Parce qu’il séjourne illégalement sur le territoire, il est détenu 16 mois

Jamil* est arrêté à Genève. Il cumule 2 ans et 9 mois de détention pénale puis administrative, sa demande d’asile ayant été rejetée.

Personne concernée (*prénom fictif): Jamil*

Origine: Tchad

Statut: sans titre de séjour

Jamil*, né en 1982, est originaire du Tchad. En février 2008, il arrive à Genève et demande l’asile, démuni de documents d’identité. En 2010, le SEM (à l’époque, ODM) rejette sa demande et ordonne son retour dans son pays d’origine. En août, les autorités genevoises requièrent le soutien du SEM en vue de l’identification de Jamil*.

En janvier 2021, Jamil* est arrêté par la police, prévenu d’infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants (LStup) et à l’art. 115 de la LEI, de faux dans les certificats étrangers (art. 252 du Code pénal suisse [CP]), de blanchiment d’argent (art. 305bis du CP). Il est placé en détention provisoire dans l’établissement pénal de Champ-Dollon à Genève. En mai 2022, le Tribunal correctionnel déclare Jamil* coupable et le condamne à une peine privative de liberté de 36 mois dont 16 mois sans sursis.

Ayant déjà effectué 491 jours de détention avant jugement, dont 112 jours en exécution anticipée de peine (art. 40 CP), Jamil* est libéré par les autorités pénales. Toutefois, le Tribunal ayant ordonné son expulsion de Suisse (art. 66a CP), Jamil* est réarrêté le même jour par la police et emmené à la prison de détention administrative de Favra à Genève, en vue de son renvoi.

L’ordre de sa mise en détention administrative vaut pour une durée de 4 mois (art. 76 LEI), mais sera prolongée à 4 reprises et atteindra une durée totale de 16 mois. Durant ce temps, aux fins de l’identification de son pays d’origine, Jamil* rencontre des délégations du Tchad (décembre 2021), de Guinée (janvier 2022), du Mali (octobre 2022), de Gambie (novembre 2022), du Sénégal (mars 2023) et à nouveau de Guinée (mai 2023).

Entre mai 2022 et avril 2023, Jamil* a donc été détenu dans la prison de Favra. Il relate y avoir subi des dénigrements de la part des gardiens, prompts à chercher des ennuis avec les détenus, et s’être senti infantilisé et insulté. En avril 2023, le voisin de cellule de Jamil* voit son état de santé se détériorer et malgré des alertes aucun secours ne lui est apporté. Il se donne la mort dans sa cellule. Peu après, une pétition est remise au TAPI, rédigée par les détenus qui décrivent leur situation d’incarcération comme insoutenable. La presse est alertée. Les détenus sont en état de choc. Dans le cadre de la procédure visant à juger de la licéité de leur détention, Jamil* et d’autres détenus sont appelés à la barre et font état de la réalité des conditions de vie à Favra. Le TAPI reconnait la nécessité de permettre aux détenus actuels de quitter l’établissement au plus tard le 25 avril 2023. Avant cette date, Jamil* est transféré dans l’établissement de détention administrative de Frambois, toujours à Genève. En août 2023, les autorités sénégalaises reconnaissent finalement Jamil* comme l’un de leurs ressortissants, sur la base d’un passeport trouvé en 2009 lors de son arrestation, dont la photo est illisible et , dont Jamil* avait déjà contesté la propriété. Avec l’aide de son mandataire, il réfute cette identification devant le TAPI. Par décision du 19 septembre 2023, le TAPI rejette la demande de prolongement d’emprisonnement et ordonne la levée immédiate de sa détention.

Questions soulevées

  • Au motif de pouvoir exécuter son renvoi, la Suisse et les autorités genevoises auront placé Jamil* en détention administrative durant 16 mois, et organisé la rencontre de 6 délégations consulaires afin d’établir son origine. Cette détention prolongée, causée par l’incapacité des autorités à établir l’origine de Jamil*, ne viole-t-elle pas les principes de proportionnalité, de diligence et de célérité?
  • Après avoir reconnu que les conditions de détention dans l’établissement de Favra étaient contraires au respect des droits humains, les autorités genevoises n’auraient-elles pas dû exiger la libération immédiate des personnes qui y étaient détenues et la fermeture de l’établissement?

