Refus de régularisation pour un ado de 17 ans qui ne connaît que la Suisse

« Toni », 17 ans, est né et a toujours vécu en Suisse avec sa mère « Elena » et y a accompli toute sa scolarité. La demande d’asile de sa famille avait été rejetée en 1998. En dépit de l’absence de liens avec la Macédoine, son pays d’origine qu’il connaît à peine, on refuse de régulariser leur séjour, notamment en raison de la situation financière d’« Elena ».

Mise à jour

En juillet 2016, plus de 4 ans après l’introduction de la demande, le Tribunal administratif de première instance rend un arrêt positif dans lequel il annule la décision de l’OCPM et lui renvoie la cause afin qu’il la soumette pour approbation au SEM. Le Tribunal estime qu’« Elena » n’aura pas accès aux soins nécessaires en Macédoine et ne trouvera pas de soutien pour faire face à son état de santé. Concernant « Toni », il estime qu’un départ de Suisse, où il a passé toute sa vie, entraînerait pour lui un réel déracinement et qu’il serait confronté à de très sérieuses difficultés de réintégration en Macédoine.

Personne(s) concernée(s) : « Toni » et « Elena »

Statut : sans papiers -> demande de permis B humanitaire

Résumé du cas

« Elena », originaire d’ex-Yougoslavie, arrive en Suisse en 1997 avec son ex-mari et leurs trois enfants. Leur quatrième enfant, « Toni » naît à Genève en 1998. La même année, leur demande d’asile est rejetée, mais ils ne quittent pas le pays. Durant 17 ans, ils résident à Genève où « Toni » effectue toute sa scolarité et poursuit sa formation dans une filière professionnelle. Il ne s’est rendu qu’une seule fois en Macédoine avec sa mère, afin d’y faire établir leurs passeports, ne parle que peu la langue et ne l’écrit pas. Hormis sa grand-mère, aucun membre de leur famille ne vit plus en Macédoine. Ses deux sœurs résident en Suisse avec leurs enfants et sont au bénéfice toutes les deux d’un permis de séjour (son frère aîné est entre-temps décédé). En 2011, « Toni » et « Elena » aidés par une mandataire, déposent une demande de permis B pour cas de rigueur (art. 30 al. 1 let. b LEtr et art. 31 OASA). Ils mettent en avant l’intégration poussée de « Toni » en Suisse, l’absence de liens avec son pays d’origine et invoquent l’application de la jurisprudence fédérale reconnaissant la situation particulière des adolescents qui ont vécu la majeure partie de leur vie et effectué leur scolarité en Suisse (arrêt du TAF C-3193/2019 du 25 avril 2013). La demande pointe également l’état de santé d’« Elena », ainsi que leur appartenance à la minorité Rom, particulièrement discriminée dans les Balkans, éléments qui compliqueraient leur réintégration en cas de renvoi. Ce n’est qu’en 2015 que l’OCPM se prononce enfin sur la demande et rend une décision négative. Il reproche la dépendance financière d’« Elena » à l’aide sociale, soutient que « Toni » n’a pas effectué un parcours scolaire « exceptionnel » et que tout deux ne sont pas « spécialement investis dans la vie associative ou culturelle ». Un recours est pendant au Tribunal administratif de première instance (TAPI) au moment de la rédaction de cette fiche.

Questions soulevées

 

Peut-on raisonnablement attendre d’un jeune ayant vécu toute sa vie en Suisse dans une situation précaire et instable et ayant dû suivre une éducation spécialisée qu’il réalise un parcours scolaire « exceptionnel » ?

Le renvoi d’un jeune de 17 ans né en Suisse, maîtrisant mal sa langue d’origine et n’ayant pas d’autres attaches dans son pays que la présence d’une grand-mère est-il compatible avec l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3 CDE) ? Qu’en est-il de la jurisprudence de la CourEDH relative à la situation particulière des étrangers ayant passé leur enfance et reçu leur éducation dans le pays d’accueil (art. 8 CEDH) ?

Chronologie

1997 : arrivée et demande d’asile en Suisse d’« Elena », son mari et leurs trois enfants

1998 : naissance de « Toni » à Genève, refus de la demande d’asile

1999 : demande de permis humanitaire, refus de l’OCPM ; recours CCRPE (actuellement TAPI)

2002 : rejet du recours

2003 : demande de réexamen restée sans suites

2011 : nouvelle demande en faveur d’« Elena » et de « Toni » (déc.)

