient constituer un obstacle au renvoi en Bosnie. Selon l’Office fédéral, celle-ci est dotée d’infrastructures pouvant assurer la prise en charge de « Zaïm », et il devrait pouvoir bénéficier d’une couverture maladie. Dans son recours, « Zaïm » estime que l’ODM a jugé « avec légèreté » son état de santé, notamment le risque de dégradation en cas de renvoi. Il s’appuie entre autres éléments sur la jurisprudence qui décrit les difficultés pour obtenir une assurance maladie et accéder aux soins en Bosnie. Il reproche enfin à l’ODM de ne pas tenir compte de sa situation médicale particulière quand celui-ci estime qu’une réintégration en Bosnie serait parfaitement possible. En septembre 2009, le TAF rejette le recours. Par rapport aux motifs d’asile, il se dispense d’examiner la question des risques encourus en zone serbe, estimant que « Zaïm » peut trouver refuge en Fédération croato-musulmane. Sur la question du renvoi, tout en admettant que la possibilité de soins en Bosnie reste aléatoire, le TAF rejette l’idée que le renvoi serait inexigible. Quant à la question de l’intégration, le Tribunal retourne les rapports médicaux contre « Zaïm ». Selon sa logique, comme « les médecins font état d’une possibilité d’aggravation de l’état du recourant si celui-ci ne se trouve pas dûment pris en charge sur un plan psychosocial » et que « Zaïm » « n’est pas parvenu à s’intégrer en Suisse (…), « il incombe plus aux thérapeutes (..,) de préparer le recourant à un retour dans son pays d’origine. » Le TAF retient donc que l’intégration insuffisante de « Zaïm », pourtant bien compréhensible vu les traumatismes de son enfance, plaide en faveur de son renvoi.
Signalé par : Centre social protestant, Neuchâtel, octobre 2009
Sources : PV d’auditions, décision ODM (30.06.05), observations ODM (07.01.09), compléments du recours (26.01.09), arrêt du TAF (17.09.09).