Refus de régulariser des enfants admis provisoirement depuis 10 ans, alors que leur père a un permis B
Alaa*, son frère Bassam* et leurs parents, ressortissant·es de Syrie, arrivent en Suisse à l’aide de visas humanitaires en février 2014. La famille est admise provisoirement par le SEM (permis F). En juillet 2018, les parents divorcent, et l’autorité parentale est attribuée à la mère de Alaa* et Bassam*. Les deux parents exercent toutefois la garde partagée et les enfants conservent des liens étroits avec leur père. Ce dernier obtient une autorisation de séjour (permis B) en juillet 2019. En juillet 2021, la mère dépose une demande de permis B pour les deux enfants, en invoquant leur bonne intégration et l’inclusion dans le permis de leur père au titre du regroupement familial. Alaa* et Bassam* sont alors âgés respectivement de 8 et 9 ans, et vivent en Suisse depuis 7 ans. Leur demande est rejetée au motif, notamment, que les enfants devraient avoir le permis de séjour du parent avec lequel ils font ménage commun. En février 2024, le TF contredit cette appréciation. Il admet que rien n’oblige des enfants mineurs à avoir le statut du parent avec lequel iels habitent. Toutefois, il décrète que comme Alaa* et Bassam*n’ont pas 10 ans de séjour (mais 9 ans et 11 mois!) et que le permis F ne les met pas en danger de renvoi, il et elle pourront toujours redemander une régularisation ultérieurement. Le Tribunal rejette le recours.
Personne concernée (*Prénom fictif): Alaa* et Bassam*
Origine: Syrie
Statut: Permis F et B
Chronologie
2014 : demande d’asile (fév.), octroi d’admissions provisoires (mars)
2018 : divorce et garde partagée des parents
2019 : transformation du permis F en B du père (juil.)
2021 : demande de transformation des permis F en B des enfants (juil.)
2022 : refus du service cantonal de la population (juil.), recours auprès du tribunal cantonal (août)
2023 : refus du tribunal cantonal et recours auprès du Tribunal fédéral (mars) 2024 : arrêt négatif du Tribunal fédéral (fév.)
Questions soulevées
- Comment peut-on reconnaitre une longue durée de séjour, une très bonne intégration et l’exclusion d’un retour au pays, et en même temps refuser une transformation de permis F en B?
- Comment est-il possible de maintenir des personnes – en particulier des enfants – dans les conditions précaires de l’admission provisoire pendant plus de dix ans, alors que ce statut n’est pas un permis de séjour mais une décision de renvoi suspendue ? Cela ne contrevient-il pas à la CDE et à la CEDH?
- En refusant de régulariser des personnes admises provisoirement depuis presque 10 ans, tout en reconnaissant implicitement qu’elles y auront droit tôt ou tard, le Tribunal ne fait-il pas preuve d’un excès de zèle violant le principe de proportionnalité? Cela ne revient-il pas à créer des obstacles inutiles au bon développement des enfants?
Description du cas
Alaa*, née en 2013, son frère Bassam*, né en 2012, et leurs parents, ressortissant·es de Syrie, arrivent en Suisse à l’aide de visas humanitaires en février 2014. En mars, la famille est admise provisoirement par le SEM (obtention de permis F). En juillet 2018, les parents divorcent, et l’autorité parentale est attribuée à la mère de Alaa* et Bassam*. Les deux parents exercent toutefois la garde partagée et les enfants conservent des liens étroits avec leur père.
En juillet 2019, le père de Alaa* et Bassam* obtient une autorisation de séjour (permis B) pour cas de rigueur. Deux ans plus tard, en juillet 2021, leur mère dépose une demande de permis B pour les deux enfants, en invoquant leur bonne intégration et l’inclusion dans le permis de leur père au titre du regroupement familial. Alaa* et Bassam* sont alors âgés respectivement de 8 et 9 ans, et vivent en Suisse depuis 7 ans. Mais en juillet 2022, le Service cantonal de la population et des migrants rejette leur demande, au motif que les enfants devraient avoir le permis de séjour du parent avec lequel ils font ménage commun. Avec l’aide d’un mandataire, la mère des enfants dépose un recours auprès du Tribunal cantonal (TC) contre ce refus, mais celui-ci est également rejeté le 1er mars 2023. La demande d’assistance judiciaire qui y était assortie est également refusée par le TC, faute de chances de succès. Alaa* et Bassam*, représenté·es par leur maman et assisté·es de leur mandataire, forment alors un recours devant le Tribunal fédéral (TF). Ils invoquent notamment une atteinte à leur droit à la vie privée et familiale et à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dans son arrêt de février 2024, le TF reconnait que, contrairement à ce qu’affirme le TC, rien n’oblige les enfants mineurs à avoir le statut du parent avec lequel ils ou elles habitent. Toutefois, il considère que le droit à la vie privée et familiale des enfants n’est pas bafoué, puisqu’il et elle «ne sont pas exposés à un renvoi dans un avenir prévisible».
Alors qu’il admet que les conditions de vie restrictives imposées par l’admission provisoire peuvent constituer, dans le cas d’un séjour de longue durée, une atteinte au respect de la vie privée, le TF considère qu’«au regard de l’âge des recourants, qui ont 10 et 12 ans, cette atteinte doit toutefois être qualifiée de légère». De même, bien qu’il reconnaisse qu’«après dix ans de séjour au titre d’une admission provisoire, (…) seuls des motifs sérieux peuvent justifier le refus de l’autorisation requise», il dénie ce droit à Alaa* et Bassam* au motif qu’il et elle n’auraient pas atteint une telle durée de séjour. Pourtant, au moment du rendu de cet arrêt, les deux enfants vivent en Suisse avec un permis F depuis 9 ans et 11 mois! Le TF reconnait ensuite que l’admission provisoire n’est pas un statut conçu pour durer, mais estime que les enfants seront toujours libres de déposer une nouvelle demande de régularisation ultérieurement. Enfin, il reconnait toutefois que, compte tenu de la bonne intégration des enfants et de la longue durée de séjour en Suisse, ainsi que du permis B de leur père, il y a lieu d’admettre que leur recours au tribunal cantonal n’était pas dénué de chances de succès et que ce dernier aurait donc dû leur accorder l’assistance judiciaire. Il admet le recours uniquement sur ce point financier, mais rejette l’ensemble de autres allégations.
Signalé par: CCSI Fribourg
Source: Arrêt du TF 2C_198/2023