Permis humanitaire: l’ODM ne tient pas compte de l’adolescence passée en Suisse

Le couple "Morales" vit en Suisse depuis 1999 avec ses 4 enfants, dont l’intégration est d’autant plus forte qu’ils vivent ici leur adolescence. Malgré une jurisprudence qui souligne l’importance de cette période, l’ODM leur refuse un permis humanitaire.

Personne(s) concernée(s) : La famille « Morales »: le père (né en 1963), la mère (née en 1965), et leurs 4 fils (nés en 1985, 1987, 1990 et 1992)

Statut : sans-papiers (régularisation refusée)

Résumé du cas

Originaire du Mexique, la famille « Morales » réside en Suisse illégalement depuis 1999. Les deux parents travaillent et la famille est indépendante de toute aide sociale. Les 4 enfants s’adaptent au système scolaire et s’intègrent à la vie de leur quartier à travers diverses activités associatives. En 2003, la famille demande une autorisation de séjour basée sur l’article 13 f OLE (permis humanitaire). Le canton donne son accord et fait suivre la demande à Berne pour approbation. En 2006, l’ODM rend une décision négative en passant rapidement sur l’intégration vécue par les enfants pendant leur adolescence. Un recours contre cette décision est déposé au TAF. Il souligne que la jurisprudence du Tribunal fédéral juge que l’adolescence est une période clé du développement de la personnalité et que, pour des jeunes qui se sont intégrés durant leur adolescence en Suisse, un renvoi peut constituer un déracinement tel que l’octroi d’un permis humanitaire se justifie (ATF 123 II 125 c. 4). Malgré cette jurisprudence, l’ODM, dans ses observations sur le recours, reste sur sa position. La décision finale relève désormais du TAF.

Questions soulevées

 Pourquoi l’ODM ne tient-il pas compte du fait que les 4 enfants ont passé une partie ou toute leur adolescence en Suisse, malgré la jurisprudence du TF?

 L’ODM prononce le renvoi d’une famille qui a désormais passé 8 ans en Suisse, dont les enfants ont grandi et se sont intégrés en y vivant la période capitale de l’adolescence. Ce renvoi peut-il ne pas entraîner une situation de détresse personnelle?

 En refusant dans un tel cas de reconnaître une exception aux mesures de limitation du nombre d’étrangers, l’ODM ne fait-il pas une interprétation de l’art. 13 f OLE et de sa propre circulaire qui vide ces normes de leur substance?

Chronologie

1999 : 15 mai : arrivée en Suisse de toute la famille

2003 : 22 avril : demande de régularisation auprès de l’OCP

2005 : 7 septembre : préavis favorable de l’OCP pour l’octroi d’un permis B humanitaire

2006 : 24 avril : décision négative de l’ODM, suivie d’un recours.

Cas en suspens devant le TAF au moment de la rédaction de la fiche.

Description du cas

Originaire du Mexique, la famille « Morales » – le père, la mère et leurs 4 fils – arrive en Suisse le 15 mai 1999. Le père trouve rapidement un emploi en tant que déménageur, tandis que la mère fait des ménages (elle travaillera ensuite pour une entreprise de nettoyage). Les 4 fils commencent l’école et s’intègrent rapidement au système scolaire. Ils participent également à la vie associative de leur quartier à travers des activités musicales et sportives. En 2001, le père trouve un emploi auprès d’une représentation diplomatique, ce qui lui permet d’obtenir une carte de légitimation du DFAE. En 2003, en raison de conditions de travail particulièrement exécrables, le père se voit contraint de quitter cet emploi. L’annulation de la carte de légitimation oblige la famille à déposer une demande d’autorisation de séjour au nom de l’art. 13 f OLE (permis B humanitaire). La famille est alors parfaitement indépendante financièrement, aucun de ses membres n’a jamais commis aucun délit (hormis l’illégalité du séjour entre 1999 et 2001) et tous ont fourni d’importants efforts d’intégration, notamment les enfants qui ont réussi à se raccrocher à un parcours scolaire normal.

Après avoir soigneusement examiné le dossier, l’OCP se déclare disposé à accorder les permis et fait poursuivre la demande à l’ODM pour approbation. En avril 2006, soit près de trois ans après le dépôt initial de la demande, l’ODM rend une décision de refus qui signifie pour toute la famille le renvoi vers le Mexique. L’office fédéral estime que la famille « Morales » n’a pas d’attaches profondes avec la Suisse, tandis qu’elle en aurait conservé d’étroites avec le pays d’origine qu’elle n’a quitté que durant « une courte période », expression que l’ODM utilise pour qualifier les 7 ans de vie que la famille a passé en Suisse au moment de la décision. L’ODM passe rapidement sur le fait que la scolarisation des enfants a eu lieu en Suisse et que leur intégration est quasiment irréversible, dès lors qu’ils ont forgé leur personnalité en passant leurs années de jeunesse dans un environnement socioculturel qui n’est pas celui de leur pays d’origine. Arrivés à 6, 8, 11 et 13 ans, ils en ont respectivement 13, 15, 18 et 20 au moment de la décision de l’ODM.

Un recours est alors déposé devant le TAF. Il critique notamment le fait que l’ODM n’a pas pris en compte la situation des enfants, qui ont passé toute leur adolescence en Suisse. La jurisprudence du TF reconnaît l’adolescence passée en Suisse comme un critère important pour l’octroi d’un permis humanitaire (ATF 123 II 125 c. 4). En effet, le TF estime que « la scolarité correspondant à la période de l’adolescence contribue de manière décisive à l’intégration de l’enfant dans une communauté socioculturelle bien déterminée » et qu' »il se justifie de considérer que l’obligation de rompre brutalement avec ce milieu pour se réadapter à un environnement complètement différent peut constituer un cas personnel d’extrême gravité ». Malgré le rappel de cette jurisprudence, l’ODM maintient sa position dans ses observations sur le recours et se contente de rappeler que « bien qu’ils [les enfants] paraissent s’être rapidement intégrés à leur nouvel environnement scolaire et social, on ne saurait pour autant considérer qu’ils se soient constitués, durant leur séjour en Suisse, des attaches avec ce pays qu’on ne puisse plus exiger qu’ils tentent de se réadapter aux conditions de vie de leur pays d’origine, dans lesquels ils ont passé les premières années de leur enfance et où ils ont accompli leurs premières années de scolarité. ».Si ce point de vue était définitivement confirmé par le TAF, cela représenterait un net recul par rapport à la pratique antérieure. Il revient désormais au TAF de se prononcer.

Signalé par : Syndicat SIT (Genève), juillet 2007.

Sources : Observations de l’ODM (25.7.2006), recours (5.5.2006), décision de l’ODM (24.4.2006), préavis de l’OCP (7.9.2005) et autres pièces utiles du dossier.

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