Chronologie

2008: arrivée en Suisse et dépôt d’une demande d’asile (février)

2010: rejet de la demande d’asile par le SEM (mars)

2011: notification d’interdiction d’entrée en Suisse (sept.)

2021: arrestation et détention provisoire (janvier)

2022: condamnation, libération pénale et détention administrative

2023: libération de détention administrative (sept.)

Description du cas

Jamil*, né en 1982, est originaire du Tchad et a grandi en Lybie. Il rejoint l’Europe et demande l’asile au Luxembourg. En février 2008, il arrive à Genève et demande l’asile, démuni de documents d’identité. En 2010, le SEM (à l’époque, ODM) rejette sa demande et ordonne son retour dans son pays d’origine. En août, les autorités genevoises requièrent le soutien du SEM en vue de l’identification de Jamil*. En septembre 2011, il fait l’objet d’une interdiction d’entrée en Suisse, valable jusqu’en septembre 2021 et notifiée en avril 2016. En janvier 2021, Jamil* est arrêté par la police, en tant que prévenu d’infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants (LStup) et à l’art. 115 de la LEI, de faux dans les certificats étrangers (art. 252 du Code pénal suisse [CP]), de blanchiment d’argent (art. 305bis du CP). Dans l’attente de son jugement, il est placé en détention provisoire dans l’établissement pénal de Champ-Dollon à Genève.

Le SEM entame un processus d’identification du pays d’origine de Jamil*. Le SEM procède aussi à une analyse de provenance LINGUA, qui l’amène à penser que Jamil* parle un anglais francophone gambien. D’après Jamil*, ce test a été réalisé de manière opaque: pas d’explication de la démarche, le résultat du test ne lui est pas communiqué.

En mai 2022, le Tribunal correctionnel déclare Jamil* coupable et le condamne à une peine privative de liberté de 36 mois dont 16 mois sans sursis. Ayant déjà effectué 491 jours de détention avant jugement, dont 112 jours en exécution anticipée de peine (art. 40 CP), Jamil* est libéré par les autorités pénales. Toutefois, son expulsion de Suisse (art. 66a CP) étant prononcée, Jamil* est immédiatement emmené à la prison pour détention administrative de Favra (Genève).

L’ordre de mise en détention administrative vaut pour une durée de 6 mois dès juin 2022 (art. 76 LEI), réduite à 4 mois par le Tribunal administratif de première instance (TAPI). Cette détention se verra ensuite prolongée par 2 fois à la demande des autorités: en septembre et décembre 2022. En avril et juin 2023, les autorités genevoises demandent à nouveau des prolongations, au motif de poursuivre le processus d’identification, que le TAPI approuve pour 2 mois.

En effet, Jamil* rencontre en décembre 2021 une délégation du Tchad (pas reconnu) ; en janvier 2022 une délégation de Guinée (pas reconnu) ; en octobre 2022 une délégation du Mali (pas reconnu) ; en novembre 2022 une délégation de Gambie (qui ne se présente pas au rendez-vous) ; en mars 2023 une délégation du Sénégal (pas reconnu, mais vérification des autorités sénégalaises en cours) ; en mai 2023 à nouveau une délégation de Guinée (pas reconnu).

