Régularisation refusée après 9 ans de vie en Suisse, à cause d’un séjour de cinq mois en Autriche
Saif*, ressortissant irakien, demande l’asile en Suisse en 2016. Après un refus, il se rend en Autriche où il sollicite également l’asile. Renvoyé en Suisse en 2017 en vertu du règlement Dublin, il survit à l’aide d’urgence. En 2024, il demande la régularisation de son statut auprès de l’Office cantonal de la population qui refuse, au motif que son lieu de séjour n’était pas connu entre octobre 2016 et mars 2017. En mai 2025, après 9 ans d’aide d’urgence, l’état psychique de Saif* se détériore et il suit un traitement médical. Avec l’aide d’une mandataire, il dépose une nouvelle demande de réexamen sur la base de l’art. 83 al. 4 LEI. Le SEM rejette cette demande, estimant que l’accès aux soins est possible en Irak.
Personne concernée (*Prénom fictif): Saif*
Origine: Irak
Statut: Débouté
Chronologie
2016: demande d’asile (avril) ; refus du SEM et décision de renvoi (juil.) ; demande d’asile en Autriche (oct.) ; refus de l’Autriche et décision de renvoi vers la Suisse
2017: retour en Suisse (mars)
2024: demande de régularisation (fév.) ; refus de l’OCPM (juil.) ; demande de régularisation (nov.) ; refus de l’OCPM (nov.)
2025: demande de réexamen au SEM (mai) ; rejet de la demande (juil.)
Questions soulevées
- Comment peut-on refuser une régularisation en invoquant une rupture de séjour, alors que la personne était localisée et sous contrôle des autorités dans un autre État Dublin? Le système Dublin n’est-il pas censé assurer une coordination et un partage des informations entre États à tous les niveaux?
- Comment peut-on reprocher à une personne à qui il a été ordonné de quitter la Suisse (premier refus d’asile en 2016) de s’être conformé à cette décision? Le lui reprocher n’enfreint-il pas le principe de la bonne foi? S’il était resté, ne lui aurait-on pas reproché de ne pas s’être conformé à l’ordre de départ et de retour dans son pays?
- Pour quelles raisons est-ce que la Suisse s’évertue à refuser la régularisation d’une personne qui a plusieurs promesses d’embauches, la condamnant ainsi à dépendre indéfiniment de l’aide d’urgence et entrainant la dégradation de son état de santé ? Outre l’aspect inhumain, cette situation n’est-elle pas absurde d’un point de vue économique?
Description du cas
Saif*, originaire d’Irak, arrive en Suisse en 2016 et dépose une demande d’asile en avril. Trois mois plus tard, le SEM lui signifie que sa demande est rejetée et prononce son renvoi vers l’Irak. Craignant un retour forcé vers son pays d’origine, dans lequel il est menacé de mort, Saif* quitte la Suisse pour l’Autriche en octobre 2016 et demande à nouveau l’asile. L’Autriche refuse d’entrer en matière et prononce son renvoi vers la Suisse, en vertu du règlement Dublin III. Saif* est renvoyé en Suisse en mars 2017.
En février 2024, soit huit ans après sa demande d’asile et sept ans après son retour d’Autriche, et comme l’autorise l’art 14.2 LAsi, Saif* dépose une demande de régularisation auprès de l’Office cantonal de la population (OCPM). En juillet 2024, l’OCPM refuse sa demande de régularisation au motif que le lieu de séjour de Saif* n’a pas toujours été connu des autorités, en référence à son séjour de 5 mois en Autriche.
La mandataire de Saif* soumet une nouvelle demande auprès de l’OCPM en novembre 2024, arguant que lorsqu’il résidait en Autriche Saif* a toujours indiqué aux autorités l’adresse à laquelle il résidait, déclaration que la Suisse a forcément reçue en application du système d’échange d’informations induit par les accords de Dublin. Elle ajoute que Saif* dispose d’un solide réseau en Suisse, est responsable d’un salon de coiffure dans un des foyers à Genève, fait du bénévolat, et dispose d’une dizaine de lettres de recommandation. L’OCPM maintient son refus de demande de régularisation au motif que Saif* ne s’est pas tenu à la disposition des autorités suisses en vue de son renvoi, et que par conséquent son lieu de séjour n’était pas connu.
En début d’année 2025, la santé mentale de Saif* se dégrade. Il s’isole, connait de forts épisodes d’angoisses et fait part d’un sentiment de désespoir, d’idées noires et de pensées suicidaires constantes aux Centres ambulatoires de psychiatrie et psychothérapie intégrées (CAPPI).En mars 2025, il est hospitalisé en raison d’une péjoration de son état et son traitement médicamenteux est revu à la hausse. Dans son rapport médical, le CAPPI souligne qu’un renvoi en Irak présenterait des risques graves pour la santé mentale de Saif*. Il en ressort également que Saif* doit pouvoir continuer son suivi médico-infirmier psychiatrique soutenu, ainsi que sa médication.
En mai 2025, la mandataire de Saif*, en prenant appui sur le rapport des CAPPI, soumet une demande de réexamen au SEM en argumentant qu’avec la détérioration de son état psychique, un renvoi en Irak mettrait sa vie en danger. En effet, selon l’art 83 al.4 LEI, l’exécution du renvoi peut ne pas être raisonnablement exigible si elle implique une mise en danger concrète de la personne, par exemple en cas de nécessité médicale. En juillet 2025, le SEM rejette la demande de réexamen au motif qu’une prise en charge adaptée peut être assurée en Irak, tout en reconnaissant qu’il n’a pas été possible de déterminer si tous les médicaments auquel Saif* doit pouvoir avoir accès sont disponibles sur place. Quant à ses idées suicidaires, le SEM estime qu’elles ne justifient pas l’annulation d’un renvoi. En attendant, Saif* continue de survivre à l’aide d’urgence, avec l’interdiction de travailler, alors même qu’il a obtenu des promesses d’embauche.
Signalé par: CSP Genève
Sources: demande de réexamen et refus de l’OCPM (2024) ; demande de réexamen et refus du SEM (2025), lettres de soutien, promesse d’embauche, rapport médical des CAPPI