2015 : décision de refus de l’OCPM ; recours au TAPI
Un recours au TAPI est pendant lors de la rédaction de cette fiche

Description du cas

« Elena », son époux et leurs trois enfants, ressortissants macédoniens appartenant à la minorité rom, quittent leur pays en 1988. Ils séjournent dans divers pays européens puis demandent l’asile en Suisse en 1997. Leur fils cadet, « Toni », naît à Genève en janvier 1998. La même année, leur demande d’asile est rejetée. Plusieurs démarches sont ensuite entreprises pour tenter de régulariser leur séjour (demande de permis humanitaire, recours, demande de réexamen) mais en vain. En 2006 les parents de « Toni » divorcent et l’autorité parentale est attribuée à « Elena ». Le père de « Toni » obtient une autorisation de séjour suite à son mariage avec une Suissesse en 2008.

En 2011, une nouvelle demande de réexamen visant l’obtention de permis pour cas de rigueur (art. 30 al. 1 let. b LEtr et art. 31 OASA) pour « Toni » et « Elena » est déposée avec l’aide d’une mandataire. Le dossier contient des documents relatifs à l’état de santé physique et psychique d’« Elena », ainsi que sur le parcours de « Toni », qui est né à Genève et y a effectué toute sa scolarité. La mandataire attire l’attention sur la jurisprudence des autorités fédérales en ce qui concerne les jeunes étrangers ayant vécu la majorité de leur vie en Suisse. En effet, le renvoi de « Toni » en Macédoine pourrait représenter « une rigueur excessive » l’adolescence étant « une période essentielle du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant une intégration accrue dans un milieu déterminé » (arrêt du TAF C-3193/2019 du 25 avril 2013). Dans un courrier daté de mars 2015, la mandataire précise qu’une autorisation de séjour devrait être octroyée à « Toni » et à sa mère conformément à l’art 8 CEDH et la jurisprudence de la Cour relative aux jeunes ayant grandi en Suisse (arrêt Emre c/Suisse, para. 69 et 70).

Après plusieurs relances et de nombreuses années d’attente d’une réponse des autorités, la mandataire annonce son intention de déposer un recours pour déni de justice. L’OCPM rend alors une décision de refus en août 2015. Dans le cadre de son examen concernant « Toni », l’Office ne prend nullement en compte les jurisprudences citées par la mandataire et prétend que le « parcours estudiantin et professionnel n’est ni exceptionnel, ni particulièrement poussé ». De plus, il invoque la seule présence de la mère d’« Elena » en Macédoine pour affirmer que les attaches dans ce pays seraient suffisantes pour exiger un renvoi et relève au passage que tout deux ne sont « pas spécialement investis dans la vie associative ou culturelle » en Suisse. C’est avant tout la dépendance d’« Elena » à l’aide sociale qui motive le rejet du recours par l’OCPM.

Un recours est déposé contre cette décision. La mandataire déplore la non prise en compte des jurisprudences invoquées et qualifie de choquant le point de vue de l’Office selon lequel « Toni », alors âgé de 17 ans, pourrait se « réintégrer » dans un pays où il n’a jamais vécu et dont il ne parle que peu la langue et ne l’écrit pas. Elle souligne qu’au vu de sa situation précaire et incertaine liée à l’absence de titre de séjour, on ne peut exiger un parcours scolaire et professionnel exceptionnel. Elle rappelle également les liens familiaux existants en Suisse, puisque les deux autres enfants d’« Elena » et plusieurs petits-enfants y résident au bénéfice d’un permis de séjour ou en ayant obtenu la nationalité. Pour la mandataire, en lui reprochant avant tout sa dépendance à l’aide sociale, l’OCPM n’a pas pris en considération l’ensemble de la situation d’« Elena », notamment ses problèmes de santé et leurs conséquences sur son intégration sociale et professionnelle. Finalement, elle affirme que l’OCPM ne tient pas compte de l’appartenance de ses mandants à la minorité Rom, très discriminée dans les Balkans notamment sur le marché de l’emploi, dans son examen des possibilités de réintégration en Macédoine. Outre ces considérations, la mandataire revient sur une attestation délivrée par l’Office en 2011 indiquant que la décision de refus d’octroi d’une autorisation de séjour n’était « pas exécutable en l’état ». La mandataire s’interroge donc sur les raisons ayant poussé les autorités cantonales à considérer le renvoi comme étant exécutable en 2015. Elle argue que la situation aurait dû être réglée par les autorités cantonales par l’octroi d’un permis humanitaire et regrette le maintien d’« Elena » et de « Toni » dans une situation instable et précaire. Le recours est pendant au TAPI au moment de la rédaction de cette fiche.

Signalé par : CCSI Genève – Septembre 2015

Sources : décision de refus (OCPM, 18 août 2015), recours (3 septembre 2015) et autres pièces du dossier.

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