Entre mai 2022 et avril 2023, Jamil* a donc été détenu dans la prison de Favra. Il relate y avoir subi des dénigrements de la part des gardiens, prompts à chercher des ennuis avec les détenus, et s’être senti infantilisé et insulté. Il constate également une violence entre les détenus. Les conditions de vie y sont très difficiles et des détenus se mettent en grève de la faim pour les dénoncer. En avril 2023, le voisin de cellule de Jamil* voit son état de santé se détériorer et malgré des alertes aucun secours ne lui est apporté. Il se donne la mort dans sa cellule. Peu après, une pétition est remise au TAPI, rédigée par les détenus qui décrivent leur situation d’incarcération comme insoutenable. La presse est alertée. Les détenus sont en état de choc. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure visant à juger de la licéité de leur détention, Jamil* et d’autres détenus sont appelés à la barre et font état de la réalité des conditions de vie à Favra: ils racontent des fouilles intégrales superflues et d’autres humiliations, la vétusté et le caractère inutilisable du matériel à disposition (salle de sport) ou son absence (pas d’ordinateur, etc.), la saleté dans les sanitaires, pas de portes dans les douches, etc. Le TAPI reconnait la nécessité de permettre aux détenus actuels de quitter l’établissement de Favra au plus tard le 25 avril 2023. Avant cette date, Jamil* est transféré dans l’établissement de détention administrative de Frambois, toujours à Genève. En août 2023, les autorités sénégalaises reconnaissent Jamil* comme Sénégalais, sur la base d’un passeport dont la photo est illisible, trouvé en 2009 lors de son arrestation, et dont il avait déjà contesté la propriété. Avec l’aide de son mandataire, Jamil* réfute cette identification devant le TAPI. Le mandataire de Jamil* souligne que cette pièce d’identité a d’ailleurs été renouvelée en 2022 par une personne résidant aux Etats-Unis: il ne pouvait s’agir de Jamil*, détenu en Suisse à cette époque. En septembre 2023, l’OCPM requiert une nouvelle prolongation de la détention administrative de Jamil*. En septembre 2023, le TAPI rejette la demande et ordonne la levée immédiate de sa détention.

Signalé par: Ligue Suisse des droits humains – Genève ; OratioFortis Avocates, étude

Sources: Jugement du TAPI des 19.09.2023 et 20.04.2023 (JTAPI/1017/2023JTAPI/422/2023 )

Cas relatifs

Cas individuel — 10/04/2025

Des violences conjugales reconnues par un Centre LAVI sont jugées trop peu intenses par les tribunaux

Eja*, originaire d’Afrique de l’est, rencontre Reto*, ressortissant suisse, en 2019. Leur mariage est célébré en avril 2021 et Eja* reçoit une autorisation de séjour. L’année qui suit est marquée par des disputes et des violences au sein du couple, et une première séparation de courte durée. En février 2023, Eja* consulte le Centre LAVI du canton, qui la reconnait victime d’infraction. En juillet, Eja* dépose une plainte pénale contre son époux pour harcèlement moral, rabaissements et injures, discrimination raciale et contraintes. En novembre 2023, Eja* dépose une deuxième plainte. Son médecin confirme des symptômes de stress émotionnel élevé. En février 2024, le SPoMi révoque l’autorisation de séjour d’Eja* et prononce son renvoi de Suisse, au motif que la durée effective de la communauté conjugale n’a pas dépassé trois ans. En août 2024, le Tribunal cantonal rejette le recours déposé par Eja*, au motif que l’intensité des violences psychologiques n’atteint pas le seuil exigé par la jurisprudence. Le Tribunal conclut à l’absence de raison personnelle majeure permettant de justifier le maintien de l’autorisation de séjour d’Eja*. Le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 14 novembre 2024, confirme la décision du SPoMi et rejette le recours d’Eja*.
Cas individuel — 24/07/2013

Une femme afghane seule avec 4 enfants
doit faire recours pour obtenir l’asile

« Nahid » et ses quatre enfants demandent l’asile en Suisse. Leur demande est rejetée par l’ODM, qui dans un premier temps suspend l’exécution du renvoi avant de juger que le retour à Kaboul est exigible. Sur recours, le TAF reconnaît pourtant la vraisemblance des motifs d’asile.
Cas individuel — 05/11/2012

Un réfugié reconnu passe sept mois
en détention administrative

« Beasrat » demande l’asile en Suisse après avoir vécu dans des conditions d’extrême précarité en Italie, malgré la reconnaissance de sa qualité de réfugié. Refusant d’y retourner, il passe sept mois en détention administrative, non sans séquelles sur sa santé psychique.
Cas individuel — 04/10/2012

Un paraplégique et sa mère seront renvoyés
sans égard aux avis médicaux

« Meliha » et son fils « Fadil » déposent en 2011 une demande d’asile en Suisse. Ils invoquent d’emblée la paraplégie de « Fadil » et les difficultés qu’a sa mère, à la santé fragile et avec peu de ressources, de le prendre en charge seule. Pourtant, aucun des certificats médicaux établis en Suisse ne fera changer d’avis l’ODM et le TAF quant à l’exigibilité de leur renvoi.