Quatre ans de procédure pour se voir reconnaître son statut de victime de violences domestiques
Arrivée en Suisse en 2018 à la suite de son mariage avec un ressortissant suisse, Amanda* est rapidement victime de violences domestiques. À la suite de la séparation du couple, et malgré les documents attestant des violences subies par Amanda* ainsi que de ses craintes, fondées, de représailles de sa belle-famille en cas de retour, le SEM refuse de renouveler son autorisation de séjour et prononce son renvoi vers le Sri-Lanka. Amanda* dépose un recours au TAF contre cette décision. En août 2023, le TAF lui donne raison : il annule la décision du SEM et ordonne l’octroi d’une nouvelle autorisation de séjour en faveur d’Amanda* sur la base de l’art. 30 LEI qui permet de déroger aux conditions d’admission pour tenir compte de cas individuels d’une extrême gravité (F-2969/2020). Le TAF que reconnait les violences domestiques subies par Amanda* – que le SEM avait minimisées, voire niées – et leurs conséquences sur son état de santé, tout comme les difficultés de réintégration en cas de retour au pays d’origine, constituent des éléments suffisants pour admettre la prolongation de son séjour en Suisse.
Personne concernée (*Prénom fictif): Amanda*
Origine: Sri Lanka
Statut: permis B
Chronologie
2018: arrivée en Suisse (sept.), permis B pour regroupement familial (oct.)
2019: séparation (jan.), plainte pour violences domestiques (avril)
2020: refus de renouvellement du permis par le SEM (mai), recours (juin)
2021 – 2022: preuves d’intégration et certificats médicaux
2023: divorce et classement de la plainte pénale (jan.), recours admis par le TAF (août)
Questions soulevées
La Suisse a été rappelée à l’ordre par le GREVIO en raison de ses manquements dans l’application de la Convention d’Istanbul destinée à lutter contre les violences basées sur le genre. Le présent cas soulève plusieurs questions relatives à la responsabilité des autorités concernant la protection des victimes:
- Comment se fait-il que le SEM puisse minimiser, voire nier, des violences pourtant attestées par le corps médical?
- Comment est-ce possible que le SEM puisse affirmer qu’Amanda* est «responsable de sa détresse psychique» parce qu’elle est venue en Suisse de son propre gré, alors que son mari émettait des doutes quant à leur relation?
- Alors que l’état de santé et les risques de mises en danger d’Amanda* sont démontrés et que l’ambassade suisse au Sri Lanka ait déclaré que sa réintégration sociale serait probablement fortement compromise au pays, comment se fait-il que la procédure relative au renouvellement de son autorisation de séjour ait duré quatre ans – aggravant ainsi sa détresse psychologique?
Description du cas
Amanda* est originaire du Sri Lanka où elle se marie une première fois puis divorce, le mariage n’ayant pas été consommé. En août 2017, un mariage arrangé selon la tradition est célébré avec un ressortissant suisse qu’elle ne rencontre que deux mois avant la cérémonie. Après le mariage, son nouvel époux se montre assez rapidement distant et demande aux autorités suisses que le visa de regroupement familial de son épouse, qu’il a lui-même sollicité, soit prolongé estimant que ce n’est pas le moment qu’elle le rejoigne en Suisse. Néanmoins, Amanda* arrive en Suisse la veille de l’expiration du visa d’entrée en septembre 2018 et obtient le mois suivant un permis B pour regroupement familial, valable jusqu’en octobre 2019.
En janvier 2019, l’époux d’Amanda* quitte le domicile conjugal. En mars de la même année, le Tribunal d’arrondissement de Lausanne prononce des mesures protectrices de l’union conjugale. Un mois plus tard, le Service de la population du canton de Vaud (SPOP), ayant appris que le couple ne fait plus ménage commun, convoque les conjoints. Peu après, Amanda* porte plainte contre son mari pour violences domestiques.
Lors de l’audition au SPOP en mai 2019, Amanda* raconte aux autorités vaudoises qu’à son arrivée en Suisse, son mari l’a d’abord logée dans un hôtel, puis dans un studio et finalement dans un appartement où il ne venait que rarement, la laissant sans moyens de subsistance tout en exerçant différentes formes de violences à son égard. Amanda* indique ne pas pouvoir retourner dans son pays par crainte de représailles de la part de sa belle-famille. Elle fournit plusieurs rapports médicaux et documents attestant des violences subies.
En novembre, le SPOP informe Amanda* être favorable au renouvellement de son autorisation de séjour en raison des violences dont elle a été victime (art. 50 LEI). En décembre 2019, le SEM annonce son intention de refuser la proposition du SPOP. Dans son droit d’être entendue, Amanda* précise que son époux l’a complétement isolée socialement en lui interdisant de sortir et de parler à ses proches. Elle fournit à nouveau des documents attestant ses dires, notamment une preuve de son hospitalisation de 3 semaines dans un centre psychiatrique à la suite de l’annonce d’un possible renvoi au Sri Lanka.
En mai 2020, le SEM refuse de prolonger l’autorisation de séjour d’Amanda* et prononce son renvoi. En juin, appuyée par une mandataire, Amanda* dépose un recours au TAF contre cette décision. Le TAF indique qu’un effet suspensif est en place et demande une avance de frais de procédure de 1’000 CHF à Amanda*. A l’occasion d’une réplique, cette dernière souligne l’appréciation arbitraire du SEM et sa non prise en compte de sa situation de victime de violences conjugales. Elle encourage le TAF à se renseigner auprès de la première épouse de son mari, qui a également subi des maltraitances. Entre avril 2021 et juillet 2023, Amanda* produit au TAF des preuves de son intégration (contrat d’apprentissage, etc.), des certificats médicaux, le classement de la plainte pénale à l’encontre de son mari, ainsi que son jugement de divorce (prononcé en janvier 2023).
En août 2023, le TAF admet le recours, annule la décision du SEM et octroie une autorisation de séjour à Amanda* (F-2969/2020) en application de l’art. 30 LEI pour cas individuel d’une extrême gravité en raison de sa situation particulière: difficultés considérables de réintégration dans le pays d’origine (art. 31 OASA), et violences dont les effets se répercutent encore au moment de l’arrêt. Cependant, le TAF estime que l’art. 50 LEI ne peut être appliqué, l’union conjugale n’ayant jamais pu se réaliser malgré le mariage qui unissait formellement les intéressés.
Signalé par: La Frat, CSP Vaud
Sources: ATAF (F-2969/2020)