Plus de 30 ans en Suisse, à l’AI, âgé de 64 ans : aucune perspective pour un permis B

Albert* dépose des demandes de transformation de son permis F en permis B, mais se les voit refusées, au motif que son intégration ne serait pas réussie. Un jugement qui enlève à Albert, aujourd’hui âgé de 64 ans et reconnu en incapacité totale de travail par l’assurance invalidité, toute possibilité de régularisation future de son statut de séjour en Suisse.

Personne concernée (*Prénom fictif): Albert*

Origine: République démocratique du Congo

Statut: permis F

Chronologie

1990 : arrivée en Suisse, demande d’asile, rejet de l’asile

1998 : obtention du permis F

2007 : demande d’autorisation de séjour (permis B), refus du canton

2014 : demande d’autorisation de séjour, refus du canton

2018 : demande d’autorisation de séjour, refus du canton

2019 : demande d’autorisation de séjour

2020 : refus du canton (avril), recours (mai) 2021 : rejet du recours par le Tribunal cantonal (août)

Questions soulevées

  • Alors que l’admission provisoire – qui n’est pas un statut de séjour en tant que tel mais seulement une suspension du renvoi – est sensée être octroyée pour une durée limitée, comment se fait-il que les autorités suisses puissent priver une personne de toute possibilité de régularisation de son statut ? Et cela alors même qu’elles reconnaissent que son renvoi est inexigible ?
  • Le tribunal motive son refus par le fait qu’Albert* n’a pas travaillé durant les années où il n’était pas reconnu invalide, soit entre 1998 et 2002. N’est-ce pas vain et insensé de continuer, plus de 20 ans après, à reprocher des faits passés et inchangeables à une personne, quitte à la sanctionner à jamais ? 

Description détaillée

Né en 1960, Albert* est originaire de la République démocratique du Congo. Il arrive en Suisse et demande l’asile en octobre 1990. Les autorités suisses rejettent sa demande d’asile après 4 ans de procédure étendue. En avril 1998, après un recours qui a lui-même duré 4 ans, il est admis à titre provisoire (permis F). En 2007, 2014 et 2018, Albert* dépose des demandes d’autorisation de séjour (transformation de son permis F en permis B) auprès du Service de la population et des migrants (SPoMi) du canton de Fribourg où il réside, mais se les voit refusées.

En octobre 2019, Albert* dépose à nouveau une demande de permis B, fondé sur l’art. 84 LEI. Le même mois, le SPoMi déclare refuser de soumettre la requête au SEM, sous prétexte que la situation d’Albert* n’a pas connu de modifications majeures depuis la précédente demande. En effet, une fois une décision négative entrée en force, il est difficile voire impossible de déposer une demande de réexamen pour les personnes âgées, dont la situation n’évolue plus. L’autorité n’examine plus la demande sur le fond mais regarde uniquement s’il y a des éléments nouveaux. Comme ce n’est généralement pas le cas, la demande est rejetée alors même qu’elle aurait pu être acceptée sur le fond, si elle avait été analysée. Condamnant ainsi les personnes à vivre dans avec un statut précaire sans perspective de stabilisation pour le reste de leur vie.

Néanmoins, Albert* réagit en demandant reconsidération au SPoMi, se plaignant d’une violation de son droit d’être entendu au motif que son intégration sociale n’a pas été correctement évaluée. Il rappelle qu’il a été victime d’un grave accident en 2002 ce qui l’a empêché d’exercer une activité salariée. En 2018, il a été reconnu inapte au travail et bénéficie désormais d’une rente invalidité complète avec effet rétroactif à 2016. Il invoque en outre sa longue durée de séjour en Suisse, l’inexigibilité de son retour dans son pays d’origine et son respect de l’ordre juridique suisse.

En avril 2020, le SPoMi refuse à nouveau la demande d’Albert*, au motif que son intégration ne peut pas être considérée réussie : il n’aurait pas travaillé assez longtemps, sa participation au monde associatif du canton ne serait pas suffisante et il aurait reçu plusieurs condamnations pénales mineures (pour voies de fait, dommages à la propriété, absences répétées de titre de transport valable…). En mai 2020, avec l’appui d’un mandataire, Albert* conteste cette décision auprès du Tribunal cantonal. Il argue notamment que le fait d’avoir peu travaillé ne peut lui être reproché (absence d’autorisation de travail pour les permis F à l’époque puis atteintes à sa santé), que – bien qu’ayant des condamnations pénales – il n’a jamais porté atteinte à aucun bien juridique important (vie, intégrité physique, sexuelle, patrimoine, etc.) , et enfin rappelle qu’il accompli nombre de tâches bénévoles dans le monde associatif fribourgeois. En août 2021, le Tribunal cantonal rend son verdict : il rejette le recours d’Albert* et lui refuse une autorisation de séjour. Il considère, à l’instar du SPoMi, que l’« intensité » de l’intégration d’Albert* n’est pas suffisante et lui reproche de n’avoir pas travaillé durant les années où il n’était pas reconnu invalide. Il conclut que l’absence d’intégration économique d’Albert* est due en grande partie à son comportement et non aux circonstances de la vie. Un jugement qui enlève à Albert, aujourd’hui âgé de 64 ans, toute possibilité de régularisation future de son statut de séjour en Suisse.

Signalé par: CCSI Fribourg

Source: Décision du Tribunal cantonal (601 2020 101)

Cas relatifs

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Des violences conjugales reconnues par un Centre LAVI sont jugées trop peu intenses par les tribunaux

Eja*, originaire d’Afrique de l’est, rencontre Reto*, ressortissant suisse, en 2019. Leur mariage est célébré en avril 2021 et Eja* reçoit une autorisation de séjour. L’année qui suit est marquée par des disputes et des violences au sein du couple, et une première séparation de courte durée. En février 2023, Eja* consulte le Centre LAVI du canton, qui la reconnait victime d’infraction. En juillet, Eja* dépose une plainte pénale contre son époux pour harcèlement moral, rabaissements et injures, discrimination raciale et contraintes. En novembre 2023, Eja* dépose une deuxième plainte. Son médecin confirme des symptômes de stress émotionnel élevé. En février 2024, le SPoMi révoque l’autorisation de séjour d’Eja* et prononce son renvoi de Suisse, au motif que la durée effective de la communauté conjugale n’a pas dépassé trois ans. En août 2024, le Tribunal cantonal rejette le recours déposé par Eja*, au motif que l’intensité des violences psychologiques n’atteint pas le seuil exigé par la jurisprudence. Le Tribunal conclut à l’absence de raison personnelle majeure permettant de justifier le maintien de l’autorisation de séjour d’Eja*. Le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 14 novembre 2024, confirme la décision du SPoMi et rejette le recours d’Eja*.
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Mineure, elle obtient une transformation de permis F en B pour respect de la vie privée

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"Avec les limites du permis F, je ne me sens pas complet"

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